Croisières fluviales : vers la fin du dumping social ?

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Dans un communiqué commun, les représentants des employeurs et des salariés ont annoncé la signature d’un accord pour travailler au niveau européen à améliorer les conditions de travail pour le personnel à bord des bateaux de croisières fluviales.

Au cours de l’été 2019, la fédération européenne des travailleurs des transports (ETF), l’union européenne de la navigation fluviale (EBU) et IG River Cruise ont publié un communiqué conjoint pour annoncer « la signature d’un accord les engageant à travailler ensemble à des mesures en faveur d’un emploi équitable dans le secteur européen des croisières fluviales ».

Les trois organisations, représentant au niveau européen les salariées pour ETF et les employeurs pour les deux autres (EBU et IG River Cruise), affirment déjà « un avenir meilleur pour le personnel du secteur européen des croisières fluviales ». L’objectif est « d’offrir des avantages aux employeurs et aux employés du secteur des croisières fluviales, ouvrir la voie à une industrie de la croisière fluviale socialement durable avec des conditions équitables pour tous les opérateurs ».

Il faut toutefois bien comprendre que la signature de cet accord ne constitue qu’un premier pas vers des négociations pour lesquelles une première réunion devrait avoir lieu en novembre 2019 et qui vont s’étaler jusqu’à l’automne 2020. A cette date, les trois organisations pourraient proposer « des mesures ou accords contraignants adéquats à mettre en œuvre ».

Il s’agit d’un premier pas certes très positif : voilà plusieurs années que ETF alerte sur les conditions sociales et de travail du personnel à bord des bateaux de croisière fluviale, surtout celui dédié à l’hôtellerie/restauration, qui s’apparentent bien souvent à du dumping social. Avoir finalement convaincu les représentants des employeurs à s’engager dans des négociations pour travailler à améliorer les conditions de travail pour le personnel à bord des bateaux de croisière fluviale constitue un succès pour ETF. Pour l’EBU et IG River Cruise, c’est reconnaître que certaines compagnies de croisière fluviale ne respectent pas les réglementations en vigueur sur les temps de travail et de repos, les conditions de travail, les rémunérations, la santé au travail, etc.

Flou des responsabilités

Comme le rappellent les trois organisations, « ces dernières années, le secteur des croisières fluviales en Europe a connu une croissance rapide ». Elles poursuivent : « Cette réussite a été rendue possible par la mise en place de modèles commerciaux de plus en plus compliqués, ce qui signifie souvent que différentes parties coopèrent pour organiser une même croisière : propriétaires de navires, exploitants, entreprises de restauration, etc. Malheureusement, il y a eu violation des lois de divers États membres de l'UE concernant l'emploi de travailleurs dans les activités de croisière fluviale ».

Cette situation décrite par les trois organisations a comme conséquence un flou dans la chaîne hiérarchique pour le personnel à bord des bateaux et dans la chaîne des responsabilités pour les autorités, par exemple, quand elles contrôlent la situation à bord. Et cela complique toute possibilité de sanctions pour les autorités.

« Des modèles commerciaux de plus en plus compliqués », cela signifie que le bateau est immatriculé dans un pays, bien souvent la Suisse, le personnel a son domicile bien souvent dans un pays d’Europe de l’Est, les contrats de travail sont établis à Chypre, Malte, par exemple, et pas forcément dans une langue maîtrisée par le salarié. De mars à novembre, le personnel travaille à bord de bateaux qui naviguent sur toutes les voies d’eau européennes, passant d’un pays à l’autre, en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, etc. Ce personnel travaille à bord plusieurs semaines consécutives, faisant bien souvent plus de 70 h hebdomadaire, vit à bord dans des cabines à plusieurs, y compris les salariés mineurs. Le salarié ne peut rentrer chez lui pendant les jours de repos compte tenu de la distance entre son lieu de travail et son domicile, du coût de l’aller-retour mais aussi parce que parfois son passeport n’est pas entre ses mains. Il ne dispose pas toujours d’accès aux soins en cas de souci de santé ou d’accident de travail. En plus du travail d’ETF, cette situation a été notamment mise à jour par Aquapol, lors de contrôles effectués à bord de bateaux de croisière fluviale en Allemagne ou aux Pays-Bas.

Définir le pays

Pour ETF, EBU et IG Rivercruise, « parallèlement, le secteur est confronté à des règles européennes et internationales peu claires ou contradictoires s’appliquant aux travailleurs des activités de croisière fluviale, et à une confusion quant à la manière dont ces règles sont appliquées dans les États membres de l’Union européenne et en Suisse. De ce fait, il n’est pas toujours évident de savoir quelle partie est responsable de quelle activité et quel est le personnel qui l’exerce ».

Dans leur communiqué, les trois organisations déclarent « partager l’opinion que l’exploitant du navire doit être tenu responsable de toutes les activités et de tous les services à bord d’un bateau de croisière ».

Au-delà de cette opinion partagée, les négociations à venir entre les représentants des travailleurs et des employeurs devront notamment se pencher sur la question de savoir de quel pays relève le personnel à bord pour le temps de travail et autres conditions sociales et de travail ? Sur quel critère faut-il se fonder pour définir ce pays ? Est-ce le pays du pavillon du bateau ou celui de l’exploitant ou celui où réside le salarié ou celui où ce salarié travaille à partir de 25 % de son temps de travail, par exemple ? Faut-il préciser que selon le pays retenu, les conditions sociales et de travail peuvent varier du tout au tout ?

Des propositions à l’automne 2020

La première étape des échanges entre ETF, EBU et IG River Cruise va porter sur la réalisation d’un état des lieux « pour avoir une idée claire du contexte ».

Cela va « consister à comprendre la réalité complexe des activités de croisière fluviale en Europe, dresser un inventaire des modèles commerciaux et des procédures en vigueur dans les activités de croisière fluviale et présenter un aperçu des règles européennes et internationales applicables au secteur ».

Les trois organisations « définiront également l'application de ces règles dans les États membres de l'UE et en Suisse, en accordant une attention particulière aux situations qui pourraient ouvrir la porte au dumping social ou à de mauvaises conditions de travail ».

Une fois ce travail accompli, ETF, EBU et IG River Cruise « tireront des conclusions communes et proposeront des mesures ou accords contraignants adéquats, à mettre en œuvre d'ici à l'automne 2020 ».

Lors des négociations, les trois organisations devront notamment se mettre d’accord sur quels types et quels niveaux de conditions sociales et de travail ils sont prêts à s’accorder. Il existe dans plusieurs pays européens des réglementations plus ou moins favorables pour les salariés. Le personnel en France, par exemple, bénéficie d’une convention collective largement positive, les négociations vont-elle conduire à terme à faire évoluer ce texte dans un sens moins protecteur ou à le remplacer complètement par un autre texte ?

La convention collective en France est d’ailleurs en cours de (re)négociation entre les partenaires sociaux. Et il se dit que les discussions sont bloquées sur les annexes de cette convention collective, notamment celle sur le temps de travail pour le personnel des bateaux à passagers. Les syndicats ayant tous refusé les propositions des employeurs visant à obtenir un assouplissement ou allongement du temps de travail et temps de repos.

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