En 2016, VNF contacte des fabricants et loueurs de bateaux, pour leur soumettre l’idée d’un bateau électrique pour la location. L’idée enthousiasme Nicols et Les Canalous, qui présentent tous deux la caractéristique d’être à la fois des loueurs d’envergure nationale, et de posséder chacun son propre chantier de construction : à Cholet pour l’un, à Digoin pour l’autre. Les deux loueurs s’engagent à fabriquer un prototype de bateau électrique, et à le proposer à la location sur le bassin du Nord de l’Alsace, où chacun d’eux dispose de deux bases de location, confirmant ainsi l’intérêt d’une offre éco-touristique sur cette destination, troisième bassin français pour la plaisance locative, et très fréquentée par les touristes allemands et suisses. VNF, de son côté, implante une dizaine de bornes électrique pour la recharge de ces bateaux le long des 120 km de l’itinéraire.
Une offre éco-touristique
Le coût est important pour VNF : de l’ordre de 400 000 euros pour le développement, la fourniture et l’installation des dix bornes, réparties à raison d’une tous les 10 km environ. Le choix a été fait de bornes classiques, similaires à celles existant déjà dans les ports de plaisance pour la fourniture d’électricité aux bateaux à quai. Elles ne sont pas destinées aux bateaux de fret, ni aux péniches-hôtel qui ont des besoins plus importants en électricité, mais constituent en revanche un démonstrateur à échelle réelle de la possibilité d’un tourisme fluvial électrique. « Nous voulions montrer aux loueurs qu’ils peuvent investir dans ce type de bateau, et aux clients que cela fonctionne », indique Ségolène Ricart-Vampouille.
Un accord a été passé avec les deux loueurs en juin 2016, une étude a ensuite été cofinancée par les 3 partenaires, avec l’assistance d’un spécialiste des bornes de recharges pour véhicules électriques, domaine où le retour d’expérience est plus important que dans celui des bateaux électriques. Les bornes étaient toutes installées en mars 2018, certaines dans les bases des loueurs, d’autres dans des emplacements qu’ils ont défini en fonction des escales habituelles de leurs clients. Le plein d’électricité, chargé en 2 heures, permet de naviguer 6 à 8 heures, ce qui n’impose pas de recharger tous les jours.
En parallèle, les deux loueurs ont chacun construit un prototype de bateau électrique. Nicols a été le premier à mettre le sien en location, dès la saison 2018 : le Sixto Green, réplique avec batterie d’un modèle préexistant avec moteur thermique, conçu pour six personnes. En 2019, c’était au tour des Canalous de proposer à la location la Péniche S, bateau de cinq cabines pour dix personnes. « La batterie lithium-ion est la solution la plus facile techniquement pour un bateau zéro émission, et cela attire d’ailleurs une clientèle dotée de voiture électrique, sensibilisée à l’environnement, qui ne serait peut-être jamais venue au tourisme fluvial sans un bateau électrique, explique Corinne Dufaud, responsable de la centrale de réservation de Nicols. La répartition des bornes permet un amarrage forain, pour un pique-nique ou pour la nuit. Il était important que les gens aient la liberté de s’arrêter où ils veulent, sans fil à la patte. Les retours des clients sont très bons, tant du point de vue de l’autonomie que pour la facilité d’utilisation des bornes. Ils trouvent la solution électrique très cohérente avec le tourisme fluvial : moins de pollution et aucun autre bruit que le clapotis de l’eau sur la coque. Nous souhaitons maintenant décliner la motorisation électrique pour d’autres tailles de bateaux. D’abord, pour l’Alsace, pour utiliser les bornes existantes, mais aussi pour d’autres régions qui nous ont approchés et qui envisagent aussi l’installation de bornes électriques ».
Rentabiliser l’investissement
Avant d’étendre la démarche à d’autres bassins, VNF veut s’assurer qu’en Alsace l’utilisation ne se limite pas aux deux bateaux actuels, et que l’important investissement soit rentabilisé. À partir de 2020, les bornes seront utilisables par tous les bateaux, VNF espérant que d’autres loueurs proposeront sur ce bassin des bateaux électriques.
Si le besoin se fait sentir, et surtout si la flotte de bateau électrique disponible à la location s’étoffe, l’expérience pourrait ensuite être étendue à d’autres canaux, à commencer par la Bourgogne et le canal du Midi, où la fréquentation est la plus importante. Mais cela ne se fera pas sans le soutien financier des collectivités. Pour la Sarre et le canal de la Marne au Rhin, VNF a gardé la main pour pouvoir installer très vite les bornes. Mais il est peu probable que VNF finance seul le déploiement de bornes électriques à destination des bateaux de location sur tout son réseau, l’établissement public n’en ayant tout simplement pas les moyens.
« L’installation le long des voies d’eau de bornes électriques destinées aux bateaux de tourisme fluvial ne fait pas l’objet d’un projet global, car les situations et les besoins sont très différents d’un lieu à l’autre », confirme le directeur général de VNF, Thierry Guimbaud, qui souligne que « l’alimentation électrique pour la recharge des bateaux électriques de location sur la Sarre constitue une première mondiale pour des bateaux de cette taille. Il s’agit pour l’instant d’une expérimentation, et nous travaillons à déterminer si une telle opération peut être réalisée sur d’autres secteurs. Le courant de quai pour les bateaux de fret répond à une autre problématique : celle de la pollution en milieu urbain, avec, par exemple, le déploiement par VNF et Haropa de 13 bornes électriques sur la Seine, permettant aux bateaux de ne pas allumer leurs groupes électrogènes une fois amarrés au port. Enfin, un troisième sujet reste à travailler : celui des bateaux de croisière, fortement consommateurs d’électricité lorsqu’ils sont à quai. Cela nécessite une puissance considérable, il faut donc revoir toute l’alimentation électrique de la zone concernée, avec des investissements très importants qui devront être partagés ».