NPI : Quel modèle vous paraît-il être l’avenir des ports intérieurs du Grand Est, dans un contexte de plus en plus mondialisé ?
Gilbert Stimpflin : Le couple gouvernance locale/action internationale me paraît indispensable et indissociable. Nous avons besoin de garder un pilotage local, bien identifié, qui sera par nature toujours attentif et très réactif aux évolutions nécessaires pour les besoins du territoire. Les ports, ce sont nos outils de développement économique ! Mais pour l’opérationnel, il faut une extrapolation mondiale et je dis bien mondiale, pas « seulement » européenne. Plus d’un avait souri quand j’affichais une telle ambition, mais c’est bien ce que nous allons mettre en œuvre en Sud-Alsace, pour les ports de Mulhouse-Rhin (PMR). Les collectivités prennent le pilotage par le fait que le Syndicat mixte ouvert (SMO) détiendra 51 % de la Semop. Quant au groupement partenaire, il sera dévoilé d’ici à la fin de l’année 2020 mais je peux vous assurer que sa composition incarnera parfaitement ce profil mondial. Est-il pénalisant qu’il ne dispose pas de la majorité ? Tout dépend du pacte d’actionnaires, or celui des PMR lui donnera pleine responsabilité pour mener une vraie politique de développement assortie de plusieurs dizaines de millions d’euros d’investissements.
NPI : La coopération des ports à l’échelle du Grand Est répond-elle à une logique, ou chacun doit-il rester dans « son » bassin, respectivement le Rhin et la Moselle ?
Gilbert Stimpflin : Les deux niveaux se justifient. S’afficher Grand Est prend du sens vis-à-vis des acteurs internationaux du transport et de la logistique. J’utiliserais la métaphore de la lumière : si vous regardez nos territoires depuis la Chine, vous devinez une petite lueur au niveau de chaque port. Mais si cela s’additionne, cela donne déjà un plus gros projecteur. Les ports se parlaient entre eux, mais pas dans un langage « Grand Est ». Il leur faut développer une communication plus fluide, plus ouverte, en clair ne pas se cacher entre voisins des informations qui n’ont en fait aucune raison de l’être.
NPI : Cette coopération doit-elle encore gagner en ampleur géographique ?
Gilbert Stimpflin : Si l’on reprend ma petite « théorie » de la lumière, alors il devient impossible de ne pas penser transfrontalier. Quand vous faites un tour au salon Transport Logistics de Munich, vous le comprenez tout de suite. Allemagne, Suisse, Bénélux : nous avons à notre voisinage des moteurs de l’activité économique et du transport, il est impensable de ne pas en tirer parti. Lorsque les trois ports de Bâle en Suisse, de Weil-am-Rhein en Allemagne et de Mulhouse-Rhin ont commencé à se rapprocher pour donner naissance à RheinPorts, un ensemble d’une taille déjà appréciable (environ 13 millions de tonnes de trafic annuel cumulé) le regard des professionnels a changé.
Aujourd’hui, les réseaux de relations s’arrêtent trop souvent aux frontières. Or l’expérience des liens informels tissés au fil du temps --germanophonie aidant- avec les CCI du Bade-Wurtemberg me confirme chaque jour que cela ouvre des portes, facilite la remontée d’informations et procure une relation directe avec les institutions européennes, là où se prennent les grandes décisions… et là où l’argent existe encore pour les projets d’infrastructure. Alors que nous, Français, nous arc-boutons sur les contrats de plans dont chacun constate que leur conception devient de plus en plus difficile. À mon avis, nous avons deux ans pour bâtir une stratégie transfrontalière bien structurée, sinon on ratera un virage.
NPI : Quels autres enjeux communs identifiez-vous ?
Gilbert Stimpflin : Il s’agit de mieux positionner les ports comme tête de pont du développement de zones d’activités et de logistique. Pour celle-ci, nous avons un enjeu fort, celui des kilomètres qui précèdent le dernier. Pour la livraison urbaine, la route demeurera le seul moyen, mais pour le reste les modes alternatifs doivent désormais constituer la référence. Le politique doit devenir davantage un facilitateur de l’économie sur ce point aussi, et j’en reviens à l’importance du pilotage local. Quand les agglomérations, en charge du développement économique, siègent dans les instances de gouvernance des ports, c’est bien plus efficace.
Et puis, il s’agit de ne pas manquer le virage de la digitalisation, au risque d’être très vite dépassés. C’est une évidence mais il n’est pas inutile de la rappeler aux différents acteurs : le numérique va plus vite que la diligence.