Tiercé de piraterie. Détroit de Singapour, Indonésie et Bangladesh concentrent à eux trois 79 des 116 actes de piraterie recensés en 2024. L’Asie du sud-Est (70) et le sous-continent indien (16) surplombent le panorama dressé chaque année par Bureau maritime international (BMI), instance relevant de la Chambre de commerce internationale (45 millions d'entreprises dans plus de 170 pays). La piraterie s’est bien massivement déportée sur l’Asie après avoir élu domicile dans le golfe de Guinée, mis sous la pression maximale ces dernières années par des flibustiers de plus en plus armés et structurés.
Le regain des exactions en Asie du Sud-Est inquiète la communauté internationale sauf à considérer que l’apaisement observé dans les années 2020-2022 soit à attribuer à la pandémie. Toutes « destinations confondues », les faits recensés restent élevés (61 en 2020, 56 en 2021, 58 en 2022, 67 en 2023 et 70 en 2024), mais dans le détail, en Indonésie, seuls 9 et 10 agressions avaient été reportées en 2021 et 2022 contre 22 en 2024. C’est moins vrai pour le détroit de Singapour, où une moyenne de 35 signalements par an a été remontée.
Dans ce haut-lieu historique de la piraterie maritime, le BIM, qui ne fait pas que référencer les actes mais assure aussi la liaison avec les organismes d'intervention en cas d’attaques, estime que la piraterie y est moins armée et violente qu’en Afrique.
En revanche, dans le détroit de Malacca, qui comme tous les « choke point », sont propices à l’expression de la criminalité en tout genre, le nombre de déclarations a considérablement diminué en raison de l'intensification des patrouilles des autorités des États côtiers depuis juillet 2005. Ainsi trois attaques ont été recensées en cinq ans (aucune en 2020 et 2022).
Afrique : calme dans le golfe de Guinée...
En Afrique, 26 événements ont été rapportés à l’organisation, dont 7 en Somalie, 5 en Angola, et 4 en Guinée équatoriale. À noter un seul et unique fait au Nigéria contre 35 en 2020. Très peu d’attaques y sont à vrai dire recensées depuis 2022. La volonté politique du pays de s'attaquer au fléau a été particulièrement marquée puisque la piraterie fait l’objet d’une législation.
De même, les efforts déployés sous la forme d’une forte présence navale régionale et internationale dans ce no man's land qu’était devenue la côte ouest-africaine semblent payants. Le nombre de signalements y a en effet été fortement réduit. Huit actes ont été relevés dans dix pays dont un seul en Guinée. Mais les agressions à l’égard des marins ne sont pas neutres, la région représentant 23 % du nombre total d'équipages pris en otage en 2024.
Mais pas dans l'océan Indien...
En revanche, dans l’océan Indien, épicentre mondial de la piraterie dans les années noires 2001-2012, apaisé depuis quelques années, les pirates sont de retour aux affaires. Tout particulièrement en Somalie (sept agressions) où la piraterie avait été éradiquée depuis 2018 (0 acte entre 2020 et 2022 et un seul en 2023).
Actuellement, d’après la force navale européenne, plusieurs groupes d'action pirates opèrent au moyen de skiffs lancés à partir de navires-mères, qui peuvent être des chalutiers ou des boutres motorisés détournés afin d'accroître leur rayon d'action. En général, les pirates somaliens sont bien armés, équipés d'AK-47, que l’on peut se procurer pour 1 200 $, legs de deux décennies de guerre civile, et de lance-roquettes pour contraindre le navire à arrêter sa course. Selon les informations révélées par l'État semi-autonome du Puntland, à la BBC une dizaine de gangs, comptant chacun une douzaine de membres, opéreraient dans la région.
Dans cette région, la problématique est structurelle : la pêche illégale fournit une explication aux origines du fléau. Selon l'Initiative mondiale contre la criminalité organisée, de nombreux navires de pêche opèrent sans licence ou avec des licences délivrées par des organismes qui ne sont pas habilités à le faire. Les données de navigation par satellite indiquent que de nombreux navires proviennent de Chine, d'Iran, du Yémen et d'Asie du Sud-Est naviguent dans ses eaux, accaparant le labeur des pécheurs locaux qui pour certains, versent dans la piraterie pour survivre.
