Le problème de la congestion sur les grands terminaux à conteneurs anversois a resurgi avec force à partir de la fin 2016. En 2018, la communauté portuaire avait lancé une réflexion en profondeur sur le sujet. Elle a abouti à un plan d’action d’envergure, qui englobait des mesures comme la formation d’ouvriers portuaires supplémentaires et l’augmentation de la capacité de manutention dédiée au transport fluvial, une meilleure planification du trafic, l’instauration d’une « escale minimale » (fixée à 30 mouvements par bateau puis ramenée à 20) et la désignation de points de consolidation dans l’hinterland pour massifier les flux et garantir une plus grande efficacité opérationnelle, un meilleur échange électronique de données entre toutes les parties concernées.
Tout cela n’aura pas suffi. Un an et demi après la mise en oeuvre de ce plan, les opérateurs fluviaux continuent à subir les effets d’une congestion apparemment très difficile à éradiquer. Le problème continue à se poser à l’heure où Anvers, deuxième port à conteneurs européen, a enregistré un sixième record d’affilée dans le trafic conteneurisé maritime, avec un gain de 6,8 % à 11,68 millions d’EVP en 2019.
Délais de plus de 24 heures
Le groupe Contargo publie régulièrement les temps d’attente qu’enregistrent ses bateaux à Rotterdam et Anvers. Dans la première moitié du mois de mars 2020, la moyenne était toujours d’une trentaine d’heures à Anvers, soit plus d’un jour entier. « La situation s’est améliorée par rapport à ce qu’elle était il y a un an », reconnaît pourtant Cok Vinke, le directeur général de Contargo Waterway Logistics. Mais le caractère structurel du phénomène est souligné par le fait qu’il suffit de facteurs parfois très conjoncturels pour provoquer une nouvelle poussée de fièvre : lors des grandes tempêtes qui ont perturbé les rotations des grands porte-conteneurs deepsea en février 2020, le temps d’attente moyen à Anvers a grimpé à 66 heures, soit presque trois jours.
Anvers fait toutefois systématiquement mieux que Rotterdam, où les délais notés par Contargo se situaient entre 80 et 100 heures durant la première quinzaine de mars 2020 et s’étaient rapprochés des cinq jours entiers (113 heures) lors des tempêtes de février.
Cok Vinke estime que le plan d’action est loin d’avoir donné les résultats espérer, même s’il salue les efforts livrés par le port et les progrès dans des domaines comme la planification des escales de porte-conteneurs fluviaux, le recrutement d’ouvriers portuaires et la création de capacité additionnelle de manutention. Il ne veut jeter la pierre à personne. « Le problème est très complexe et la navigation intérieure conteneurisée est très diverse, en termes de flux, de fréquence, d’opérateurs, de taille des bateaux, de multiplicité des chargeurs, etc. Les terminaux font ce qu’ils peuvent et je peux comprendre qu’ils cherchent eux aussi à préserver leur rentabilité et n’alignent pas d’équipes de dockers quand les volumes fluviaux n’atteignent pas les volumes requis. Mais un retard à un terminal se répercute inmanquablement sur l’escale au terminal suivant ».
Le responsable de Contargo ne met pas en cause la priorité donnée aux navires de mer, mais ne peut que constater que leur taille sans cesse plus grande joue dans le problème de la congestion. « Il y a toujours eu des pointes d’activité lors de l’arrivée des grands porte-conteneurs hauturiers, mais le call size (le nombre de boîtes traité lors d’une escale, NDLR) n’a fait qu’augmenter et fait monter la pression sur toute la chaîne logistique ».
Olivier De Smedt, le directeur de l’opérateur belge WeBarge, parle lui aussi d’une « situation extrêmement préoccupante » et partage l’opinion de son collègue sur l’effet limité du plan d’action. « Dans près de trois cas recensés sur quatre, les retards dépassent les douze heures. Cela n’est pas la faute d’une seule partie, mais d’une combinaison de facteurs très divers.Une meilleure planification ne résoud rien si la manutention physique n’est pas assurée. Il y a davantage de dockers disponibles, mais cela ne se traduit pas nécessairement toujours par un plus grand nombre d’équipes. Et quand les terminaux reportent le traitement d’un volume qu’ils jugent trop réduit parce qu’inférieur à 200 mouvements, vers un shift suivant déjà encombré, on crée un effet de domino ».
