«Nous avons lancé l’étude sur la transition énergétique de la flotte en partant de zéro début 2019 et nous sommes parvenus en 2020 à la mise en place d’un groupe-pilote pour le refit du diesel à l’électrique de 12 bateaux existants avec 12 opérateurs. Nous avons été capable de mettre en place une dynamique collective tout en permettant à chacun d’avancer individuellement, c’est exceptionnel », relève Olivier Jamey, président de la Communauté portuaire de Paris.
Les 12 bateaux représentent deux par deux les différents types d’unités utilisés sur la Seine à Paris, soit 2 bateaux de moins de 12 passagers, 2 pour la restauration, 2 pour la promenade, 2 automoteurs, 2 pousseurs, 2 bateaux de travail. « C’est un panel suffisamment important pour pouvoir entraîner une dynamique et en même temps réduit pour permettre un travail en commun », poursuit Olivier Jamey.
Deux prestataires techniques, Naviwatt et Vinci Energies/Ship Studio/Alternatives Energies, ont été sélectionnés pour apporter leur expertise aux opérateurs qui choisissent librement l’un ou l’autre et travaillent avec lui de manière individuelle pour l’évolution de leurs bateaux. « De plus, Energy Observer a accepté de participer gracieusement auprès des deux prestataires pour réaliser des études spécifiques autour de l’hydrogène ».
Depuis janvier 2020, des réunions ont lieu pour partager de manière commune les avancées des travaux de chacun. La période du confinement de mi-mars à mi-mai a perturbé les études en cours mais les résultats sont programmés pour l’été ou à l’automne au plus tard. Une fois ces 12 premiers bateaux convertis, l’étape d’après consiste à faire de même avec leurs sister-ships dans les différentes flottes des 12 opérateurs mais aussi des autres. « Nous comptons sur un effet d’entraînement et d’émulation en ayant réalisé le défrichage et montré que c’est possible ».
Les raisons du choix
Le choix de la conversion de bateaux existants vers l’électrique et non pas le lancement de constructions neuves a été fait car il répond à l’urgence du contexte de l’abandon du diesel pour les bateaux naviguant dans Paris, avec la mise en place d’une zone à faible émission (ZFE) et l’interdiction, pour les véhicules routiers, du diesel en 2024 et de l’ensemble des moteurs thermiques en 2030. Le fluvial, même s’il n’est pas concerné par ces interdictions, ne peut pas manquer le rendez-vous s’il veut conserver son rang et son image de mode de transport propre et respectueux de l’environnement par rapport à la route. Avec une pression encore plus grande pour les bateaux à passagers, puisque les clients sont aux premières loges pour respirer la pollution des fumées d’échappement.
Une autre urgence en termes de calendrier est celle de 2024 avec la Seine au cœur des Jeux Olympiques organisés à Paris, « nous devons être exemplaire », souligne Olivier Jamey. Il rappelle que ce sont 141 bateaux à passagers, non électriques et appartenant à des opérateurs privés, qui naviguent sur la Seine dans le bief de Paris, sur les canaux Saint-Martin, Saint-Denis et de l’Ourcq.
Le choix du refit s’inscrit dans une logique d’économie circulaire de réutilisation des bateaux existants plutôt que de procéder à leur déchirage ce qui est aussi synonyme de perte de valeur. Avec 141 bateaux à remplacer par des constructions neuves et zéro émissions, le niveau d’investissement nécessaire est trop élevé pour les acteurs de manière individuelle, le refit est donc également un choix économique. Il ne faut oublier qu’au-delà des bateaux, il faut aussi prévoir les infrastructures de rechargement à terre. Les infrastructures aux escales font l’objet d’une étude de Ports de Paris avec un déploiement prévu pour coïncider avec la mutation des premiers bateaux. L’approvisionnement de courant aux ports d’attache s’effectuera soit par les bornes préexistantes si elles suffisent, soit par des équipements nouveaux à la charge de chaque amodiataire (voir p. 10-11).
Le refit est un choix pour une raison technique : si en France, il y a beaucoup de compétence autour des bateaux électriques, aucun acteur n’a les capacités de répondre aux besoins importants des opérateurs fluviaux de la Seine à Paris.
« Il faut aussi prendre en compte le cadre réglementaire qui est bâti pour un maximum de sécurité avec l’utilisation de moteurs thermiques et doit être adapté aux bateaux électriques. L’arrêté zone restreinte permet dans un premier temps de répondre aux besoins mais il faut ensuite une homologation pérenne au niveau européen. Il y a aussi la partie concernant les financements bancaires et les subventions. Pour permettre une transition écologique rapide de la flotte, il faut à la fois un engagement individuel de chacun et un effort collectif, une mutualisation pour porter les dossiers collectivement auprès des différentes institutions ou organismes. Nous avons réussi à allier individuel et collectif. Pour faire bouger les lignes, sur certains aspects, par exemple réglementaires ou pour le branchement à quai, il faut agir collectivement. Par exemple, c’est de manière collective que l’évolution du Pami va pouvoir se faire en intégrant les bateaux à passagers dans le volet A et non plus seulement dans le volet D », explique Olivier Jamey.
Concernant les aides et les subventions possibles, un partenariat a été signé avec la CDC qui apporte son savoir-faire juridique et financier. Il se trouve que la CDC est aussi l’institution désignée par l’Union européenne comme « implementing partner » en France dans le cadre d’un appel d’offres qui peut permettre d’obtenir 20 % d’aides pour le projet de transition énergétique de la flotte conduit par la CPP. Pour convaincre les armateurs de s’engager dans la transition énergétique le plus rapidement que possible, la Communauté portuaire de Paris vise la neutralité financière : investissement et fonctionnement confondus, le passage à l’électrique ne doit pas coûter plus cher sur la longue durée que le thermique. C’est pour cela que la première partie de l’étude a porté sur les conditions techniques et financières du passage à l’électrique pour la flotte actuelle.
Neutralité financière
« Notre objectif est de parvenir à la neutralité financière entre les bateaux thermiques et électriques, c’est-à-dire que les seconds ne soit pas plus chers financièrement que les premiers. Pour les exploitants, l’impact économique doit être neutre. Pour y parvenir, la compensation va venir des subventions et des aides publiques pour atteindre des coûts équilibrés, donc neutres, avec le passage à l’électricité ». Là aussi, l’action collective est privilégiée pour bâtir des solutions de financement et obtenir toutes les aides publiques possibles. Les bornes de rechargement à terre font l’objet de subventions. Une fiche Certificat d’économie d’énergie est en cours de mise en place avec la DGEC et l’Ademe à la demande de la ministre Elisabeth Borne. Les bornes sont, par ailleurs, comme les motorisations éligibles au sur-amortissement fiscal (loi de Finances de 2020).
Pour le moment, la démarche de la Communauté portuaire de Paris a suscité l’intérêt de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR). Olivier Jamey précise : « Nous travaillons avec la CCNR qui nous a contacté car elle conduit une étude au niveau européen sur la mutation des flottes. Nous parlons aussi avec des opérateurs installés dans différentes régions en France. Nous sommes aussi en contact avec le Cluster maritime français qui a lancé une étude en novembre 2019 sur les évolutions de navires. Il y a des similitudes entre le maritime et le fluvial dans le contexte de la transition écologique. Il serait dommageable que les deux filières ne travaillent pas ensemble. Plus on est, mieux c’est. Une approche collective sert les intérêts de tous ».