Le risque de réduction des investissements
Pour le tourisme fluvial, les conséquences de la crise sanitaire sont différentes. L’activité s’est arrêtée brutalement mi-mars, que se soit pour la croisière avec hébergement (paquebots fluviaux et péniches-hôtel) ou sans (bateaux-promenade), pour la plaisance qui comprend la location de bateaux habitables sans permis. Les bateaux-promenades, les péniches-hôtel, la location ont pu recommencer à naviguer progressivement à partir du 29 mai tandis que les croisières fluviales à bord des paquebots ont été autorisées à partir du 11 juillet. Toutefois, le redémarrage commercial est lent et les contraintes opérationnelles en lien avec les règles sanitaires à respecter (lors de l’accueil des passagers, de la vie à bord, etc.) restent importantes.Il faut surtout prendre en compte que le tourisme fluvial se caractérise par une forte fréquentation internationale avec une part de clients étrangers supérieure à 50 % en moyenne. A cause du Covid-19, la quasi-totalité de ces touristes-là sont restés chez eux et leur absence ne pourra pas être compensée, même si des efforts de publicité et de promotion auprès de la clientèle française ont été faits et portent leurs fruits. La réouverture des frontières au sein de l’Union européenne et la présence de touristes européens ne peut pas compenser non plus l’absence des clients de pays lointains. Selon E2F : « Pour le tourisme fluvial, la situation est très dégradée puisque le touriste étranger a disparu. D’autre part, la clientèle de tourisme et de loisirs fuit les centres villes. Le contexte a favorisé la reprise en région mais pas à Paris, Lyon ou Bordeaux. La croisière avec hébergement, c’est-à-dire les paquebots et les péniches-hôtel, est exsangue ». La location fluviale, qui s’opère entre les mois d’avril et d’octobre, est elle aussi fragilisée par plusieurs mois d’arrêt qui ne pourront pas être compensés là non plus.
En plus de possibles défaillances des TPE et PME du tourisme fluvial, un autre risque est celui d’une très forte réduction des investissements qui peut ralentir la transition écologique dans laquelle la filière était déjà engagée. Au cours des dernières années, les investissements se sont élevés à 28 M€ par an, pour un chiffre d’affaires cumulé de 750 M€ et les besoins futurs sont estimés à plus de 100 M€.
« La priorité actuelle des entreprises est d’éviter leur défaillance et de reconstituer leurs fonds propres. Vu de l’entreprise, le raisonnement est le suivant : le changement de technique constitue aujourd’hui un investissement non productif et risqué (risque technologique, capacité à dégager de la marge, valorisation auprès des clients) », explique Didier Léandri. D’un autre côté, la transition écologique et énergétique apparaît comme un axe fort du plan de relance économique post-crise sanitaire du gouvernement. Comment faire se rejoindre deux objectifs a priori antagonistes ? « Il faut stimuler la demande (en volume et en qualité environnementale). Il faut raisonner en écosystème et avec des actions de groupe (ECV, objectif CO2, projets). Il faut monétariser et valoriser au plan économique les gains environnementaux et le report modal avec un soutien financier massif via le PAMI de VNF, les programmes Ademe et les instruments financiers de la BPI et des instruments fiscaux. Nous plaidons aussi pour faire évoluer les modèles contractuels en tant qu’occupants du domaine public : adaptation des modèles concessifs car leur durée est trop courte et l’engagement trop précaire pour soutenir une stratégie offensive de réinvestissement vert », détaille le responsable.
L’état doit jouer son rôle
Plus globalement, concernant le plan de relance économique du gouvernement, « la priorité d’E2F est la relance par les infrastructures trop longtemps délaissées qu’il s’agisse du grand comme du petit gabarit ».
Didier Léandri précise : « En tant qu’administrateur de VNF, je ne peux que témoigner du décalage entre les besoins et les capacités budgétaires de l’établissement. Il faut se donner les moyens de réussir et c’est la base d’une politique fluviale. Le rapport du COI fixe la trajectoire intangible à suivre dans les 10 ans à venir.
L’accompagnement des entreprises de navigation, dans le tourisme comme dans le fret, est notre priorité absolue pour les 18 mois qui viennent. Il s’agit d’éviter au maximum les défaillances d’entreprises pour continuer à apporter une solution logistique verte aux chargeurs malgré la baisse des volumes. Cette politique de soutien en urgence n’aurait pour autant pas de sens si elle n’était pas associée à une politique de relance des investissements pour asseoir notre développement durablement au moment de la reprise.
Mais la période que nous traversons va nécessiter que l’état joue son rôle de régulateur car si la concurrence est libre dans le transport, elle est aussi largement faussée par le coût de la rupture de charge dans les ports, la concurrence routière à bas coût des pavillons étrangers et parfois même une concurrence interne au fluvial avec du cabotage illicite. Si le souhait de l’Etat est de continuer à disposer d’une offre logistique intermodale avec la volonté de la faire croître, il doit jouer de tous les instruments de régulation et de contrôle dont il dispose. Au jeu de la distribution des aides, gare à conserver un semblant de cohérence dans l’action publique. De ce point de vue, le critère d’éco-conditionnalité des aides dans la période de relance mis en avant par certains politiques pourrait nous servir de fil rouge.
La période qui s’ouvre est l’occasion d’un renforcement profond des ambitions en matière de transport durable en jouant la carte de l’indépendance logistique et du tourisme pour permettre à nos entreprises de mieux rebondir par la suite. Cette relance doit donc s’appuyer sur un ancrage territorial avec des circuits courts, des partenariats de filières, un pavillon français conforté et une employabilité locale dont il faut tirer le plein potentiel. Le fluvial a toute sa place dans cette relance ».