Fret aérien : stop ou encore ?

Crédit photo ©ADP
Contraintes de capacités, tarifs élevés bien qu'en basse saison, substitut au transport maritime entravé... le fret aérien est dans une bulle d'opportunités, bénéficiant de plusieurs effets de bord. Mais la question de savoir si la dynamique va perdre en énergie au cours du second semestre reste ouverte. Elle dépend de tant de facteurs.

« Les signaux sont clairs : le fret aérien risque fortement de flamber après l’été. Nous vivons le calme avant la tempête. Un calme tout relatif d’un point de vue tarifaire, alors que le taux moyen depuis la Chine vers l’Europe est déjà près de 60 % plus élevé qu’il y a un an à la même époque. Les grandes plateformes de e-commerce chinoises stimulent fortement le marché, en dehors de toute vieille logique saisonnière », résume Arthur Barillas, le fondateur et CEO du transitaire numérique Ovrsea, dans sa dernière note à l'intention de ses clients.

Dans l’immédiat, les taux du fret aérien sont stables depuis plusieurs semaines mais à un niveau étonnamment élevé pour une basse saison. L’an dernier, rappelle le dirigeant la « peak season aérienne avait débuté la première semaine de septembre, jusqu’à culminer début décembre. Les prix avaient alors doublé ». Selon les projections d’Ovrsea, les taux sur le trade Chine-Europe pourraient atteindre entre 6 et 9 $ le kg en décembre.

L'e-commerce chinois, un phénomène

De leur côté, les prestataires logistiques continuent de signaler des contraintes dans les espaces garantis à bord des avions, et ce, pour le reste de l'année, car les plateformes chinoises de commerce électronique ont préacheté et préempté les capacités à long terme, ce qui contraint les autres chargeurs à réserver à prix fort sur le marché au comptant.

L'irrépressible montée en puissance de l'e-commerce (+ 112 % entre 2018 et 2023) a fait émerger des hubs d'expédition qui expédient plus de 10 000 t de marchandises quotidiennement, selon Boeing, ce qui représente la cargaison d'une centaine de B777F.

La ferveur autour du commerce électronique est certes l'actuel moteur du fret aérien – certaines estimations lui attribuent un cinquième des volumes mondiaux transportés par les airs –, mais d"autres effets de bord ne sont pas à négliger.

Les contraintes du transport maritime

La dynamique est aussi entretenue par les contraintes de capacité dans le transport maritime mondial. Le passage obligé par la pointe sud de l’Afrique pour éviter les attaques des Houthis contre la marine marchande en mer Rouge allonge non seulement l’itinéraire d'une dizaine de jours mais absorbe aussi l'offre dans la mesure où les compagnies doivent aligner plus de navires pour assurer la régularité de leurs services.

La situation a incité les détaillants et grossistes, échaudés par l'expérience covidienne, à avancer leurs commandes, traditionnellement prises à l’automne, pour ne pas se retrouver sans stock pour les fêtes de fin d'année, a fortiori aux États-Unis, où la consommation est un sport national.

Le spectre d'une grève des dockers dans les ports de la côte est-américaine, les négociations sociales entre les dockers et leurs employeurs s’enlisant, ainsi que la perspective de l’élection du très protectionniste Donald Trump, qui a promis des droits de douane de 10 % sur tous les produits importés et de 60 % sur les produits en provenance de Chine, ont ajouté aux mouvements de panique sur les capacités et au rush sur l'offre.

Basculer sur le ciel

Pour des expéditions soumises à des contraintes de temps, certaines entreprises ont d'ores et déjà basculé sur l’aérien ou sur un combo mer/air via des hubs situés en Asie du Sud-Ouest ou au Moyen-Orient.

À 8 200 $ par boîte de 40 pieds au départ de l'Asie et à destination de Los Angeles, et 9 300 $ vers New-York, la différence de coût entre les deux modes de transport se réduit. Si les tarifs des soutes restent encore six fois plus élevés, alors qu'ils le sont 12 à 15 fois dans des conditions normales, l’écart est le plus faible observé depuis le troisième trimestre 2022, rappelle l'auteur de l'indice Freightos.

Les tarifs moyens du fret aérien mondial sont supérieurs de 13 % à ce qu'il était il y a un an, d'après l'indice TAC. Il faut compter 5,60 $ par kg au départ de la Chine vers l'Amérique du Nord et 3,38 $/kg vers l'Europe, avance Freightos.

