NPI : depuis quand travaillez-vous sur le projet de canal Seine-Nord Europe ?
Thierry Lestoille : Je travaille sur le projet depuis 2010, à l’époque des appels d’offres en partenariat public-privé. La différence avec le schéma actuel, c’est qu’aujourd’hui, le financement est bouclé à 80 % avec l’engagement de l’Union européenne, de l’État français, des régions et départements. Il reste à définir le recours à l’emprunt à hauteur de 700 millions d’euros, ce qui n’est pas grand-chose sur un total de 5 milliards d’euros. Si l’Union européenne l’avait financé à hauteur de 2 milliards d’euros à l’époque, le projet serait sorti en partenariat public-privé.
NPI : à quoi correspond concrètement l’appel d’offres remporté par votre groupement ?
Thierry Lestoille : Nous devons élaborer le plan des emprises pour les acquisitions foncières et mettre au point l’avant-projet, puis le projet lui-même, avec le dossier de consultation pour les entreprises. Nous ferons l’analyse des offres présentées par les différentes entreprises et déterminerons la mieux-disante. Mais c’est le conseil de surveillance de la Société du canal Seine-Nord Europe qui décidera des entreprises retenues. Ensuite, nous effectuerons le suivi des travaux, pour surveiller qu’ils sont réalisés conformément au marché et aux règles de l’art, et nous assisterons le maître d’ouvrage pour leur réception. C’est, en somme, une maîtrise d’œuvre à la française très classique, comme sur tous les grands projets.
La seule chose inhabituelle, c’est qu’une partie de la réception des travaux se fait lors de la mise en eau du canal, qui va durer six mois. Nous devrons vérifier son étanchéité et ensuite, pendant deux ans, nous assurer qu’il n’y a pas de fuite et pas de risque sur les digues car certains remblais vont dépasser 10 mètres de hauteur.
Les secteurs 2 et 4 représentent 76 km sur les 107 km du futur canal. Ce sont les deux tronçons les plus longs du nouveau canal, dont le règlement de consultation prévoit qu’un maximum de deux tronçons pouvait être attribué au même groupement.
Notre tâche est aussi de concevoir le projet de façon optimisée pour maîtriser les risques et les coûts. S’assurer que le coût du projet ne va pas déraper est très important, car les surcoûts pour les grands projets sont très fréquents, comme pour le Grand Paris qui est passé de 15 à 30 milliards d’euros.
NPI : quel sera votre calendrier pour les années à venir ?
Thierry Lestoille : Le travail de conception du canal va durer 46 mois au total : quinze mois pour l’avant-projet, qui sera bouclé en février 2021, onze mois et demi pour le projet lui-même, 19 mois et demi pour le dossier de consultation des entreprises et la mise au point des marchés. Pendant ce temps auront lieu des travaux préparatoires. Puis commenceront les grands travaux de terrassement, prévus pour durer 72 mois avec plus de 60 millions de mètres cubes de terrassement.
NPI : quelle utilisation du fluvial pourra être faite pour le chantier de construction du canal ?
Thierry Lestoille : Une partie de la mission qui nous a été confiée consiste à étudier la façon dont le canal du Nord pourra être utilisé pendant la phase de travaux, et comment recourir au mieux au transport fluvial, par exemple, pour acheminer les granulats qui seront utilisés pour la fabrication du béton.
Le canal du Nord pourra pour cela être mis à contribution, et nous étudions la création de quais sur le canal du Nord, à des endroits où son tracé est proche de celui du futur canal. Le fluvial pourra aussi être utilisé pour le transport de ciment, ou encore de chaux depuis Dunkerque, par exemple. La réflexion à ce sujet n’est pas encore faite.
Les déblais, en revanche, seront évacués au plus près du chantier. Les bateaux ne seront utilisés que si de longs trajets sont envisagés, ce qui n’est intéressant économiquement que si ces déblais sont réutilisables.
NPI : comment sera assurée la coopération entre les maîtres d’œuvre des différents secteurs, pour une bonne coordination de l’ensemble du chantier ?
Thierry Lestoille : Un groupe de travail a été créé pour la gestion de l’interface entre les différents secteurs, afin d’avoir un traitement identique de la question de l’étanchéité. Il s’est déjà réuni début décembre 2019 avec les différents maîtres d’œuvre.
Des réunions auront aussi lieu avec la maîtrise d’œuvre des écluses, qui doivent être raccord avec le canal. Enfin, pour la bon rétablissement des communications par les ouvrages d’art qui franchiront le canal (routes, autoroutes, voies ferrées), une coordination doit aussi être mise en place avec les différents maîtres d’œuvre : Sanef, SNCF et autorités responsables des réseaux routiers.
NPI : votre groupement participera-t-il aussi à l’appel d’offres concernant les écluses ?
Thierry Lestoille : L’appel d’offres pour les écluses est en cours : la maîtrise d’œuvre devrait être attribuée très prochainement pour la construction des cinq écluses, ainsi que pour la « petite » écluse de jonction avec le canal du Nord à proximité de Péronne.
Nous avons aussi candidaté sur les écluses, avec le même groupement d’entreprises mais un architecte différent : AEI. Le groupement concurrent mené par Artelia, qui a remporté le marché du secteur 1, semble très motivé aussi par celui des écluses des trois autres secteurs.
Nous pensons cependant être bien placés pour l’emporter car il y a des interactions fortes entre les écluses et le terrassement, d’autant que dans le marché des écluses, figure aussi le sujet de l’exploitation du canal Seine-Nord, avec la télé-conduite. Il est intéressant que les cinq grandes écluses soient conçues de façon identique, car cela permet d’avoir une porte de rechange pour un remplacement rapide en cas de problème.
La maîtrise d’œuvre pour le secteur 1, le plus méridional, avait déjà été attribuée par VNF en 2017, avant la création de la Société du canal Seine-Nord Europe (SCSNE).
Ce premier tronçon est différent des autres puisque l’aménagement consiste en un recalibrage du canal latéral à l’Oise entre Compiègne et Passel, au sud de Noyon, point de départ effectif de la nouvelle infrastructure. Sur ce secteur 1, les écluses font partie du marché de maîtrise d’œuvre qui a été attribué en 2017 à un groupement d’entreprises emmené par Artelia.
Il en va autrement pour les trois autres secteurs : les marchés de maîtrise d’œuvre pour les terrassements, ouvrages d’art et rétablissements de communication (TOARC), qui comprennent aussi les quais des futures plateformes multimodales, ont été attribués en trois lots, un par secteur, tandis que le maître d’œuvre pour les écluses devrait être choisi très prochainement par la Société du canal Seine-Nord Europe.
Voir aussi notre article : https://npi-magazine.com/featured/seine-nord-europe-deux-groupements-designes-pour-la-maitrise-doeuvre-des-secteurs-2-a-4/