Un regard sur la carte suffit pour comprendre la situation particulière du port de Hambourg. Le premier port économique de l’Allemagne, troisième d’Europe derrière Rotterdam et Anvers, à la fois fluvial et maritime, est situé… au cœur de cette ville de 2 millions d’habitants. « C’est à la fois une chance et une contrainte. L’activité du port est visible de tous les habitants. Des gens vivent sur la rive opposée de l’Elbe… Nous avons donc intérêt à ce que tout ce que nous faisons soit accepté de la population. Les habitants sont fiers de leur port. Mais ils ne veulent ni nuisances environnementales, ni nuisances sonores. Et à la différence de Rotterdam ou Dubaï, nous n’avons pas de capacité d’extension. La surface dont nous disposons doit donc être optimisée, utilisée au mieux d’un point de vue économique pour que Hambourg reste un site économique attractif », explique Phanthian Zuesongdham, responsable de la digitalisation et du programme SmartPort au sein de HPA (Hamburg Port Authority), l’agence chargée d’administrer les services du port de Hambourg.
Les contraintes du port de Hambourg ont poussé HPA à s’intéresser tôt au concept de Smart Port et à en préciser les contours dans une brochure : « L’intelligence numérique du port de Hambourg garantit une activité sans accrocs et efficace. Le système de pilotage à distance installé par HPA est à la pointe au niveau mondial. L’interaction de capteurs et de systèmes d’analyse, de prévision, et d’information assure une efficacité maximale. Ce n’est pas seulement bon pour l’activité économique, ça l’est aussi pour l’environnement. Avec sa philosophie Smart Port, l’autorité portuaire de Hambourg garantit une croissance durable et des atouts maximums pour nos clients et la population tout en réduisant au minimum les conséquences sur l’environnement ».
Port à la fois fluvial et maritime, le port de Hambourg manutentionne 136,5 millions de tonnes de fret par an, soit 8,8 millions de conteneurs. Il compte quatre terminaux à conteneurs ultra-modernes, ainsi que 50 terminaux spécialisés. 7 300 entreprises de logistique œuvrent dans le périmètre de la ville. Le port de Hambourg approvisionne un marché de 450 millions d’habitants, et crée 20 milliards d’euros de valeur ajoutée. 260 000 emplois sont liés en Allemagne au port de Hambourg.
Un jumeau numérique du port
Une quarantaine d’initiatives et de projets, certains en coopération avec l’université de Hambourg, sont aujourd’hui regroupés sous le label « Smart Port ». On distingue trois catégories : les projets concernant l’infrastructure intelligente, ceux portant sur la régulation intelligente des trafics de biens et de véhicules - dont le « Port Monitor », un logiciel utilisé par le Vessel Traffic Service (le centre de contrôle maritime du port) du HPA - et ceux consacrés au concept de durabilité.
« Prenez le trafic de véhicules et de marchandises. Les cours d’eau, le rail, la route… L’ensemble du port a été équipé d’un système de capteurs, de radars, de boucles inductives magnétiques, de détecteurs vidéo, etc. qui informent de l’état du trafic en temps réel. On sait toujours combien de camions, de trains, de bateaux ou de conteneurs se trouvent à quel endroit. L’information est transmise à tous les acteurs du port simultanément », explique Phanthian Zuesongdham.
L’objectif est d’augmenter l’efficience des processus. Selon la brochure Smart Port d’HPA : « Des milliers de camions circulent chaque jour sur le site du port. Pour que les flux fonctionnent de façon optimale, le port de Hambourg relie les acteurs entre eux. Qui se trouve sur le port reçoit une sortie de système de navigation personnalisé, informant en temps réel de l’état du trafic, des possibilités de parking, de l’état des infrastructures, d’éventuels travaux etc. ». Quatre parkings pour poids lourds se trouvent sur le site du port et y attendent de décharger les boîtes des très grands navires, chargés jusqu’à 20 000 conteneurs, ce qui représente un important défi logistique. Les poids lourds communiquent quasiment directement avec les systèmes de feux rouges qui passent au vert à leur approche. Les véhicules ne doivent pas freiner et redémarrer ce qui réduit embouteillages et émissions. Même principe pour les trains, les conteneurs, et bien sûr les navires.
L’un des premiers projets du port de Hambourg a été le « Port Monitor ». Ce logiciel du centre de contrôle maritime du port récolte toutes les données telles que les positions des navires, grâce à leurs données AIS, toutes les informations maritimes fournies par les cartes numériques, les hauteurs et largeurs des ponts, le niveau d’eau de l’Elbe en fonction des marées, les sites en cours de construction et les travaux… En clair, le port de Hambourg a digitalisé toutes les informations qui pouvaient être autrefois symbolisées par des épingles de couleur fixées sur une carte. La carte d’antan a définitivement disparu des bureaux du port, remplacée par une reproduction du site en 3D. « Nous avons scanné tout le port. Chaque objet du port a été scanné, modelé. Puis ces objets ont été combinés les uns avec les autres, intégrés dans le travail de planification des ingénieurs. Ils réalisent désormais toutes leurs analyses non plus de façon analogue mais numérique. Le jumeau numérique du port permet de tester différentes options avant toute prise de décision. On peut ainsi décider au mieux, en intégrant les conséquences de nos décisions sur l’environnement, les flux de marchandises etc. », détaille Phanthian Zuesongdham.
Électricité à quai
« En termes de management du trafic, nous sommes à la pointe, Mais aussi en termes d’alimentation en courant renouvelable pour les navires à quai », continue Phanthian Zuesongdham. Début octobre 2019, la municipalité de Hambourg adoptait le principe du développement des possibilités d’exploiter les énergies renouvelables à quai pour porte-conteneurs et navires de croisière. « Hambourg doit être le premier port d’Europe à offrir d’ici trois ans un approvisionnement en courant propre, même pour les plus grands porte-conteneurs », assurait alors le maire de la ville, le social démocrate Peter Tschentscher.
Huit points d’approvisionnement sont prévus à terme. Un investissement de 76 millions d’euros est planifié à cet effet. Un premier transformateur mobile fonctionne depuis 2015 sur le quai Altona, réservé aux navires de croisière. D’ici 2022, les terminaux à conteneurs Burchardkai, Europakai et Predöhkai ainsi que tous ceux réservés aux navires de croisière doivent être reliés au réseau de la ville via des transformateurs mobiles, ce qui n’est pas sans poser des problèmes techniques. Chacun des porte-conteneurs consomme autant de courant à quai qu’une petite ville. Le courant doit être produit de façon neutre du point de vue du climat, profitant du développement des fermes d’éoliennes offshore implantées en mer du Nord. Les défenseurs de l’environnement demandent aux pouvoirs publics d’instaurer une obligation pour tous les navires dans le port de se connecter au réseau de la ville, pour éviter les émissions polluantes liées à la production d’électricité à bord, à partir du fioul.