« Slow is fast »
Convoquant l’art, la culture, les représentations du fluvial à travers le cinéma, avec à l’appui de son discours des projections des affiches de L’Atalante et de L’Homme du Picardie, Jean-Robert Mazaud veut montrer que la culture du fluvial est bel et bien présente dans nos mentalités, et ne demande qu’à se transformer en report modal. « Un nouveau canal, c’est une nouvelle Europe, et cela fait plus pour l’Europe que des élections », déclare-t-il à propos de Seine-Nord-Europe, alors que les représentants au Parlement européen viennent d’être renouvelés. « Ceux qui ont construit le pont-canal de Briare ou l’échelle d’écluses de Fonseranes avaient de l’audace, disaient « le futur nous sourit ». Bref, ils nous donnent une leçon du futur » Jean-Robert Mazaud a conclu son propos avec un nouveau slogan pour le transport fluvial : en référence au « Less is more » cher à Ludwig Mies van der Rohe, directeur du Bauhaus, qui a influencé l’architecture depuis près d’un siècle, l’architecte propose pour le fluvial : « Slow is fast ».Projets innovants : quels financements ?
Les projecteurs ont aussi été braqués sur des projets plus concrets de développement du transport fluvial, avec une table ronde sur le financement du verdissement du secteur fluvial, et les modèles économiques qui y sont associés. Aurélie Pavageau, directrice d’agence de Suez recyclage, a ainsi présenté la déchetterie fluviale mise en place à Lyon, avec la CNR, VNF, et la CFT pour le poussage. Un projet de 2,4 M€, dont 1,6 M€ de subvention publique, en expérimentation depuis un an et demi. L’objectif affiché est d’ouvrir une deuxième déchetterie flottante, toujours sur la Saône, avec en ligne de mire l’appel d’offres que lancera Lyon métropole à ce sujet. Et la perspective d’utiliser un pousseur électrique propulsé à l’hydrogène, la CFT travaillant sur le sujet (voir le premier compte-rendu du colloque).
Gilles Manuelle a détaillé son projet Fludis, consistant à faire naviguer sur la Seine un entrepôt flottant, pour la préparation de commandes à bord et la livraison dans Paris de petits colis en vélos cargos. Le bateau, dont la construction s’achève, doit naviguer à partir de septembre 2019 avec trois chargeurs remplissant sa cale dès le démarrage. Un investissement de 3,4 M€ a été nécessaire pour ce projet, dont 2,4 M€ pour le seul bateau, muni de deux propulseurs électriques et d’un parc conséquent de batteries, mais qui est aussi équipé d’un groupe électrogène. La somme a été difficile à réunir, avec une incertitude sur l’utilisation du bateau en cas d’échec, et un retour sur investissement forcément long. « C’est un projet crédible, avec un engagement des chargeurs, et qui ne demande pas de financer l’innovation mais son déploiement », souligne pourtant Gautier Chatelus, directeur infrastructure et transport de la Banque des territoires, filiale de la Caisse des dépôts, qui participe au financement. « Nous privilégions la longue durée justement pour pouvoir investir davantage et rentabiliser sur le long terme. Nous finançons les projets importants en investissant au capital de la société, avec un remboursement possible en dividendes ou en intérêts ».
« Un tiers de trois bateaux »
La question de l’investissement nécessaire pour renouveler la flotte et la rendre plus efficace du point de vue environnemental a aussi été abordée, avec le témoignage de Jimmy Humbert, marinier et gérant de Trans Fluvial Négoce, qui a investi 2 M€ pour passer d’un Freycinet âgé de 70 ans, le Black Pearl, à un bateau de seulement… 24 ans et surtout plus grand : 2 300 t. « Nous sommes poussés à investir pour les marchés potentiels des chantiers du Grand Paris, indique-t-il. On nous vend un nouveau moteur pour les économies de carburant, mais qui peut se permettre d’investir dans l’écologie ? Les chargeurs ne paieront pas. Donc à moins qu’une nouvelle norme l’exige, la motorisation reste classique ».
« On ne le dit pas assez, mais la batellerie ne se porte pas trop mal », estime Frédéric Hauwen, directeur du marché maritime et fluvial du Crédit maritime, désormais dans le giron de la Banque populaire, qui souligne les similarités entre le monde de la pêche et celui du transport fluvial : petit marché, lourds investissements, forte présence de l’artisanat. « Pour le renouvellement de la flotte, il faut penser à de nouveaux moyens de financement : des partenariats avec les donneurs d’ordre et les courtiers, des coopératives de bateliers… Les bateliers sont attachés à la propriété de leurs bateaux, mais on verra peut-être demain des armements avec des bateliers ayant la propriété d’un tiers de trois bateaux, ou un quart de quatre bateaux. » Une perspective qui n’est effectivement pas du goût de Jimmy Humbert : « Mutualiser est difficile, car nous sommes très individualistes ».
Côté financement, Frédéric Hauwen souligne l’efficacité du Plan d’aide à la modernisation et à l’innovation (PAMI) : « Le dispositif d’aide porté par VNF est intéressant, car il permet de sélectionner les professionnels motivés. Versé très rapidement, il peut être intégré au plan de financement, contrairement aux aides européennes pour la pêche qui sont versées deux ou trois ans après l’investissement effectif ».
Interprofession, la solution ?
Face au succès rencontré par le colloque, avec la présence de 250 à 300 personnes, le directeur général de VNF, Thierry Guimbaud, a déjà annoncé qu’un autre évènement similaire aura lieu dans un an, pour « relever les compteurs » et voir l’état d’avancement de la filière fluviale sur la voie de la transition énergétique : « Des solutions sont économiquement activables à court, moyen et long terme sur les trois sujets principaux que sont la logistique urbaine, la longue distance et le courant de quai. Il faut que chaque étape soit crédible, avec des échéances qui ne soient pas là pour différer la mise en œuvre des solutions, mais pour baliser la route vers l’objectif. Ne tardons plus à structurer une interprofession, démarche qui a fait progresser beaucoup de secteurs différents ».
Le préfet François Philizot, délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine, à qui revenait la tâche de conclure la journée, n’a pas synthétisé les discussions très techniques qui se sont succédé, préférant saluer « l’horizon plus large » dévoilé par Jean-Robert Mazaud dans son intervention, « car ce n’est pas seulement avec des solutions techniques que nous allons répondre au changement climatique, mais aussi avec un changement de nos modes de vie et de consommation ». Répondant à Thierry Guimbaud, il a indiqué que la constitution d’une interprofession fluviale, mission qui lui été confiée par le gouvernement, est une « démarche qui progresse mais n’a pas encore abouti, avec des questions d’argent et de représentativité qui restent à régler ». Il a formé « le vœu d’entendre, dans un an, le président de l’interprofession nous apprendre la mise en œuvre d’un dispositif d’animation qui nous permette d’atteindre nos objectifs ».