Le port autonome de Strasbourg ne baisse pas de rythme en matière d’investissements. Il avait consacré un effort conséquent ces dernières années au site de Lauterbourg afin d’amener dans les meilleures conditions d’infrastructures la concession du nouveau terminal. La mise en place de celui-ci, mi-2018, avait mobilisé un budget de travaux de 14 millions d’euros réparti entre l’établissement public (49,7 % du total), l’État, l’Union européenne, la région Grand Est et le département du Bas-Rhin.
À présent, le port autonome concentre ses moyens sur la zone de Strasbourg qu’il n’avait, évidemment, nullement délaissée entre-temps. Outre le cas particulier du nouveau siège en cours de travaux, « deux investissements majeurs se distinguent, au bénéfice, respectivement, de la gare de triage et du terminal conteneurs sud », souligne Frédéric Doisy, directeur général délégué. Pour l’équipement ferroviaire, la modernisation d’un montant de 3,4 millions d’euros (port, État, région, département, Eurométropole), par dépose de voies et pose de 1 000 mètres de nouvelles, représentera un allègement des voies de 100 mètres en moyenne, de façon à pouvoir accueillir des trains de fret jusqu’à 750 mètres et augmenter ainsi la capacité de traitement et sa fluidité. Sont aussi compris des travaux de signalisation, l’électrification de six voies et l’installation de six appareils de voie. Le chantier retardé par le Covid-19 devrait s’achever au cours de l’automne 2020. Quant à la restructuration du terminal conteneurs sud, son coût s’élève à 12 millions d’euros. Elle recouvre, en effet, diverses composantes. La circulation est repensée afin de réorganiser les conditions d’accueil des poids lourds, source récurrente d’engorgements. Par ailleurs, la filiale Rhine Europe Terminal (RET) emménagera dans un immeuble-siège en bonne et due forme, à la place du peu efficace mix actuel de surfaces bâties vieillissantes et de constructions provisoires. Elle vise l’objectif du printemps 2021.
Importance du ferroviaire
L’établissement public strasbourgeois prépare aussi l’avenir sur le plus long terme. Sur ce point également, le ferroviaire occupe une place de choix. Le rendu d’une étude est attendu au début du quatrième trimestre 2020 sur l’évaluation de la capacité à absorber, au mieux, la hausse prévue du trafic ferré. Ce travail revêt une double dimension, quantitative et qualitative. Il consiste à évaluer la croissance possible en chiffres les plus fiables possible et, en parallèle, « d’affiner la vision par type de trafic. Derrière le terme générique ferroviaire se cachent, en effet, plusieurs réalités : transport classique par la seule voie ferrée, intermodalité, mais aussi ferroutage que nous ne pratiquons pas encore. Or nous avons des contacts avec des chargeurs et prestataires qui remontent du transport depuis l’Espagne. Dans cet exemple comme dans d’autres, Strasbourg peut-il constituer un point d’éclatement à partir de flux structurés par le ferroutage ? Notre positionnement à la croisée de plusieurs corridors européens de fret peut-il être capitalisé sur cette thématique ? Et le même questionnement vaut pour Lauterbourg, à présent », expose Frédéric Doisy. Dans ce raisonnement international, l’intention de Strasbourg de se faire une place dans le prolongement des terminus de la Nouvelle Route de la soie, Duisbourg en premier lieu, est confirmée. Et par ailleurs, les premières esquisses de l’étude confirment l’existence d’un potentiel dans toutes les directions, y compris des réserves de croissance à destination et au départ d’Anvers et Rotterdam.
La digitalisation, devenue incontournable, s’est invitée tout autant au rang des axes stratégiques. Le sujet déclenche une nouvelle étape dans la coopération transfrontalière à l’échelle des ports du Rhin supérieur, l’espace Upper Rhine Ports. Un nouveau programme européen, « RPIS 4.0. Smart community system for Upper Rhine Ports », a été lancé en janvier 2020 à Mannheim. Il bénéficie d’un budget d’1,4 million d’euros jusqu’à fin 2022, qui sera cofinancé à 50 % par l’Union européenne via les fonds Interreg.