Pas d’amélioration à court terme
Cok Vinke et Olivier De Smedt ne peuvent que constater que la compétitivité de la navigation intérieure vis-à-vis du transport routier s’en trouve – à des degrés divers - affectée. Pour le premier : « La concurrence du camion se fait surtout sentir sur les trajets plus courts. Des liaisons comme celle sur le Rhin sont moins touchées. Dans l’ensemble, nos volumes n’ont pas diminué, mais vu la croissance des trafics conteneurisés deepsea – et même si ceux-ci comprennent une part appréciable de transhipment direct – cela signifie que la part de marché du transport routier s’est accrue ». Pour le second : « Nos volumes ont diminué de 10 % et le coefficient de chargement de nos bateaux n’est parfois que de 42 % ». WeBarge opère précisément sur les plus courtes distances et dans les flux intraportuaires, où le coût de la manutention pèse d’un poids comparativement plus lourd.
Olivier De Smedt enfonce le clou : « A l’heure où nous devons relever de graves défis de mobilité et de durabilité et alors que la navigation intérieure offre une large marge de capacité inutilisée et la possibilité de transporter de grands volumes sans ajouter à la congestion routière et en diminuant l’empreinte écologique du transport, c’est tout simplement dramatique. Dans un tel contexte, nous devrions pouvoir nous passer de commerciaux. La réalité aujourd’hui est que nous n’osons pour ainsi dire plus démarcher de nouveaux clients, car nous ne sommes pas certains de pouvoir leur fournir un service fiable ».
Contargo continue à pratiquer des surcharges sur les liaisons entre le Rhin et les ports d’Anvers et de Rotterdam. Elles se montent là pour l’heure à 15 euros par boîte. « Nous avons pu les réduire quelque peu. Mais s’il n’y avait pas ces surcharges, nos résultats seraient tout simplement négatifs. Encore ne répercutons nous pas l’ensemble des surcoûts que nous subissons, donc nos marges ont baissé ». Dans le brouettage intraportuaire des conteneurs, l’équation financière est souvent négative, laisse-t-il entendre. « Pour atteindre le minimum requis de vingt boîtes, il faut parfois beaucoup aller et venir d’un point à l’autre… et naviguer coûte de l’argent ». Selon Olivier De Smedt, la récente création de WeBarge, né de la fusion de deux opérateurs, résulte en partie de cette situation financière.
La situation va-t-elle s’arranger ? Pour Olivier De Smedt, il faudrait commencer par garantir qu’un slot convenu sera effectivement respecté pour garantir une fiabilité dont bénéficierait toute la chaîne. Cok Vinke se montre plus fataliste : « Nous parlons de congestion depuis de nombreuses années. Tout le monde fait ce qu’il peut, mais la chaîne logistique est tellement fragmentée et chacun est tellement obsédé par les coûts et concentré sur son propre trafic, que je ne suis pas certain qu’une amélioration se dessine à court terme ».
De son côté, l’autorité portuaire met en exergue les progrès déjà enregistrés, tout en reconnaissant qu’il reste du chemin à parcourir avant de parvenir à l’éradication du problème de la congestion. « Le plan d’action a eu des effets positifs et la situation s’est améliorée. Mais il suffit d’un incident ou d’une conjoncture moins favorable pour que les temps d’attente repartent à la hausse. Le plan d’action fait l’objet d’une évaluation régulière et nous continuons à analyser, en concertation avec toutes les parties, quelles mesures peuvent aider à mieux absorber les pointes de trafic, à rendre plus performants les échanges de données, à rendre la planification plus efficace, à développer la capacité disponible… Le dialogue reste ouvert ».