Décarbonation de l'aviation en 2050, horizon indépassable ?

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Pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050, comme l'assigne l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), la sortie d’avions plus sobres et des investissements colossaux dans la production de carburants verts sont les deux principaux leviers dont dispose le secteur. Or, les deux sont sinon hypothéqués du moins bien conditionnés.

Les investissements nécessaires pour produire à grande échelle les carburants d'aviation durables (SAF) fragilisent-ils l'objectif de neutralité carbone que les 193 États membres de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) ont fixé en 2021 au secteur actuellement responsable de 2,5 à 3 % des émissions mondiales de CO2 ?

Pour être au rendez-vous, la sortie d’avions plus efficients sur un plan environnemental et des investissements colossaux dans la production de carburants verts sont les deux actuels principaux leviers dont dispose le secteur.

Les avions les plus récents – A320neo, B737 MAX, A330neo, A350 et B787 –, consomment jusqu'à 30 % de kérosène en moins que la moyenne des avions en service, à en croire un rapport de l'Académie française de l'air et de l'espace (AAE).
« 70 % de la flotte mondiale en service est actuellement d’ancienne génération », disait autrement, en début d'année, Christian Scherer, directeur général d'Airbus Avions commerciaux.

Une gageure ?

La flotte mondiale doit doubler en 20 ans, selon les prévisions d'Airbus, qui table sur un besoin de 42 430 avions neufs d'ici à 2043, dont 18 460 unités destinées à remplacer des appareils en fin de vie.

Les estimations de son rival historique, l’Américain Boeing, diffèrent, à la marge : sur les quelque 26 750 appareils en service (passagers et fret), seuls 6 195 devraient encore voler dans vingt ans. En clair, près de 44 000 aéronefs doivent sortir des chaînes d'assemblage d'ici 2043. « Une gageure alors que les contraintes d'approvisionnement continueront de peser jusqu'en 2026 au moins », s’affole le cabinet Alix Partners.

Les deux avionneurs sont en effet contraints par des problématiques de production, qu’il s’agisse de répondre en cadence et en masse à la demande (Airbus) ou de qualité et de sécurité (Boeing).

« Il y a des tensions assez extrêmes sur la chaîne de fournisseurs, abonde Jérôme Bouchard, expert au cabinet Oliver Wyman. L'entrée [des nouveaux avions] va forcément être différée ».

Or, pour atteindre la neutralité carbone, « tous les nouveaux aéronefs livrés après 2035 environ devront émettre zéro émission nette de CO2 », rappelle l'International Council on Clean Transportation (ICCT). L’enjeu est prégnant pour les avions long-courriers qui représentent 6,6 % des vols mais 48,1 % des émissions à eux seuls, ajoute Pascal Fabre, expert chez Alix Partners.

Une marche énorme mais à ne pas rater

Les carburants d'aviation durables sont donc la marche à ne pas rater : 65 % de l’effort à atteindre repose sur leur disponibilité, le solde des réductions reposant sur de nouvelles technologies (avion à hydrogène), une optimisation des opérations au sol et dans les airs, et des compensations carbone.

Les compagnies aériennes sont tenues d’incorporer 5 % de produits d'origine non fossile dans le carburant d'aviation à l'horizon 2030, un objectif que l'Association internationale du transport aérien (Iata) a jugé en l'état « extrêmement ambitieux ».

Les volumes à produire sont en effet vertigineux : l'aviation consommerait 450 milliards de litres de SAF par an au milieu du siècle, selon les calculs de la principale association du secteur (320 compagnies et 83 % du trafic aérien mondial).

Produits à partir de biomasse (huiles usagées, résidus de bois, algues), les SAF sont utilisables directement dans les avions actuels, certifiés pour des mélanges à 50 % dans le kérosène, et 100 % promis d'ici à 2030. Pour inciter à les produire, l'UE a prévu une obligation graduelle d'incorporation, de 2 % en 2025 jusqu'à 70 % en 2050.

Les e-carburants, pas moins incertains

Mais la biomasse est limitée et ne permettra de couvrir les besoins que jusqu'en 2030, selon les fournisseurs d'énergies. Il faudra donc passer aux carburants de synthèse (e-fuels), produits à base d’hydrogène vert et de CO2 capté dans l’air ou dans les fumées industrielles, mais dont la technologie est loin de permettre une production à l'échelle.
Qui dit hydrogène dit aussi des quantités phénoménales d'électricité. Au niveau de l'UE, le besoin est estimé par l'Académie de l'air et de l'espace à 650 TWh/an, soit « plus que la consommation électrique actuelle totale de grands pays comme l’Allemagne ou la France ».

La production de carburants d'aviation d'origine non fossile devrait tripler cette année par rapport à l'année dernière, se félicitait l'Association internationale du transport aérien (Iata) en juin en marge d'un sommet de ses membres à Dubaï. Le porte-voix du secteur gage sur un volume d’1,9 milliard de litres. C’est très peu au regard des volumes requis mais c’est un gigantesque pas par rapport aux 25 millions de litres établis en 2019.

Pour tenir la trajectoire tracée après 2030, il faudrait néanmoins investir plus de 1 000 Md$ dans les capacités de production durant les six prochaines années, estime Jérôme Bouchard. Alors que la production de ces carburants, aux États-Unis, est fortement subventionnée par le plan de relance IRA du président Joe Biden, le directeur général de l'Iata Willie Walsh a profité du rendez-vous de juin pour appeler les gouvernements à accélérer le développement de filières de production, qui reste balbutiante et très chère.

Mauvais signal, après BP, la major britannique Shell a annoncé en début de ce mois de juillet suspendre la construction d'une usine de biocarburants au Pays-Bas, qui devait produire du carburant durable d'aviation et du diesel renouvelable à partir de déchets.

Adeline Descamps (avec la contribution de Mathieu Rabechault)

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