Faire du rail et de la route une combinaison gagnante

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En Belgique, les opérateurs de fret ferroviaire et les transporteurs routiers réclament d’une même voix des aides ciblées pour stimuler le report modal. L’enveloppe demandée se monte à 30 millions d’euros par an. S’ils obtiennent gain de cause, ils disent pouvoir faire basculer jusqu’à 750 000 trajets de la route vers le rail. Le Belgian Rail Freight Forum, qui rassemble dix opérateurs de fret ferroviaire actifs sur le réseau belge, et la Fédération belge des transporteurs et prestataires de services logistiques (Febetra) ont mis au point une « solution concrète pour améliorer la mobilité ». Les ennemis d’hier jurent que le temps « où le rail et la route étaient comme chien et chat » n’est plus et qu’ils ont appris à raisonner en termes de complémentarité multimodale. « Il est impossible de tout transporter par la route et nous sommes conscients de notre responsabilité sociétale et des défis à relever », a affirmé Benny Smets, président de la Febetra et pdg de Ninatrans. « Si nous n’agissons pas ensemble, nous ne parviendrons pas à résoudre le problème. Et pour les dix années à venir, la seule solution possible, c’est le report modal », a renchéri Geert Pauwels, pdg de l’opérateur ferroviaire belge Lineas. Le constat qu’ils font est simple et connu : le réseau routier souffre d’une congestion qui ne va pas s’atténuer de sitôt, d’autant que les travaux pour y remédier, notamment à Anvers, vont dans un premier temps encore aggraver la situation, tandis que le rail offre une très large réserve de capacité inutilisée. Mais même dans un contexte où la demande en transport devrait augmenter de 27 % d’ici 2040 d’après le Bureau fédéral du Plan et en dépit d’aspects comme le souci de durabilité et le manque croissant de chauffeurs qui devraient pousser à un plus grand recours à l’intermodalité, traduire ce nouvel état d’esprit et ce constat en actes reste un défi de taille.

Responsabilité des chargeurs, aussi

Les chargeurs ont leur part de responsabilité, dans la mesure où ils restent fidèles à une approche où « dans 99 % des cas, le choix du mode de transport est encore déterminé par le coût », comme l’a regretté Paul Hegge, représentant du Belgian Rail Freight Forum. Et « le transport routier reste le plus souvent la solution la moins chère, même si elle n’est pas toujours la plus efficace », a opiné Benny Smets.

Cette dictature du prix s’ajoute aux facteurs structurels qui alourdissent la facture multimodale. Car, pour un transporteur routier, passer à l’intermodalité est loin d’être aussi simple qu’il y paraît, a expliqué Luc Haesaerts, pdg de la société Haesaerts Intermodal. Cela requiert en premier lieu d’adopter une approche différente et un « déclic mental », car « l’effet au niveau opérationnel est considérable », notamment parce que la planification des transports devient plus complexe et plus intensive. De plus, cela nécessite des investissements conséquents qu’il est difficile - voire impossible - de répercuter sur le chargeur même s’il soutient la démarche de son transporteur. « Il faut plus de matériel », a relevé Luc Haesaerts. « Par la route, dans le cas d’un aller-retour entre la Belgique et l’Italie, on récupère une semi-remorque en l’espace d’une semaine. Ce n’est pas le cas en intermodal ». Trouver un chargement retour est aussi moins facile, du fait d’un repositionnement moins flexible.

Ce n’est pas tout : une caisse mobile, par exemple, coûte 10 % plus cher, mais fait perdre 250 kg de charge utile (le payload) en raison de son propre poids plus élevé. Sans oublier les dépenses dans des équipements comme des reachstackers pour la manutention de ce type de matériel.

