Pas de compétitivité sans action collective : c’est le credo répété par les intervenants de la seconde journée des Assises Port du futur, à Lille le 25 septembre 2019 (voir notre article) pour le compte-rendu du premier jour, le 24 septembre). Exit la solution de la privatisation des ports. « C’est un non sujet en France », rappelle Nicolas Trift, sous-directeur des ports et du transport fluvial au ministère des Transports. « C’est un enjeu de souveraineté nationale : les ports sont des actifs stratégiques pour l’approvisionnement du territoire. Les autorités portuaires doivent rester publiques ; c’est vrai pour la métropole comme pour l’Outre-mer ».
La priorité du gouvernement, désormais, est de « favoriser la prise de parts de marché sur les concurrents européens, non pas à phagocyter le marché entre franco-français », souligne Nicolas Trift. L’enjeu consiste donc à développer les actions collectives, l’innovation et la transition énergétique.
Message reçu pour les représentants des pôles de compétitivité couvrant tous les champs de l’intermodalité : I-Trans (transports terrestres), Novalog (logistique), mer Méditerranée, mer Bretagne-Atlantique (activités maritimes), tous représentés lors des Assises.
« On est passé du modèle "je produis et je stocke" à "je produis à la demande". La logistique est devenue un service essentiel à la compétitivité de la supply chain », abonde Philippe Deysine, délégué général du pôle Novalog, basé à Rouen, et qui réunit plus de 150 acteurs spécialisés dans la logistique (entreprises, laboratoires, collectivités) de Normandie et des Hauts-de-France. Plus de la moitié des travaux du pôle (216 projets labellisés fin 2018) porte sur la logistique numérique. « L’enjeu est de savoir où est le fret, dans quel état il se trouve, etc. », ajoute Philippe Deysine.
Quant aux pôles jumeaux mer Bretagne-Atlantique et mer Méditerranée, il s’agit de favoriser l’évolution des flottes et infrastructures vers le green shipping avec les nouvelles énergies (hydrogène, GNL…), la réduction des coûts de maintenance (grâce au monitoring et aux capteurs intégrés notamment). « Les ports peuvent être des lieux d’innovation », résume Didier Burnel, chargé de mission au pôle mer Bretagne-Atlantique. « On n’attend pas que les projets viennent à nous ; nous assurons un travail d’animation de la filière », précise Anna Melsen, coordinatrice du programme i-Fret au sein du pôle i-Trans, basé à Valenciennes (Nord).
Plusieurs exemples témoignent déjà de ce type de démarche collective. A Toulon (Var), on a ainsi imaginé un réseau de production d’électricité renouvelable impliquant le raccordement électrique des navires de la compagnie Corsica Ferries, principal armateur privé sur le port, au réseau traditionnel d’Enedis (EDF), et associé à des unités photovoltaïques et un complément par pile à combustible. « L’enjeu est de faire fonctionner ensemble trois types d’énergie », explique Alex Lavergne, animateur du domaine d’activité stratégique Ports, Logistique et Transports maritime au sein du pôle mer Méditerranée. Le même mix énergétique est envisagé à Marseille, en y ajoutant la production électrique mise à disposition par des navires fonctionnant au GNL, avec de plus grandes capacités qu’à Toulon.
Autre source d’énergie : le mouvement des vagues. Il existe actuellement quatre familles de systèmes houlomoteurs, indique Philippe Sergent, directeur scientifique du Cerema Eau, Mers et Fleuves. Avantages : ceux-ci peuvent être intégrés à des ouvrages – digues ou quais – neufs ou existants. Inconvénients : ils dépendent d’une grande variabilité saisonnière et doivent répondre à des contraintes réglementaires encore lourdes.
« Le modèle économique lié aux nouvelles énergies n’est pas là »
La transition énergétique suscite maintes expérimentations. Leur généralisation prendra du temps. « Raffineries, terminal méthanier, centrale à charbon, on vit grâce à cela », reconnaît Franck Mousset, directeur de l’aménagement de l’estuaire du grand port maritime de Nantes-Saint Nazaire (Loire-Atlantique). « L’énergie du futur, oui, il faut y penser. Sauver la planète, c’est bien. Mais un port doit gagner de l’argent. Or le modèle économique lié aux nouvelles énergies n’est pas là », tranche-t-il. Coût de la recherche et des investissements, retours sur investissements longs, difficultés de connexion des installations offshore au réseau terrestre, variabilité de la ressource hydromotrice, manque de place pour les installations photovoltaïques… Tels sont les freins relevés par l’Association mondiale pour les infrastructures maritimes et fluviales (AIPCN/PIANC). Dans son étude sur l’état de l’art en 2017, cette organisation de coopération agréée par 65 États identifiait seulement 15 % des grands ports comme étant « innovateurs ». Parmi eux : Rotterdam ou Hambourg. « Le GNL est aujourd’hui la seule alternative pour atteindre l’objectif de réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, mais elle ne suffira pas seule », résume Juan Manuel Suarez, coordinateur pour l’AIPCN. « On a besoin de toutes les technologies ». Et de toutes les bonnes volontés pour les mettre en œuvre. Outre la mise en lumière de plusieurs expérimentations locales, les Assises du port du futur à Lille auront aussi été l’occasion de porter des propositions nouvelles, rapporte Goeffroy Caude, du Conseil général de l’environnement et du développement durable. Des exemples : une fiscalité locale spécifique, de nouveaux équilibres de financements public-privé… De quoi alimenter les prochaines Assises.Qui dit digitalisation des activités dit risque de cyberattaque. Un risque pas encore appréhendé totalement. Les acteurs de l’axe Nord viennent de signer un projet de collaboration avec ceux du port d’Anvers qui met notamment l’accent sur la sécurité. Mais ce projet est aujourd’hui davantage tourné vers la lutte contre le vol de marchandises ou la contrefaçon que vers la cyberdélinquance. Or, « cela peut mettre tout un port en carafe », admet Stéphane Raison, président du directoire du Grand port maritime de Dunkerque (Nord).
