En 2017, la Cour des comptes publiait contre la Chambre nationale de la batellerie artisanale (CNBA) un référé très sévère : « gestion négligente », « ressources sous-utilisées », « défaillances dans l’exécution de ses missions », etc. La Cour accusait aussi la CNBA, établissement public, de prendre « des positions souvent dissonantes par rapport à VNF ou à l’État », illustration de l’ambiguïté des missions de cet établissement public, à la fois chambre des métiers des bateliers et outil de représentation de ces artisans du transport fluvial. La charge de la Cour des comptes a été suivie d’effet puisque la recommandation de sa fermeture pure et simple a été suivie par le gouvernement, qui a introduit dans la loi de Finance adoptés en décembre 2018 la suppression de la CNBA et de la taxe qui finançait son fonctionnement.
La CNBA ayant disparu, fermée officiellement en juillet 2019, ce sont les hommes et femmes qui la faisaient fonctionner qui ont été appelés à s’expliquer. Président de la CNBA de 2004 jusqu’à sa fermeture en juillet 2019, Michel Dourlent était poursuivi devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Ce qui lui était reproché ? En premier lieu, des dépenses n’entrant pas dans les attributions de la CNBA : « Entre 2012 et 2014, la CNBA a versé, sur décisions de son président, des aides afin de soutenir des activités menées par des établissements scolaires et l’organisation de pardons de la batellerie », indique l’arrêt rendu le 20 mai 2020 par la Cour, qui précise que « les subventions versées à hauteur de 31 497,14 € à des établissements scolaires accueillant des enfants de bateliers étaient exclusivement destinées à financer diverses activités périscolaires, sans rapport avec la batellerie, et offertes à l’ensemble des élèves d’une même classe. Ces subventions, d’un montant modique par enfant, ne bénéficiaient pas spécifiquement aux familles des bateliers et ne peuvent donc pas être regardées comme une forme d’aide apportée par la CNBA en complément de sa mission ».
Des dépenses hors des attributions de la CNBA, selon l’arrêt de la Cour
Seconde entorse aux règles des dépenses publiques retenue par la Cour de discipline budgétaire et financière : la participation au voyage des Nautes. Organisée chaque année par l’association des Nautes, cette croisière est à la fois l’occasion de découvrir de nouveaux horizons fluviaux, et de faire se rencontrer tous les acteurs du monde fluvial. Incontournable pour le secteur du transport par voie d’eau, ce voyage professionnel est une véritable institution depuis plus de trente ans, et une des seules occasions de rassembler toute la filière.
La CNBA, qui y voyait un voyage d’étude, prenait en charge le coût du voyage pour son président, certains administrateurs et les lauréats les plus méritants des écoles de navigation intérieure afin, selon une décision de son conseil d’administration en 2014, de remplir « sa mission de représentation des intérêts généraux de la batellerie artisanale ». Voyage d’étude ? Voyage d’agrément ? La Cour tranche en faveur de la seconde hypothèse, et juge la participation à ces voyages « sans lien avec le mandat exercé et les besoins de l’établissement ». Elle estime donc infondée la prise en charge des frais de voyage par la CNBA, ainsi que les indemnités journalières versées à son président pour sa participation.
Les professionnels du fluvial ayant eu l’occasion de participer au voyage des Nautes apprécieront : ont-ils tous participé à ces voyages pendant leurs congés, et sur leurs deniers personnels ? La règle, dans ce genre d’évènement professionnel, est généralement que les participants s’inscrivent aux frais de leur employeur, tandis que les conjoints payent leur voyage. La décision de la Cour de discipline budgétaire ne manque donc pas d’étonner parmi les professionnels du fluvial, qu’ils aient ou non l’habitude de participer au voyage des Nautes.
Des circonstances atténuantes reconnues par la Cour
Est encore reproché à l’ancien président de la CNBA le remboursement de frais de déplacement excessifs entre son domicile et son lieu de travail. Pour les trois infractions retenues contre lui, il se voit infliger une amende de 1000 €. Nous ne savons pas s’il fera appel de cette décision, qu’il n’a pas souhaité commenter dans nos colonnes.
La Cour de discipline budgétaire et financière lui reconnaît plusieurs circonstances atténuantes. En ce qui concerne les subventions aux établissements scolaires, il s’agit d’une « pratique ancienne que le président de la chambre n’a fait que poursuivre ». Quant au financement par la CNBA du voyage des Nautes, il y a été mis fin dès que la Cour des comptes en a pointé l’irrégularité dans son référé de 2017.
Enfin, et c’est peut être l’élément le plus important, la Cour de discipline budgétaire et financière note que « le dossier ne porte trace d’aucune observation faite par le commissaire du gouvernement placé auprès de la CNBA sur les décisions litigieuses, alors même qu’il participait à la préparation des délibérations et qu’il assistait au conseil d’administration. » Les dysfonctionnements constatés par la Cour ne relèvent donc pas d’une intention frauduleuse de la part de l’ancien président de la CNBA, aujourd’hui condamné, mais d’un défaut de pilotage par l’État de cet établissement public.
Moins connue que la Cour des comptes, la Cour de discipline budgétaire et financière en est en quelque sorte le pendant répressif. La première épluche les comptes publics, qu’il s’agisse de ceux de l’État ou des entreprises ou établissement publics, veille à leur régularité et en informe le Parlement et l’opinion publique.
Ses rapports n’ont cependant pas de valeur contraignante.
La Cour de discipline budgétaire et financière, qui partage les mêmes locaux et le même président que la Cour des comptes, ne juge pas les comptes mais les comptables. Ses arrêts, cinq par an en moyenne, peuvent viser toute personne administrant des fonds publics et se solder par de lourdes amendes. Ils peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.