La navigation intérieure européenne passée en revue

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La publication de deux rapports annuels portant sur la navigation intérieure à l’échelle européenne éclaire sur l’état des lieux du fluvial et sur les perspectives économiques et politiques en la matière. Deux organismes européens ont publié fin septembre 2020 leurs rapports annuels : d’une part, la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR), qui dresse un état des lieux économique du marché de la navigation intérieure à l’échelle du continent, et, d’autre part, l’association Inland Navigation Europe (INE), qui représente à Bruxelles les gestionnaires de voies navigables intérieures. Comme chaque année, le rapport d’Inland Navigation Europe fait le point sur la politique de l’Union européenne en matière de navigation intérieure, avec une attention particulière pour cette édition 2019 sur l’avenir des programmes Naiades et Horizon Europe, qui détermineront l’engagement de Bruxelles en faveur du fluvial.

18 membres pour INE

Deux nouveaux membres ont fait leur entrée dans Inland Navigation Europe en 2019. D’une part le conseil régional de Carélie du Sud (Sud-Est de la Finlande) qui, à travers son projet « naviSaimaa », développe la navigation intérieure pour le fret comme pour les passagers sur le lac Saimaa et le canal de Saimaa, qui relie le lac au golfe de Finlande. D’autre part Trafikverket, l’administration suédoise des transports, responsable de la planification de long terme et du financement des infrastructures de transport en Suède, qui prévoit notamment la construction de deux écluses à Södertälje et Trollhättan. Ces deux nouvelles adhésions portent à 18 le nombre de membres d’Inland Navigation Europe (INE). Ces adhérents sont originaires de 14 pays membre de l’Union européenne : Allemagne, Autriche, Belgique, Finlande, France, Hongrie, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovaquie et Suède. INE publie une intéressante carte recensant tous les travaux d’infrastructure en cours ou prévus dans ces différents pays. {{IMG:1}}

Bien que se basant sur des chiffres datant de 2018, le rapport d’Inland Navigation Europe apporte d’intéressantes comparaisons sur l’évolution des tonnages et des parts modales du transport de marchandises par navigation intérieure dans les différents pays de l’Union européenne. En tonnage, ce sont, sans surprise, les Pays-Bas (359 Mt) qui caracolent en tête, suivis de la Belgique (205 Mt) et de l’Allemagne (198 Mt), la France (60 Mt) n’arrivant qu’en quatrième position devant la Roumanie (30 Mt) et la Bulgarie (15 Mt). Si l’on considère les tonnes-kilomètres (tkm), qui reflètent à la fois le tonnage et la distance des trajets effectués, l’Allemagne (46,9 milliards de tkm) fait presque jeu égal avec les Pays-Bas (47,3 milliards de tkm), tandis que la Roumanie (12,3 milliards de tkm) se classe devant la Belgique (11,4 milliards de tkm) et la France (7,3 milliards de tkm), qui devance de peu la Bulgarie (4,9 milliards de tkm).

Au jeu des parts modales du fluvial, les Pays-Bas reprennent une grande longueur d’avance : la navigation intérieure y transporte 43 % des marchandises, contre 27 % en Roumanie, 25 % en Bulgarie, 16 % en Belgique et seulement 7 % en Allemagne. La France, avec une part modale de 2,3 % pour la voie d’eau, ne se classe qu’en dixième position des pays de l’Union européenne. INE précise que « 53 % du trafic fluvial de l’Union européenne est transfrontalier, ce qui souligne le caractère européen unique de la navigation intérieure ».

Le rapport d’Inland Navigation Europe passe en revue les politiques européennes en matière de transport, se réjouissant du lancement du « Pacte vert » (Green Deal) par la Commission en décembre 2019, ou encore du nouveau programme de recherche et d’innovation Horizon Europe pour 2021-2027 : « Pour la première fois, le climat, l’énergie et les mobilités seront dans le même groupe de recherche. INE espère que cela permettra des synergies car les trois thèmes sont importants pour l’avenir de la navigation intérieure ».

