Invités aux Blue Med Days à Toulon début octobre 2019, CMA CGM, Marfret et IBM ont livré leur analyse des changements à venir concernant la digitalisation de l’industrie maritime.
Sans Internet, Marfret aurait disparu. C’est ce qu’affirme son président Raymond Vidil qui intervenait en conférence d’ouverture des Blue Med Days : « La mondialisation résulte de la combinaison de deux révolutions, l’avènement du conteneur dans les années 1970 puis la généralisation d’Internet. Le conteneur a littéralement transformé l’organisation portuaire et la façon de commercer dans le monde. Autrefois, beaucoup de matières premières se négociaient par masse avec des courtiers spécialisés comme dans le transport réfrigéré.
Aujourd’hui, l’unitisation de la marchandise est couplée à un système d’information. Seul ce système permet la rencontre de la logistique de la marchandise avec celle du conteneur. Aujourd’hui, toutes les technologies sont interconnectées et les collaborateurs voient dans le digital une menace sur l’emploi ».
Au micro, Raymond Vidil, président de Marfret, En arrière-plan, Xavier Leclerc, vice-président de CMA Ships, Marjorie Jouen, déléguée adjointe à la délégation interministérielle au développement de l’axe portuaire et logistique Méditerranée-Rhône-Saône, Charlie Barla, chargé d’innovation au sein d’Aix-Marseille Université, Alain Depetris, Business Development Executive chez IBM, Charles Missighers, délégué général adjoint de l’Union maritime et fluviale de Marseille-Fos.
Maintenance prédictive
Et le président de Marfret de rappeler que chaque nouvelle version du Cargo Community System (CCS) améliore la fluidité du passage portuaire. En 25 ans, avec trois générations de CCS, le temps de dédouanement de la marchandise est passé de un jour à quelques secondes. « La chaîne logistique physique et dématérialisée est la seule capable d’apporter des gains de productivité aux autres industries. Si nous ne mettons pas le paquet, nous ne serons plus maîtres de notre commerce extérieur », lâche encore Raymond Vidil.
Un avis partagé par Xavier Leclerc, vice-président de CMA Ships, filiale de CMA CGM qui regroupe l’ensemble des métiers liés à la gestion de la flotte et des équipages. « Nous vivons deux révolutions, la première est liée à la prise en compte de l’environnement. Les 86 000 navires en circulation dans le monde vont devoir changer de carburant au 1er janvier 2020. CMA CGM comptera 22 navires au GNL d’ici à 2022. La deuxième révolution repose sur le numérique, les données constituent de nouvelles opportunités. Aujourd’hui, le système de navigation, la machine, le réseau bureautique gère la stabilité du navire, son chargement, l’amarrage, le roulis. Nous sommes capable de faire de la maintenance prédictive. Nous disposons des courbes de puissance, de vitesse et sommes à même d’optimiser la consommation des navires et de faire du routage ».
Xavier Leclerc cite deux exemples qui devraient, à terme, permettre aux chargeurs d’avoir une meilleure visibilité sur leur marchandise. Traxens, filiale commune de CMA CGM, Maersk et MSC, équipe actuellement 150 000 conteneurs d’un dispositif de suivi de la marchandise. Fin 2020, le dispositif permettra d’analyser en temps réel les variations de température des conteneurs réfrigérés. CMA CGM mise beaucoup également sur Navalgo, une PME qui travaille sur l’optimisation des temps d’attente des navires. Les opérations portuaires constituent le premier poste de dépenses devant le carburant. « Nos 220 lignes maritimes touchent 420 ports dans le monde. Les algorithmes vont permettre d’optimiser les escales dans les ports. La complexité des ETA est immense et un des enjeux du projet consiste à prévoir la disponibilité des équipements », complète Xavier Leclerc.
Le défi cyber de l’OMI
Le prochain défi à relever en 2021 consistera à répondre aux nouvelles exigences de l’OMI en matière de cyber-sécurité. A ce sujet, Frédéric Montcany de Saint Aignan, président du Cluster maritime français a annoncé la création du Conseil de Coordination de la cyber-sécurité maritime, effective depuis début novembre 2019.
La prochaine étape sera la généralisation du Cloud Computing avec la mise à disposition de ressources informatiques à la demande. « Le big data résulte de l’Internet des objets (IoT). L’Internet des objets (IoT) est la capacité à développer de l’auto-apprentissage. Ainsi nous sommes en train de bâtir le jumeau numérique du port de Rotterdam basé sur l’IoT et des capteurs qui remontent les informations sur la météo, etc. », souligne Alain Depetris, Business Development Executive.
En 2019, la Blockchain a fait l’objet d’une expérimentation sur le bassin Rhône-Saône-Méditerranée, permettant de sécuriser les opérations via un registre infalsifiable. « L’expérience a été menée avec Kem One, Alteo, Transcausse et les transporteurs routiers et fluviaux. La Blockchain fonctionne, elle est sécurisée et les douanes surveillent de près cette expérimentation », a indiqué Marjorie Jouen, déléguée adjointe à la délégation interministérielle au développement de l’axe portuaire et logistique Méditerranée-Rhône-Saône.
CMA CGM a rejoint, cet été, Maersk au sein de la plate-forme «Trade Lens » lancée par IBM visant à instaurer un standard de communication basé sur la Blockchain. « Le standard permet l’échange d’informations et de développer de nouveaux services autour de cette plateforme. Nestlé, Danone et Carrefour ont rejoint cette initiative », a expliqué le responsable du développement d’IBM.
« Écart de maturité avec l’aéronautique »
Hervé Guillou, président de Naval Group et du Gican, a exprimé, quant à lui, un jugement sévère : « Dans le numérique, il ne se passe rien. Or nous ne pouvons pas nous permettre de prendre du retard. Il y a un écart de maturité abyssal avec l’aéronautique. Nous avons du mal à trouver des projets fédérateurs. Nous voudrions aider les PME et commencer à développer des outils de supply chain, de B to B et de paiement. Nous voudrions développer un concept d’accès au Cloud et à l’impression 3D. La transformation digitale est au service de la productivité collective de la supply chain des équipementiers. Aujourd’hui, l’industrie navale est au Moyen-Age en terme de création de hubs d’échange des données. Nous devons parvenir à délocaliser entre les régions pour faire de la R&D collaborative, accélérer l’innovation. Nous sommes responsables de la dispersion des industriels ».
Également président du Comité stratégique de filière des industriels de la mer, il souhaite que le Secrétariat général de la mer puisse devenir une « grande administration » et « monte en puissance ». D’ailleurs, un des objectifs de la stratégie nationale portuaire sur le volet numérique vise à recenser, à consolider les données pour les rendre interopérables. Un secteur voué à un bel avenir, selon les chiffres de l’étude publiée en septembre dernier par Inmarsat. La valeur secteur des technologies maritimes numériques estimé actuellement à 106 milliards de dollars devrait plus de doubler au cours des dix prochaines années pour atteindre 278 milliards de dollars en 2030.