NPI : Quel sera le coût du pousseur à hydrogène CFT ?
Steve Labeylie : S’agissant d’un projet partenarial, nous ne connaissons pas le coût réel du bateau complet car on ne paye pas les éléments fournis par nos partenaires. Dans l’hypothèse d’un retrofit GNL, on évoquait un surcoût d’1 à 2 M€ : on est ici à un niveau supérieur. Le surcoût est énorme car on part de rien, et cela nécessite énormément de travail de la part de nos partenaires comme au sein de notre bureau d’études interne au groupe Sogestran. Il n’y a ni réglementation, ni expérience chez les fournisseurs, les bureaux d’études ou l’administration. Ce bateau est forcément cher car c’est le premier. On fait un saut en avant et on se projette très loin, vers le zéro émission.
NPI : Quel sera le coût du pousseur à hydrogène CFT ?
Steve Labeylie : On le souhaite, pour avoir à l’avenir un moindre effet négatif sur le plan environnemental. Mais quel sera le calendrier ? La technologie est-elle mûre pour une production en série ? Pas encore, car il n’y a pas d’infrastructure de fourniture de l’hydrogène à grande échelle, même si chaque région y travaille. Par ailleurs, le contexte économique fait que l’on ne peut pas vendre commercialement une technologie aussi coûteuse. L’équipement et le carburant coûtent très nettement plus cher que le diesel, donc la rentabilité ne viendra pas à court ni moyen terme.
Il s’agit donc d’un projet de très long terme, et nous ne savons pas encore quelle suite aura ce projet. Mais nous avons besoin d’un retour d’expérience pour montrer que ça fonctionne : l’important est de le faire et d’apprendre.
NPI : Hormis l’hydrogène, quelles sont les autres solutions d’avenir pour le fluvial ?
Steve Labeylie : À l’heure actuelle, la seule autre solution zéro émission, c’est le bateau électrique sur batterie. Nous n’avons pas de projet en la matière, mais cela fait partie des réflexions que l’on mène. Une des difficultés est l’infrastructure électrique pour recharger les batteries avec une puissance importante.
Nous menons aussi des réflexions sur le gaz naturel liquéfié (GNL), tout en étant assez circonspects. Une dizaine de bateaux dual fuel ont été construits ou retrofités en Europe, avec un surcoût important à l’investissement pour les citernes, le moteur et leur installation à bord. Depuis trois ans il n’y plus de nouveaux bateaux GNL, et beaucoup de ceux qui existent utilisent principalement du gasoil, qui est moins cher que le gaz. De plus, le GNL est une énergie fossile. Subir un tel surcoût tout en restant sur un carburant carboné pose question. Sera-t-il possible de bio-sourcer ce gaz ? Il n’y a pas de réponse claire, et la méthanisation pourrait aller en priorité vers le GNC.
NPI : L’hybridation diesel-électrique pourrait-elle constituer une solution de transition, puisqu’une fois la propulsion électrique installée, l’alimentation électrique pourra être remplacée le moment venu par une source dé-carbonée ?
Steve Labeylie : Le problème du diesel-électrique est le rendement, amputé par les transformations successives entre l’énergie mécanique et électrique. Pour les bateaux faisant de la ligne avec peu de variation de régime, il n’est pas intéressant car cher à l’achat et consomme davantage. Pour les bateaux faisant peu de kilomètres mais beaucoup de manœuvres avec des variations de puissances, ou ceux ayant une grande consommation électrique, c’est une solution intéressante car le même moteur fait tout. C’est le cas dans notre flotte du Sandre, automoteur auto-déchargeant qui livre du ciment le long de la Seine. Le diesel-électrique n’est pas intéressant en retrofit, car très cher et compliqué à installer, demandant beaucoup de modifications.
Néanmoins, c’est probablement le modèle qui va s’imposer pour les constructions neuves, pour sa capacité à introduire de nouvelles énergies à bord : le gazole aujourd’hui, le GNC demain, puis le GNL, puis l’hydrogène, ou un mélange de plusieurs sources d’énergie, ou une hybridation avec un pack de batteries… C’est donc en effet une solution intéressante pour la transition énergétique pour son aspect modulaire, avec d’un côté la production d’énergie électrique, et de l’autre la propulsion. Comme on construit un bateau pour plusieurs décennies, le diesel-électrique, malgré son surcoût, va commencer à s’imposer dans une optique de neutralité carbone. Il présente aussi un intérêt dans le cadre du règlement EMNR, car il est plus facile de trouver un groupe électrogène EMNR qu’un moteur à régime variable.
NPI : Depuis mai 2020, vous testez l’Oleo100, agro-carburant produit par Saipol à partir d’huile de colza ?
Steve Labeylie : Avitaillé le 29 mai 2020 à Gennevilliers, le Sandre est le premier bateau fluvial à utiliser l’Oleo100 comme carburant. L’objectif est de réduire l’empreinte environnementale du transport fluvial, et en particulier de trouver des étapes intermédiaires vers un transport entièrement décarboné. De ce point de vue, l’Oleo100 est prometteur puisqu’il permet une réduction de 60 % des émission de CO2 du puits à la roue ou plutôt, en l’occurrence, du champ à l’hélice. Nous franchissons ainsi une étape majeure, d’autant plus facilement que ce carburant est utilisable tel quel sur tous nos moteurs si l’on en croit l’utilisation qui en est faite en transport routier. Nous devons encore voir s’il présente des contraintes d’utilisations particulières en fluvial, par exemple pour l’entretien des moteurs puisqu’il a une capacité détergente supérieure au gasoil, ou encore pour le stockage qui est plus long dans les soutes de nos bateaux que dans les réservoirs des camions.
Doté d’une pile à hydrogène fournissant 400 kW, le pousseur Flagships de la CFT disposera de deux moteurs de 300 kW, le surplus d’énergie étant fourni par une batterie embarquée, qui permettra en outre d’encaisser les variations de charge rapide que nécessite la navigation fluviale, surtout sur un fleuve exigeant comme le Rhône.
Le bateau sera utilisé par la CFT pour remplacer le Triomphant, pousseur de manœuvre qui achemine sous les portiques du port Édouard-Herriot les barges à conteneurs des convois du Rhône, les pousseurs de ligne se concentrant ainsi sur le trajet Marseille-Lyon. Le nouveau pousseur naviguera aussi sur le Rhône et la Saône pour déplacer la déchetterie fluviale River Tri entre le port et le centre-ville de Lyon.
L’approvisionnement en hydrogène sera assuré par la station multi-énergies vertes, en cours de construction dans le site du port de Lyon-Édouard-Herriot, où sera assuré le remplissage à 350 bars du réservoir amovible placé sur le pont du pousseur. Le bateau disposera ainsi d’une autonomie de dix à quinze jours. Un logement pour quatre personnes est prévu à bord.