Parmi les priorités d’INE en matière de politique européenne de transport, on retrouve la poursuite au-delà de 2020 du programme Naiades, l’amélioration du réseau navigable et l’intégration de mesures de résiliences climatiques dans le réseau transeuropéen de transport (RTET), ou encore une meilleure prise en compte de la navigation intérieure dans la stratégie d’adaptation climatique de l’Union européenne. La modernisation de la flotte et des infrastructures est aussi à l’agenda d’Inland Navigation Europe : numérisation, interopérabilité, multimodalité et transition énergétique feront l’Europe fluviale de demain.

Économie fluviale européenne

La Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) a publié son rapport annuel 2020 sur la navigation intérieure européenne. Cette Observation du marché, réalisée en partenariat avec la Commission européenne, porte sur l’année 2019 et ne concerne pas seulement le Rhin, mais aussi l’ensemble des voies de navigation intérieure européennes, s’appuyant pour cela sur Eurostat et sur les chiffres fournis par chaque pays.

« Les conditions macroéconomiques générales ont rendu difficile une augmentation des quantités transportées en 2019 », indique la CCNR, qui ajoute que « la crise de la Covid-19 du début d’année 2020 a eu un impact majeur pour le secteur » : cet aspect important, bien que ne concernant pas les données de l’année 2019, est également abordé dans le rapport annuel 2020.

L’économie européenne en 2019 a été marquée par les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis. Les transports européens de céréales ont été peu affectés, mais les secteurs de l’automobile et de la sidérurgie ont été touchés. Ainsi, le transport de minerai de fer sur le Rhin, qui avait progressé de 2013 à 2017 pour atteindre 26 Mt par an, a diminué au cours de deux années suivantes, redescendant à 21,6 Mt en 2019, en partie aussi en raison des basses eaux estivales.

La CCNR constate : « En 2019, le transport de fret sur le Rhin traditionnel a augmenté de 6,4 % par rapport à l’année précédente, où les basses eaux avaient infligé des pertes au transport de marchandises. Pourtant, le résultat en 2019 était encore inférieur de 6,4 % à celui de 2017. La reprise n’a pas pu aboutir en raison, d’une part, de pertes de parts modales et, d’autre part, d’un climat macroéconomique peu favorable. En Europe occidentale, plusieurs segments de marchandises ont présenté en 2019 des résultats inférieurs par rapport à 2018. Tel était notamment le cas du charbon et du minerai de fer. Les segments affichant une hausse étaient celui des produits chimiques (dans tous les pays) et, en partie, celui des sables, pierres et graviers (en France et en Allemagne). Ce dernier subissait par ailleurs, une baisse aux Pays-Bas et en Belgique en raison des politiques environnementales mises en œuvre. Sur le Danube, le transport de minerai de fer a augmenté en 2019, tout comme celui des produits agricoles, alimentaires et fourragers. Ensemble, les segments de l’acier et de l’agribulk totalisent 60 à 70 % des volumes transportés sur le Danube ».

Dans le domaine des conteneurs, les situations sont très variées selon les bassins de navigation. Sur le Rhin, le report des boîtes sur le rail suite aux basses eaux de 2018 a continué à jouer en 2019, avec une baisse de 4 % du nombre de boîtes (2,04 MEVP), probablement due aussi à la congestion des ports d’Anvers et de Rotterdam. La CCNR note cependant que le poids des marchandises conteneurisées a augmenté dans le même temps de 4 %. Sur les autres bassins, mise à part la baisse de 1 % sur la Seine (263 000 EVP), la hausse a été quasi généralisée : + 1,8 % sur le canal Bruxelles-Escaut (201 000 EVP), + 9,5 % sur le canal Albert (577 000 EVP), + 12 % sur le Mittellandkanal (157 000 EVP), + 13 % sur l’Elbe (146 000 EVP).