À l’inverse, les temps de transit plus longs en intermodal ne constituent pas, aux yeux de Benny Smets et Luc Haesaerts, une pierre d’achoppement. « Ce qui compte, c’est de respecter le délai de livraison ». Mais ils ont reconnu que le transporteur s’expose ici au risque de retards dans une chaîne intermodale dont il ne contrôle pas un maillon essentiel. Geert Pauwels a ajouté sur ce point que les transporteurs ferroviaires eux-mêmes sont souvent victimes d’une mauvaise gestion des travaux sur le réseau ferré. Il a pointé du doigt le gestionnaire du réseau : « Infrabel nous rend la vie très difficile ».

Des mesures concrètes demandées

Il y a un effort à fournir pour « faire du rail et de la route une combinaison gagnante », comme l’a dit Philippe Degraef, directeur de Febetra. Luc Haesaerts a plaidé pour la création d’un réseau régional de plates-formes de transbordement qui permettraient en particulier de « contourner » les files qui asphyxient les routes autour d’Anvers et Bruxelles. Adapter une réglementation « parfois absurde » aiderait aussi.

Mais cela ne résoud pas le problème du surcoût. « Le rail est compétitif quand le fret se trouve sur le train », a souligné Paul Hegge. Il faut donc franchir l’obstacle de l’écart de prix entre le tout-camion et l’intermodal. Pour y parvenir, opérateurs ferroviaires et transporteurs routiers se tournent vers les pouvoirs publics en réclamant deux mesures concrètes qui s’ajouteraient aux mécanismes existants.

La première mesure porte sur un « chèque-transbordement » de 40 euros (soit 80 euros pour un aller-retour) au « coup de pince » pour compenser l’inévitable surcoût au niveau de la manutention qu’implique la rupture de charge qui accompagne un transport intermodal. Les deux fédérations parlent à ce sujet d’une « indemnisation ». Elle a été fixée après une étude commune pour calculer le coût moyen d’un transbordement rail-route.

La seconde concerne une subvention pour « accompagner » les investissements plus lourds en infrastructures et équipements adaptés que doivent faire les transporteurs routiers. Cette aide devrait couvrir 80 % du surcoût par rapport au matériel roulant conventionnel.

Dans un secteur toujours dominé par les PME, des mesures de ce type sont la seule manière de faire bouger les choses, même si elles doivent être intégrées dans une approche plus large, a estimé Philippe Degraef. « Il suffit de 30 millions d’euros par an, soit 8 % du revenu généré par la taxe kilomètrique ». À ce prix, le Forum et la Febetra avancent le chiffre de 750 000 trajets de poids lourds qui pourraient basculer vers le rail en Belgique, pour un total estimé à 1,45 milliards de tonnes-kilomètres par an, soit 6 % du trafic total par la route. Le gain en termes de coûts externes est estimé à 125 millions d’euros par an, avec un effet écologique positif. Les transporteurs routiers éviteraient pour leur part de perdre quotidiennement mille heures dans le embouteillages. « Tout le monde y gagne », a assuré Paul Hegge. Il faudra attendre la constitution des différents gouvernements belges, tant au niveau fédéral que régional, pour en savoir plus.

Le report modal peine à se manifester

Les déclarations d’intention en faveur d’un report modal ne manquent pas, mais certains chiffres incitent à la prudence quant à la réalité sur le terrain. Dans le segment du trafic de marchandises, Infrabel, le gestionnaire du réseau ferré belge, a constaté l’an dernier un repli de 3,5 % du nombre de train-kilomètres (à 13,2 millions de train-kilomètres).

Autre exemple : à peine 48 transporteurs routiers, soit 0,5 % du total, ont fait usage de la possibilité d’obtenir une réduction de leur taxe de circulation en reportant une partie de leur trafic vers le transport intermodal, récupérant ainsi 262 400 euros. Ils étaient 53 en 2017. Le nombre de trajets (quelque 52 258) a lui augmenté de 5,5 %.

La navigation intérieure a connu un ressac au premier semestre 2019. Côté flamand, De Vlaamse Waterweg affiche un recul du trafic de 0,6 % sur les cinq premiers mois de l’année. Côté wallon, à la fin juin, la baisse des volumes était de 5,8 %, de 21,6 à 20,4 Mt.

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