Chaque année, d’énormes quantités de sédiments sont extraits à l’occasion des dragages portuaires : 25 Mt de matière sèche par an, selon le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), qui précise que 80 % des sédiments dragués sont rejetés en mer ou en estuaire. Le reste doit être stocké à terre, avec « une consommation de foncier, un impact important sur la pollution du milieu terrestre, sans compter le prix du stockage qui varie de 40 €/t pour les sédiments inertes à 300 €/t en cas de pollution » selon Pierre-Yves Belan, chef de la division Impacts environnementaux du Cerema, qui intervenait en ouverture de la table ronde consacrée à la valorisation des sédiments de dragage au cours des assises du Port du futur, organisée par le Cerema les 25 et 26 septembre 2018.
Pour le seul port de Rouen, qui doit entretenir un chenal de navigation tout au long des 120 km d’estuaire qui le séparent de la Seine, le dragage concerne chaque année 4,5 millions de m³ pour les sédiments déposés par la mer dans la partie aval de l’estuaire, mais aussi 100 000 m³ déposés par la Seine en rivière, et 200 000 m³ déposés par la Seine dans la partie portuaire proprement dite. Les sédiments de mer sont clapés, c’est-à-dire immergés en mer, tandis que cela est interdit pour ceux provenant de la rivière et du port qui doivent être mis à terre. Deux utilisations s’offrent alors : « tout ce qui peut être utilisé en remblai routier ou pour la fabrication de béton est valorisé, souligne Pascal Gabet, directeur général adjoint de Haropa-port de Rouen. Quant aux sédiments les plus fins, non valorisables par le BTP, ils sont utilisés pour remblayer les carrières. Or les besoins en remblai sont en baisse. Il nous faut donc trouver, pour chaque type de matériau, des filières d’utilisation capable d’absorber nos volumes pour un coût acceptable. »
Des briques faites de sédiments de dragage
En ce qui concerne le port du Havre, les dragages concernent presque uniquement les bassins portuaires, avec des sédiments pour la plupart très fins. « L’immersion reste une solution tant que les sédiments ne sont pas contaminés ; pour les autres, une valorisation doit être recherchée, explique Frédérique Bourdin, de Haropa-port du Havre. Mais il faut, pour qu’il soit transporté, que le sédiment ait une valeur et réponde à des besoins industriels. » Le projet Sédibric a donc été mis en place avec l’école des Mines Paris Tech, pour l’utilisation des sédiments de dragage pour la construction de briques de construction. L’industrie de la terre cuite utilise en effet chaque année, pour la seule vallée de la Seine, 850 000 m³ de matériaux de carrière, non renouvelables. La mise en place d’un schéma industriel d’utilisation de sédiments de dragage dans une logique d’économie circulaire constituerait donc un débouché intéressant pour ces matériaux aujourd’hui considéré comme des déchets. Mais cela suppose de fournir des sédiments d’une qualité homogène.
Des prélèvements d’échantillons de sédiments ont donc été effectués en mars 2018 dans le port de Rouen, dans l’estuaire et dans le canal de Tancarville. « La caractérisation a montré des déchets trop sableux au port de Rouen, trop argileux au port du Havre, expose Thomas Gillot, du centre de géosciences des Mines Paris Tech. Le site retenu a donc été l’avant-port du Havre, où les sédiments ont montré des caractéristiques et une homogénéité suffisantes pour une utilisation industrielle. » La construction d’une chambre de dépôt est donc envisagée, où les dragues pourraient refouler les sédiments provenant de l’avant-port. Des tests de façonnage et de cuissons sont ensuite prévus, qui pourront être suivis de mélange entre différents sites de dragage et avec les matériaux classiques, pour prolonger la durée d’exploitation des sites d’extraction utilisés pour les briques.
« Avec la raréfaction des ressources, il faut venir à l’économie circulaire, conclut Pascal Gabet. Pour les sédiments marins, l’immersion n’est pas à exclure, puisqu’on ne fait que déplacer les matériaux : pourquoi les sortir et les mettre à terre ? Le port de Rouen milite pour que les sédiments de dragage ne soient plus considérés comme des déchets. »