La Belgique est le seul pays d’Europe où les prestations de transport fluvial ont baissé en 2019 par rapport à 2018. Pour les autres pays, la progression est particulièrement nette en Allemagne, qui avait souffert il est vrai des basses eaux du Rhin en 2018, ainsi que dans le Danube inférieur. L’Allemagne (50,9 milliards de tkm) repasse ainsi au palmarès devant les Pays-Bas (47,5 milliards de tkm), tandis que le reste du classement reste inchangé avec la Roumanie (13,9 milliards de tkm) devançant la Belgique (10,9 milliards de tkm), la France (8,0 milliards de tkm) et la Bulgarie (5,8 milliards de tkm). Le total des prestations de transport fluvial n’atteint que 144 milliards de tkm en 2019 : cela constitue certes une croissance par rapport à 2018, mais reste inférieur aux transports constatés au cours de la décennie précédente, où le fluvial était reparti à la hausse après le trou d’air de 2009.

Une flotte rhénane plus nombreuse

Pour la première fois depuis 2011, le nombre de barges et d’automoteurs a augmenté sur le Rhin en 2019. La flotte rhénane pour cargaison sèche compte 7 033 unités, soit 1 % de plus qu’en 2018, pour une capacité de 10,6 Mt, en hausse de 2,6 %, qui reste cependant inférieure à la capacité de la flotte entre 2009 et 2013. Les Pays-Bas totalisent à eux seuls 50 % de cette flotte. « Le nombre de bateaux à cargaison sèche dans les pays rhénans était de 7 033 en 2019, contre 7 776 en 2012. La réduction sur cette période a été la plus forte en termes relatifs en France, où le nombre de bateaux a diminué de 246 unités, soit 20 %. Dans les trois autres pays, le pourcentage de réduction était de 6 à 8 % », indique la CCNR.

En ce qui concerne la flotte citerne, les pays rhénans comptaient 1 433 unités en janvier 2020, dont 1 111 bateaux-citernes de type ADN. La part des bateaux néerlandais dans ce total atteint 54 %. On constate une diminution constante du nombre de bateaux-citernes depuis 2010 : la flotte totalisait alors 1 730 unités. Dans le même temps, la capacité totale de la flotte n’a que peu varié, s’établissant en 2019 à 3 Mt. « La forte croissance économique qui a précédé 2009 et la nécessité de transformer la flotte à simple coque en flotte à double coque ont augmenté la capacité de chargement de la flotte d’environ 1 Mt en seulement cinq ans, entre 2005 et 2010, soit de près de 50 %, souligne la CCNR. Après 2010, le taux de nouvelles constructions a fléchi, les bateaux à simple coque ont progressivement quitté le marché et le nombre de bateaux s’en est donc trouvé réduit. Cependant, la capacité totale de la flotte est restée plus ou moins constante, dans la mesure où les bateaux qui quittaient la flotte étaient petits et les nouveaux bateaux qui arrivaient sur le marché étaient pour la plupart de grande taille ».

Covid-19 et croisière fluviale

La croisière fluviale en Europe a été touchée de plein fouet par la crise de la Covid-19, alors qu’elle connaissait depuis plusieurs années un essor très important. L’année 2019 a vu l’entrée en flotte de 19 nouveaux bateaux, d’une capacité moyenne de 165 passagers. Le nombre de passagers atteint 1,79 million, soit 10 % de plus que l’année précédente. L’arrêt d’activité a été quasi-total au premier semestre 2020. Pour le transport de marchandises, l’activité devrait, pour l’ensemble de l’année 2020, baisser de 20 à 25 % par rapport à 2019.

Le rapport de la CCNR apporte aussi des informations sur les perspectives de long terme du transport fluvial en fonction des marchandises transportées : « La transition énergétique continuera d’avoir un effet important sur les volumes transportés en navigation intérieure. Cela concerne en particulier le charbon. Les produits pétroliers liquides resteront une composante importante du secteur de l’énergie et des volumes de navigation intérieure pour la prochaine décennie, mais certaines régions connaissent un déclin progressif. Pour les produits chimiques, les perspectives sont nettement plus positives. En ce qui concerne les produits agricoles et les denrées fourragères, une certaine régionalisation et un changement des habitudes de consommation davantage en faveur des produits régionaux devraient avoir une incidence sur le transport longue distance. Un nouveau ralentissement du commerce mondial devrait avoir un impact sur les taux de croissance du transport de conteneurs. La crise due au Covid-19 ira dans le même sens que ces tendances existantes. »

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