RPIS 4.0
L’objectif consiste à élargir vers le vrac le champ d’application du système d’information RPIS mis en place pour les conteneurs : les bargeurs peuvent réserver sur une plate-forme commune leurs slots sur l’ensemble des terminaux des neuf ports de Bâle, Mulhouse, Colmar-Neuf-Brisach, Strasbourg, Weil-am-Rhein, Kehl, Karlsruhe, Ludwigshafen et Mannheim ; et au besoin les diriger vers le terminal immédiatement disponible afin d’éviter les congestions. Vice-versa, les terminaux reçoivent les réservations simultanément et ils peuvent les gérer, en fonction de la prévision d’heure d’arrivée, de temps et de volumes de manutention. « Les compagnies fluviales peuvent ainsi planifier leur programme de transport et leur parcours de chargement/déchargement dans l’ensemble de l’espace du Rhin supérieur », décrit Manfred Rausch, responsable Upper Rhine au port autonome.
L’ère du numérique ne saurait faire oublier les fondamentaux : pour naviguer, il faut de l’eau… et en quantité suffisante. L’enjeu de l’hydraulicité du Rhin, lié au changement climatique, s’est fait très concrètement ressentir d’année en année. Aussi, le port autonome a constitué un groupe de travail sur les basses eaux associant VNF, l’État (Dreal), les opérateurs fluviaux de la place et certains chargeurs. Au programme : « De la conception inventive, pour partager les éléments de connaissance de chacun et bâtir une stratégie d’adaptation », résume Emilie Gravier, directrice du développement et de la promotion portuaires. Retardés par la crise sanitaire, les travaux débutent réellement cet automne. Ils se déroulent dans le cadre d’un autre programme européen, Clim’Ability Design, doté de 3,7 millions d’euros (50 % Interreg).
Sogestran prend ses quartiers à Lauterbourg
Covid-19 oblige, le concessionnaire du terminal de Lauterbourg, Lauterbourg Rhine Terminal n’entrera dans l’opérationnel que le 1er janvier 2021, au lieu d’octobre 2020. La société, constituée à partir du groupement lauréat de l’appel d’offres du port autonome, a toutefois engagé les contacts avec les prospects. Franco-allemand, son actionnariat réunit, aux côtés du port détenteur de 30 %, le Rhénan Haeger & Schmidt, Paris Terminal qui conduit le groupement (40 %) et la CFT (Compagnie fluviale de transport).
Celle-ci constitue l’opérateur fluvial du groupe familial Sogestran (900 salariés) basé au Havre qui trouve ainsi l’opportunité d’une implantation dans le bassin rhénan en complément de la Seine, sa place forte, du Nord et du Rhône. « Les problématiques clés du projet de Lauterbourg, à savoir les conteneurs et les colis lourds, qui commencent, selon nous, à partir de 250 à 300 tonnes, constituent précisément les domaines d’expertises de la CFT, de même que la capacité à développer des services de valeur ajoutée (manutention, etc.) autour de l’activité de conteneurs », argumente Ferenc Szilagyi, directeur du multimodal et de la logistique urbaine de Sogestran. Le groupe souhaite apporter à Lauterbourg son « profil d’armateur, concepteur et exploitant de ses propres bateaux, et capable grâce aux équipes d’études d’adapter le matériel au plus près au besoin des clients », poursuit Ferenc Szilagyi. Sogestran-CFT compte aussi proposer des solutions pour une connexion directe au port belge de Zeebrugge, dont la position géographique est habituellement vue comme un handicap pour le pré-acheminement fluvial. « Sa configuration, de type estuaire, est relativement similaire à celle du Havre, que nous connaissons bien », souligne Ferenc Szilagyi.