Entre les grands ports maritimes, la course au titre de port le plus intelligent/smart est lancée depuis plusieurs années. Forts de leurs moyens financiers, techniques et humains importants, ces ports-là clament haut et fort leur volonté de faire la place la plus large possible à l’innovation sous toutes ses formes : infrastructures et équipements intelligents grâce à l’Internet des objets, procédures sécurisées par des instruments comme la Blockchain, transports autonomes, utilisation des drones, développement d’applications fluidifiant trafics et opérations, cartographie numérisée, e-learning pour les formations, implantation de la 5G…, les axes suivis sont multiples et se multiplient, même s’ils n’en sont parfois qu’à leurs balbutiements.
S’ils font flèche de tout bois au niveau technologique, ils ne négligent pas pour autant l’interaction avec leur environnement et leur intégration sociétale, en privilégiant notamment la recherche d’une durabilité accrue dans tous les domaines, le soutien aux start-up et scale-up, la stimulation d’un esprit de « communauté » au sens large, le travail en réseaux toujours plus diversifiés, la création de plates-formes d’expertise, la participation à des programmes d’innovation européens…
Dans cette arène-là, les ports intérieurs ne combattent pas avec les mêmes armes. Parfaitement conscients du potentiel qu’offrent les technologies nouvelles en ajoutant une dimension de plus à des développements déjà en cours, ils sont toutefois moins richement dotés et opèrent à une échelle plus réduite qui limite leur capacité d’action dans ce domaine smart comme dans d’autres. Ils sont dès lors obligés de se fixer des priorités dans le très large éventail d’options – technologiques, sociétales, environnementales - qui peuvent recevoir le dénominateur smart. Les choix qu’ils font, s’inscrivent logiquement dans leurs préoccupations les plus pressantes. C’est notamment le cas pour les ports de Bruxelles et Liège, pour lesquels un des défis majeurs consiste à assurer la pérennité de leurs activités dans un contexte où les contraintes économiques, sociales et environnementales se font de plus en plus fortes.
Démarche collaborative
Comme l’explique Émile-Louis Bertrand, le directeur-général du port autonome de Liège (PAL) : « Les défis pour devenir un port intelligent sont nombreux. Un port intelligent doit être connecté, performant, durable, collaboratif et innovant. Le port de Liège, en qualité de port intelligent, adopte une approche collaborative dans la gestion de l’activité portuaire. Nous avons cette approche collaborative, d’une part, avec les concessionnaires, d’autre part, avec les habitants riverains ».
Vis-à-vis des entreprises portuaires, cette approche collaborative signifie que le PAL met l’accent sur le développement de synergies, l’écoute de leurs besoins et remplit un rôle de facilitateur dans les projets qu’elles veulent réaliser.
Mais l’approche adoptée déborde le cadre strictement économique et portuaire et emprunte aussi un « axe citoyen ». Le PAL cherche ainsi à « intégrer les riverains, les habitants, les communes et la ville à nos activités. C’est aussi grâce à cette implication que les ports deviennent davantage intelligents », précise Émile-Louis Bertrand. Cela se traduit en tout premier lieu par la création « d’espaces agréables dédiés aux citoyens et à la population riveraine ». Sur les 120 hectares de Liège Trilogiport, par exemple, près de 40 ha ont été consacrés à la zone d’intégration environnementale qui ceint la plate-forme et la sépare de la commune d’Hermalle-sous-Argenteau. Cette zone comprend jardins et vergers communautaires, promenades et pistes cyclables, nature et plans d’eau, faune et flore. Elle est le fruit d’une concertation permanente et constructive avec les riverains.
Des événements participatifs portent par ailleurs le message de l’importance sociétale du port. Ce fut notamment le cas avec l’exposition « The Box, le monde en boîtes » (initialement conçue par le port-musée de Douarnenez et le musée portuaire de Dunkerque) qui a permis aux Liégeois de se faire une idée de la révolution dans les transports et la logistique qu’a entraînée l’apparition du conteneur. Une partie de l’exposition était consacrée à l’intermodalité en Wallonie et à Liège et aux atouts que représentent les plates-formes logistiques de la ville et de la région, avec les enjeux environnementaux et de mobilité pour toile de fond. Le PAL avait constitué à cette occasion un dossier pédagogique relatif à ses activités portuaires afin de sensibiliser les écoliers au rôle d’un port. Ce dossier avait été envoyé à l’ensemble des écoles primaires des villes et communes traversées par la Meuse ou le canal Albert.
Impliquer les citoyens tend également à renforcer la résilience d’un port, car un port intelligent se doit aussi d’être résilient. Cet aspect-là prend des formes concrètes dans l’installation de panneaux photovoltaïques sur la darse couverte de la SOMEF et dans la réalisation d’entrepôts de la dernière génération par les logisticiens qui s’installent à Trilogiport. Il s’exprime dans la réflexion engagée sur l’installation d’alimentation d’électricité à quai pour les bateaux touchant Liège, ou sur celle – collaborative – entre l’autorité portuaire et ses concessionnaires pour limiter l’impact des basses eaux sur le Rhin. Le PAL ne cache pas que dans bien des domaines du smart, même pour le troisième port intérieur en Europe, « il reste beaucoup de chemin à faire ».
Résilience renforcée
Le port de Bruxelles suit un parcours comparable. « Au niveau purement technologique, développer des solutions à l’échelle d’une zone portuaire comme la nôtre, avec ses 14 kilomètres de canal et 104 hectares de superficie, n’a quasiment pas de sens », souligne le port, qui collabore, par exemple, avec le gestionnaire flamand de voies navigables pour la gestion du réseau.
Mais à chaque occasion qui se présente, le port de Bruxelles concourt à la mise en place de solutions plus intelligentes pour l’économie, l’environnement et la société. Le projet du Brussels Construction Consolidation Centre (BCCC) en fournit une illustration. Le port le soutient en collaboration avec InnovIRIS, la plate-forme d’innovation de la région-capitale de Bruxelles. BCCC vise à améliorer la fiabilité et l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement des chantiers dans le but d’augmenter la productivité des entreprises de construction et de réduire l’impact écologique du transport de matériaux de construction et d’autres flux liés aux BTP par l’utilisation de la voie d’eau. BCCC se sert, notamment, d’un système numérique qui permet une planification et un suivi des livraisons et simplifie l’administration. BCCC veut ainsi apporter une réponse intelligente aux problèmes rencontrés par les acteurs de la construction dans une ville comme Bruxelles.
L’intégration dans l’environnement urbain peut quant à elle aller jusqu’à l’aménagement d’un skatepark portuaire dans l’avant-port. Le nouveau Masterplan, qui sera rendu public prochainement, formulera de nouvelles ambitions de ce type pour le développement du port à l’horizon 2040.