Équilibre entre l'offre et la demande ultra favorable

L’ensemble de ces phénomènes se traduit dans les données de trafics. En juin, les volumes de fret aérien ont augmenté de 13 % par rapport à l'année précédente (effet de base à tenir compte), tandis que l'offre de transport n'a augmenté que de 3 %, selon Xeneta, plateforme de comparaison des tarifs de fret (aérien et maritime) en temps réel. Il s'agit du septième mois consécutif de croissance à deux chiffres du poids facturable transporté par les compagnies aériennes.

En témoignage de cet essor, Delta Air Lines a publié des recettes de fret en hausse de 16 % au deuxième trimestre par rapport à l'année précédente, à 199 M$, ce qui représente une amélioration significative après six trimestres consécutifs de baisse à deux chiffres. Les revenus du fret avaient baissé de 15 % au premier trimestre et de 31 % en 2023 par rapport à l'année précédente.

Jusqu'à quand ?

Selon l’IATA, le trafic de fret aérien augmentera de 5 % cette année et la capacité, de 8,6 %. La question de savoir si la dynamique va perdre en énergie au cours du second semestre reste ouverte. Elle dépend de tant de facteurs, de l'industrie manufacturière mondiale, de la consommation, de la géopolitique, de l’inflation, de la santé de la Chine, du profil du futur président américain, de la guerre commerciale mais aussi des taux de fret en mer. Or, au cours du second semestre, le secteur va être noyé par une vague de livraisons. Avant ce choc de capacités, l'échauffement en cours pourrait être rapidement douché.

À plus long terme, les deux géants de la construction aéronautique mondiake sont confiants. Airbus voit la flotte des avions tout-cargo augmenter de moitié d'ici à 2043, à 3 360 unités contre 2 220 aujourd'hui, avec 2 470 nouveaux appareils à livrer. Pour Boeing, les freighters devraient augmenter de deux-tiers, à 3 900 unités.

Adeline Descamps

 

Le mois de mai a été le sixième mois consécutif de croissance à deux chiffres de la demande mondiale

Dans sa dernière note de marché, actualisée en mai, l’Association internationale du transport aérien (IATA) met en exergue cette tendance. Le mois de mai a été le sixième mois consécutif de croissance à deux chiffres de la demande mondiale, les deux-tiers de la hausse portés par les transporteurs d'Asie-Pacifique et d'Europe. La demande de fret aérien a augmenté en tonnes-kilomètres de fret (CTK) de 14,7 % en glissement annuel et les tonnes-kilomètres de fret disponibles (ACTK) de 6,7 % dans l'ensemble du secteur. « Le mois de mai a été marqué par une légère amélioration de la production industrielle [+ 2,7 % sur un an] et du commerce [+ 1,8 % sur un an] au niveau mondial, ce qui a soutenu la confiance des directeurs d’achat, plus enclins à passer commande », commentent les auteurs du point de conjoncture.

L'indice des directeurs d'achat (PMI) et celui des nouvelles commandes à l'exportation, deux indicateurs avancés de la demande mondiale de fret aérien, étaient en effet au-dessus du seuil fatidique de 50, frontière séparant la contraction de la croissance, signe encourageant témoignant de l'évolution à la hausse du commerce mondial des marchandises.

Depuis le début de l'année (arrête à fin mai), la demande de fret aérien s'est établie à 13,2 % au-dessus des niveaux de 2023 et à 3,1 % au-dessus de 2022. Les transporteurs de toutes les régions sont concernés par la dynamique, enregistrant des croissances de 10 % à 18 %, ceux enregistrés en Afrique et en Asie-Pacifique affichant les CTK internationaux les plus élevés. En hausse de 17,5 % en glissement annuel, les transporteurs européens tirent très bien leur épingle du jeu, en comparaison de leurs homologues d’Amérique du Nord (+ 9,6 %).

Toutes les routes sont également bien positionnées. L’Europe-Asie, deuxième marché en volume, est haut en couleur (+ 20,4 %), pour le troisième mois consécutif à deux chiffres. En comparaison, le marché Asie-Amérique du Nord (+ 12 %) et Amérique du Nord-Europe (+ 8,9 %) passerait pour moribond mais il reflète en réalité la plus forte augmentation de la demande depuis le milieu de l'année 2022.

Toutefois, le trade Asie-Amérique du Nord reste hypothéqué par la perspective des barrières commerciales érigées par l’administration américaine sur une catégorie de biens.

A.D.


 

 

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