Une étude de l’Ademe
La première table-ronde a eu pour thème : « Transport fluvial et transition énergétique : quels constats, quels enjeux, et quelles perspectives » ? Yann Tremeac, adjoint au chef du service transports et mobilité de l’Ademe, a présenté les résultats d’une étude de cette agence finalisée en mai 2019 sur « l’efficacité énergétique et environnementale du transport fluvial de marchandises et de personnes » dont l’objectif a été d’actualiser les valeurs d’efficacité énergétique (C02 équivalent) et environnementale (polluants atmosphériques) de la flotte fluviale en France. Les dernières données dataient de 2006 et ne concernaient que l’efficacité énergétique. La nouvelle étude fournit aussi de premiers éléments sur la consommation des bateaux de tourisme. Selon cette nouvelle étude, en matière d’impact GES (CO2 équivalent), le transport fluvial émet en moyenne de l’ordre de 8,8 g CO2/t-km à 34,7 g CO2/t-km pour chaque tonne de marchandise transporté sur un kilomètre selon le type de bateau et la voie d’eau. Ces valeurs apparaissent en diminution par rapport à ceux de l’étude précédente (21,5 à 44,3 g CO2/t.km). Concernant la pollution atmosphérique, le transport fluvial émet en moyenne de l’ordre de 0,09 g à 0,66 g NOx/t-km et 0,003 g à 0,0020 g de particules par t-km. Ces chiffres détaillés montrent surtout que le transport fluvial est une réponse aux impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et a fait des progrès importants au cours de la dernière décennie. Pour l’Ademe, « dans le contexte actuel, il apparaît néanmoins essentiel, comme pour l’ensemble du secteur du transport, de continuer à améliorer la performance énergétique et environnementale du transport fluvial, dans la droite ligne notamment de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 ».Les bornes et branchements à quai, une priorité
Didier Léandri, président délégué général du Comité des armateurs fluvial (CAF) a relevé que chaque année, le transport fluvial permet d’économiser 2 millions de tonne de CO2 par rapport à une solution routière et émet 4 fois moins de CO2 à la tonne transportée que le mode routier. Depuis 2011 et le passage au gazole non routier (GNR), le carburant utilisé par les bateaux est totalement « désoufré ».« Le fluvial participe donc déjà tous les jours à la transition écologique. Davantage de report modal vers le fluvial ne peut qu’améliorer la situation ». Pour limiter l’empreinte environnementale du transport en France, les accidents et la congestion, faire du transfert modal de la route vers le fleuve est la solution.
Concernant la réduction des nuisances des bateaux, le courant et le branchement à quai est la solution pour limiter l’utilisation des groupes électrogènes. « L’électrification est un vrai sujet aujourd’hui, stopper les groupes électrogènes n’était pas une priorité jusqu’à tout récemment, a souligné Didier Léandri. Il y a 9 bornes électriques disponibles sur la Seine pour lesquelles il a fallu entre 2 et 3 ans de travail. Il faut accélérer le rythme ».
Depuis le 1er janvier 2019, le règlement européen EMNR est entré en vigueur et durcit les exigences en matière d’émissions polluantes pour les moteurs d’engins mobiles non routiers, particulièrement les moteurs de propulsion (IWP). « Ce règlement EMNR demande au fluvial de réaliser un passage accéléré de ses moteurs de la norme Euro II à la norme Euro VI alors que le transport routier lui a disposé de 15 ans pour le faire, a rappelé Didier Léandri. Il y a des solutions innovantes en cours de déploiement ou d’expérimentation même si pour certaines, le cadre réglementaire est encore absent ». Ces solutions sont hybride et diesel électrique, gaz carburants de synthèse, bio-carburants et répondent à des usages et besoins différents.
« Nous avons maintenant une vision plus claire des possibilités, a continué Didier Léandri. Les solutions les plus prometteuses à long terme sont l’électricité et l’hydrogène avec des solutions de transition en lien avec le gaz sous toutes ses formes, les carburants de synthèse ». Une trentaine de bateaux sont dotés d’une propulsion électrique en France et naviguent sur différentes voies d’eau. Si la propulsion électrique est ciblée en termes d’usage, elle offre des perspectives de développement importantes. « Notre travaillons aussi sur l’hydrogène, avec un premier bateau existant à Nantes, et plusieurs projets y compris dans le transport de fret. Nous ne voulons pas opposer les technologies. Notre objectif est de parvenir au zéro émission ». Pour le CAF, les deux techniques combinées ou non offrent le plus fort potentiel pour neutraliser complètement les émissions polluantes.
Le GTL pour des bateaux de compagnies de croisières parisiennes
Pour parvenir à zéro émission, la première étape passe par l’utilisation de carburants de synthèse et de tout carburant alternatif qui permet au bateau de fonctionner sans avoir pour l’opérateur à procéder à des modifications fondamentales.
