Installer des piles à hydrogène à bord de deux bateaux électriques démonstrateurs, mis en exploitation en situation réelle et dont l’expérience, après 18 mois d’utilisation, sera partagée pour servir à développer cette technique à plus grande échelle : tel est l’objectif de Flagships. Pour ce projet européen, deux bateaux vont être construits : d’une part, un navire de transport de passagers et de véhicules qui sera exploité par l’armement norvégien Norled dans le cadre du réseau de transport public de la région de Stavanger, sur les rives du fjord Bokna, dans le Sud de la Norvège ; d’autre part, un pousseur de manœuvre qui sera exploité par la Compagnie fluviale de transport (CFT, groupe Sogestran) à Lyon, au port Édouard-Herriot.
Bénéficiant de 5 millions d’euros de financement de l’Union européenne dans le cadre du programme Horizon 2020, le projet Flagships va conduire à l’installation d’1 MW de pile à combustible à bord des deux bateaux, qui ont vocation à être exploités commercialement bien au-delà des 18 mois de période de démonstration du projet.
« Le projet a commencé début 2018 pour la CFT, qui cherchait à concevoir un pousseur innovant fonctionnant à l’hydrogène. Nous avons appris qu’un consortium se montait pour répondre à un appel à projets européen ayant pour but l’installation de piles à combustible pour un total d’1 MW à bord de deux unités flottantes. Ce consortium cherchait un deuxième bateau, et CFT s’est avéré être le bon partenaire, avec un projet très différent de celui de Norled », explique Victor Laravoire, chef de projet construction neuve au sein de la direction technique du groupe Sogestran.
International et local
Navire maritime à passagers d’un côté, bateau fluvial de transport de marchandises de l’autre : les deux projets sont en effet très différents, mais partagent l’ambition d’une propulsion électrique alimentée par une pile à combustible embarquée, dont l’hydrogène utilisée est produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable. En plus des deux armements Sogestran et Norled, sept autres partenaires font partie du consortium impliqué dans le projet. L’architecte naval est le cabinet norvégien LMG Marin, qui a aussi un bureau à Toulouse. La pile à hydrogène est fournie par Ballard Power System, branche européenne du leader canadien des piles à combustibles. L’intégration électrique est conçue par ABB Marine & Ports pour le bateau de la CFT et par Westcon Power & Automation pour le navire de Norled. L’instrumentation du bateau lyonnais, visant à optimiser l’utilisation des piles et la consommation d’hydrogène, est effectuée par Persee. Enfin, le cluster norvégien Maritime Clean Tech assure la communication autour du projet, dont la coordination d’ensemble est réalisée par l’institut de recherche finlandais VTT.
Au niveau local, sur les rives du Rhône, le projet de pousseur à hydrogène devrait s’appuyer sur un consortium en cours d’élaboration, qui rassemblerait la CNR, VNF, LMG Marin et Sogestran. Cela fait suite au projet Promovan, dont le but était de lancer des innovations en matière de motorisation fluviale, comme l’explique Cécile Cohas, chargée mission innovation à la direction Rhône-Saône de VNF : « Flagships est un enfant de Promovan. En effet, nous avions répondu en 2016 à l’appel à projets navire du futur de l’Ademe. Notre projet n’ayant pas été retenu, nous avons cherché d’autres financements, ce qui nous a conduit à nous rapprocher des Norvégiens qui cherchaient un deuxième projet de bateau hydrogène ».
Ce consortium rhodanien autour du pousseur à hydrogène de la CFT s’intéresse à la conception du bateau lui-même, mais aussi à son approvisionnement en carburant décarboné. L’utilisation de l’hydrogène ne prend en effet tout son sens, du point de vue environnemental, que s’il est obtenu par électrolyse à partir d’électricité verte. À ce jour, la majorité du de l’hydrogène produit pour les besoins industriels est cependant obtenu par vaporeformage d’hydrocarbures, le méthane étant le principal gaz utilisé pour cela.
La Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui exploite les ouvrages de navigation ainsi que les installations de production hydroélectrique sur le fleuve, a également lancé un programme d’installation d’éoliennes sur ses rives. Elle sera donc en mesure de fournir l’électricité verte pouvant être transformée en dihydrogène, ce qui est aussi un moyen de stocker ces énergies renouvelables. Ainsi, le fleuve sera en mesure de fournir lui-même l’énergie nécessaire à la propulsion des bateaux qui y naviguent.
Partage d’expérience attendu
Au-delà du seul pousseur de la CFT, il s’agit de partager une expérience qui profitera à l’avenir à d’autres bateaux. Le consortium rhodanien espère pouvoir ainsi modéliser cinq bateaux pour les accompagner dans la transition vers l’hydrogène : cette opération, qui sera lancée courant 2020 et se poursuivra en 2021, concernera le transport de fret comme de tourisme, et des bateaux neufs comme la rénovation d’unités existantes. Elle permettra, pour chaque type de bateau, d’étudier le coût du passage à l’hydrogène ainsi que l’intégration de la pile à combustible, de la batterie et du système électrique. Quant aux aspects touchant à la sécurité du stockage et de l’utilisation de l’hydrogène à bord, ce sont les études menées dans le cadre du projet Flagships qui fourniront les solutions.
Le concepteur de la pile à hydrogène des deux bateaux Flagships, le canadien Ballard, équipe déjà notamment un grand nombre d’autobus à travers le monde. Il a cependant dû adapter l’architecture de sa pile à une utilisation embarquée. Les piles qui vont équiper les bateaux de Norled et de la CFT, affichant respectivement des puissances 600 kW et 400 kW, seront en effet installées dans les cales des bateaux, dans des espaces fermés, et non sur le toit comme pour les bus. Cela implique donc une maintenance effectuée à bord et non en atelier, contrainte à laquelle s’ajoutent celles spécifiques à la sécurité de la navigation, liées au stockage et à l’utilisation de l’hydrogène à bord.
Les spécificités de la conception et de la construction d’un bateau électrique alimenté par pile à hydrogène sont forcément source de surcoût par rapport aux technologies actuelles, basées sur l’utilisation du gasoil. La CFT estime ainsi que le coût global de son futur pousseur sera supérieur à 2,5 fois le coût d’un pousseur classique de taille similaire. Mais sur la durée du projet Flagships, c’est-à-dire jusqu’à fin 2022, la CFT ne supporte pas l’entièreté du coût, ses partenaires fournissant une partie de l’équipement et de l’ingénierie.
Livraison en 2021
Alors que le ferry norvégien, dont la construction a débuté en Turquie, devrait être livré début 2021, le pousseur de la CFT ne le sera pas avant août 2021. Victor Laravoire précise : « Des discussions sont en cours, et nous espérons signer prochainement avec un chantier européen et même, si possible, français. Tous les éléments étant très spécialisés, le surcoût du bateau avait été sous-estimé et nous avons rencontré des difficultés pour boucler son budget. En théorie, il faudrait que le pousseur navigue à partir de juin 2021 car le but du projet européen est d’obtenir du temps de navigation : nous avons l’obligation de faire tourner le bateau pendant un an et demi à l’hydrogène au cours des quatre ans du projet, afin d’avoir suffisamment de données à faire remonter. Mais le retard pris nous fait, à présent, plutôt viser une mise en service en septembre 2021 ».