« Il y a eu récemment deux grandes attaques informatiques sur des terminaux portuaires », rappelle Loïc Lecomte, de TGI Maritime Software, un éditeur de logiciels basé à Dunkerque, qui travaille actuellement sur un démonstrateur associant différents objets connectés. « La problématique qui est posée désormais, c’est l’intelligence artificielle qui permet d’augmenter la cadence sur les terminaux ; le manutentionnaire deviendra informaticien », ajoute-t-il.
Développer la digitalisation des activités tout en réduisant les risques induits, c’est un des créneaux poursuivis par Naval Group. « A chaque nouvelle étape de l’innovation, il y a des technologies de l’information. Le développement du numérique porte le risque d’attaques potentielles. Les ports sont le poumon économique de la France. Il ne faudrait pas tout bloquer en laissant une toute petite porte ouverte », abonde Emilie Cazzato, de Naval Group, qui travaille sur la question avec plusieurs start ups sur le port de Marseille Fos (Bouches-du-Rhône).
« Le modèle économique lié aux nouvelles énergies n’est pas là »
La transition énergétique suscite maintes expérimentations. Leur généralisation prendra du temps. « Raffineries, terminal méthanier, centrale à charbon, on vit grâce à cela », reconnaît Franck Mousset, directeur de l’aménagement de l’estuaire du grand port maritime de Nantes-Saint Nazaire (Loire-Atlantique). « L’énergie du futur, oui, il faut y penser. Sauver la planète, c’est bien. Mais un port doit gagner de l’argent. Or le modèle économique lié aux nouvelles énergies n’est pas là », tranche-t-il. Coût de la recherche et des investissements, retours sur investissements longs, difficultés de connexion des installations offshore au réseau terrestre, variabilité de la ressource hydromotrice, manque de place pour les installations photovoltaïques… Tels sont les freins relevés par l’Association mondiale pour les infrastructures maritimes et fluviales (AIPCN/PIANC). Dans son étude sur l’état de l’art en 2017, cette organisation de coopération agréée par 65 États identifiait seulement 15 % des grands ports comme étant « innovateurs ». Parmi eux : Rotterdam ou Hambourg. « Le GNL est aujourd’hui la seule alternative pour atteindre l’objectif de réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, mais elle ne suffira pas seule », résume Juan Manuel Suarez, coordinateur pour l’AIPCN. « On a besoin de toutes les technologies ». Et de toutes les bonnes volontés pour les mettre en œuvre. Outre la mise en lumière de plusieurs expérimentations locales, les Assises du port du futur à Lille auront aussi été l’occasion de porter des propositions nouvelles, rapporte Goeffroy Caude, du Conseil général de l’environnement et du développement durable. Des exemples : une fiscalité locale spécifique, de nouveaux équilibres de financements public-privé… De quoi alimenter les prochaines Assises.Comme on y réfléchit pour le transport terrestre, l’avenir sera-t-il aux navires autonomes ? A Caen (Calvados), collectivités et universitaires réfléchissent à la création de navettes électriques autonomes à propulsion hybride hydrogène : un démonstrateur est en cours de réalisation et un consortium bientôt constitué. Objectif : proposer un service de mobilité pour huit à douze personnes d’une rive à l’autre du canal de Caen. Dans un deuxième temps, Alain Alliot, président de la société du projet NEAC Industry, imagine des « trains » de navettes pour le transport de voyageurs ou de fret. Il n’est pas le seul à travailler sur le sujet. Des véhicules sous-marins ou de surface existent déjà.
« Mais des navires, c’est une autre histoire », glisse Jean-Charles Cornillou, conseiller technique au Cerema. C’est que, au-delà des aspects techniques, le navire autonome se heurte à des réglementations juridiques et réglementaires différentes du transport terrestre. « Les spécificités de navigation sont différente en haute mer, à l’atterrissage ou à l’accostage, souligne Jean-Charles Cornillou. Or, l’Organisation maritime internationale (OMI) a, à peine, commencé les discussions sur l’analyse juridique de la faisabilité de cela dans les textes actuels… ».
Quant à parler d’e-navigation, se pose la question de la pérennisation et de la sécurisation de la transmission d’informations en mer. Pour cela, l’OMI dépend de l’Union internationale des télécommunications, une autre agence des Nations-Unies, qui tiendra sa conférence mondiale en fin d’année. « Tout le monde a besoin de fréquences dans le monde entier. Il y a plein de requins. Ce n’est pas anodin », note encore Jean-Charles Cornillou. Etats-Unis, Russie, Chine, les grandes nations ont développé leur propre système de navigation. En Europe, certains Etats pourraient regretter qu’Inmarsat soit devenue une société privée.