Tel est le sens de plusieurs initiatives qui vont entrer en œuvre en ce mois de juin 2019. Il y a le groupe Sodexo (Batobus, Bateaux Parisiens, Yachts de Paris) qui s’engage dans une amélioration immédiate des performances énergétiques de sa flotte. Au port parisien de la Bourdonnais, les bateaux-restaurants sont d'ores et déjà branchés chaque soir au courant de quai. Les bornes ont été financées notamment par le groupe. Début juin 2019, l'ensemble de la flotte des Batobus passera au Gas-to-Liquid ou GTL, un carburant de synthèse qui n'émet ni fumée, ni odeur, et dont l'utilisation permet de diminuer les émissions polluantes des bateaux sans en changer les moteurs. La solution sera ensuite étendue à l'ensemble de la flotte. C’est un effort économique important, compte tenu du coût nettement plus élevé du GTL comparativement au GNR.
A noter qu’à Strasbourg, le GTL est utilisé depuis juin 2017 par la compagnie Batorama pour 9 de ses bateaux. Ces derniers avec l’unité à propulsion électrique fait que Batorama dispose depuis cette date d’une flotte 100 % sans odeurs, sans fumée et aux performances environnementales élevées. D’autres compagnies utilisent aussi le GTL à Lyon, Annecy, au lac du Bourget.
Toujours en juin, Franck Chanevas, directeur général Sodexo Sports et Loisirs France et Espagne, va confirmer l'engagement de Bateaux Parisiens-Batobus dans l'hybridation de la flotte. La moitié des groupes électrogènes alimentant aujourd'hui les moteurs électriques des bateaux seront remplacés par des batteries. La totalité de la flotte Batobus sera ainsi équipée pour la saison 2020.
Clarifier les solutions possibles
« Ce sont des engagements individuels des entreprises mais le mouvement est collectif, selon Didier Léandri. Il ne s’agit pas de travailler de manière isolée mais ensemble ainsi qu’avec les autres filières ». C’est la raison pour laquelle, le CAF va signer le 18 juin 2019 un accord de partenariat avec le Gican (Groupement des industries de construction et activités navales et le SNCRB (Syndicat national des constructeurs et réparateurs de bateaux). Ce partenariat doit permettre une meilleure prise en considération des enjeux propres au secteur fluvial au sein d'un cluster jusqu'à présent essentiellement centré sur le monde maritime. Il doit aussi renforcer le travail de la filière sur les sujets liés au verdissement des flottes qui peuvent concerner tant la navigation côtière, la pêche que le transport fluvial.
La deuxième table ronde a eu pour thème : « Quelles solutions techniques et quelles évolutions réglementaires pour accompagner le changement ? »
Olivier Jamey, président de la Communauté portuaire de Paris (CPP) a fait le point sur la démarche lancée pour clarifier les solutions possibles pour rendre la flotte fluviale parisienne plus « verte » selon la nature des activités et des contraintes, par une étude en cours, cofinancée par la région Île-de-France, le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, Haropa et VNF. Ces travaux ont pour ambition d’aboutir au lancement de 3 outils dédiés aux armateurs parisiens. Il s’agit :
- d’un outil de diagnostic leur permettant de choisir le scénario technique et énergétique le plus approprié en fonction des caractéristiques et activités des bateaux,
- d’un guichet unique pour le financement de leurs projets,
- d’une application de management des flottes, accessible sur smartphone, permettant aux armateurs d’anticiper les besoins des bateaux, notamment en énergie.
CFT travaille à un pousseur hydrogène sur le Rhône
Matthieu Blanc, directeur métier fluvial Sogestran Group, a détaillé les « 3 batailles » à conduire : prendre en compte la santé publique en ville en diminuant les particules fines ; pour les trajets longue distance, émettre de moins en moins de CO2 et maximiser le transport ; en dehors du temps de navigation, le courant à quai pour tous.
Il a aussi rappelé que Sogestran travaille sur le Rhône depuis 8 ans à un projet de pousseur hydrogène dans le cadre du projet Promovan puis Flagship. « Nous essuyons les plâtres, nous défrichons et surmontons les difficultés techniques et réglementaires. Notre projet hydrogène doit être reproductible pour le vrac, la distribution urbaine, les passagers. Il y a les élections municipales en 2020 et des propos explicites nous parviennent sur la volonté des élus de continuer voire renforcer la lutte contre tous les polluants. Les bateaux ne peuvent pas être moins écologiques que les poids lourds ou autre. Il faut tout de même dire aussi que le chargeur ne paie pas plus cher parce que c’est vert ».