Le pôle d'expertise français de sûreté maritime MICA Center avait également alerté l’an dernier sur ce retour de flamme. Pour les spécialistes, les intérêts malveillants dans la corne de l’Afrique ne sont pas sans liens avec le fait que les forces navales étrangères soient accaparées par la lutte contre les Houthis du Yémen, situation offrant une fenêtre d'impunité aux pirates somaliens.
Dans cette région, la présence de gardes armés à bord de navires marchands et les patrouilles des bâtiments de guerre déployés à des fins de sécurisation par l'UE dans le cadre de la mission de sécurité maritime Eunavfor Atalante, par l’OTAN avec l'opération Ocean Shield et par les États-Unis sous la Combined Joint Taskforce-Horn of Africa, ont eu un effet dissuasif. Selon les données de la Banque mondiale, de 2005 à 2012, entre 339 à 413 M$ auront été versés en rançons pour des actes commis dans la zone.
Les pirates affirment notamment avoir reçu une rançon de 5 M$ pour libérer le MV Abdullah, battant pavillon du Bangladesh et détourné en mars 2024. Le propriétaire du navire n'a pas confirmé cette information, mais a indiqué que le navire avait été libéré à la suite de négociations.
Baisse généralisée
Quoi qu’il en soit, les arraisonnements, détournements, abordages, tentatives d'accéder au navire, enlèvements, prises d'otage, vols de cargaison, dommages matériels… sont en nette diminution : 116 incidents en 2024 contre 120 en 2023 et 115 en 2022. Selon le rapport, 94 navires ont été abordés, ce qui a toujours été dominant dans ces classements (dont 40 dans le détroit de Singapour), 13 ont fait l’objet de tentatives d'attaques, six ont été détournés et trois ont essuyé des tirs.
Bien que le nombre d'incidents signalés en 2024 reste similaire à ceux signalés en 2023 et 2022 (120 et 115 respectivement), l'augmentation du nombre d'équipages pris pour cibles est notable : 126 prises d'otages en 2024 contre 73 en 2023 et 41 en 2022. Aussi, douze marins ont été enlevés, contre 14 en 2023 et deux en 2022. Douze autres ont été menacés et un a été blessé.
Recours aux armes en hausse
L'utilisation des armes se diffuse. Il en a été fait l’usage dans 26 cas contre 15 en 2023. Le recours aux armes blanches, déclaré dans 39 faits en 2024 et 42 en 2023, est une autre réalité. Autre fait, le mois de janvier a été le plus accidenté avec 19 événements recensés et la fin de l’année a été très dynamique (32 sur les trois derniers mois). Les vraquiers et les tankers sont particulièrement visés par les prédateurs.
« Malgré la baisse des activités, il n'y a pas lieu de relâcher la vigilance car les menaces permanentes qui pèsent sur la sécurité des équipages soulignent l'importance de rester prudent, met en garde directeur du BIM, Michael Howlett. Les capitaines et les exploitants de navires sont vivement encouragés à respecter scrupuleusement toutes les recommandations des meilleures pratiques de gestion lorsqu'ils transitent par le golfe de Guinée et les eaux au large de l'Afrique de l'Est ».
Adeline Descamps
L'inquiétant abandon de navires
Un autre fait, qui n’est pas l’objet du rapport du BIM, mais qui touche à l’intégrité des gens de mer, est de plus prégnant. L'année 2024 a été la pire jamais enregistrée en matière d'abandon de marins, en hausse de 136 % en 2024, selon la fédération internationale des ouvriers du transport, l'ITF qui a documenté cette problématique.
Au total, 312 navires ont été abandonnés en 2024, contre 132 en 2023. Plus de 3 000 marins laissés pour compte ont fait appel au syndicat en 2024, soit près du double des 1 676 qui avaient demandé de l'aide en 2023. « Une honte absolue que des armateurs sans scrupules abandonnent autant d'équipages en toute impunité face aux gouvernements et aux régulateurs internationaux », réagit dans le document Steve Trowsdale, coordinateur de l'inspection mondiale de l'ITF. « L'augmentation scandaleuse des cas signalés d'abandon de marins révèle la triste vérité d'une industrie qui s'appuie depuis bien trop longtemps sur des pratiques d'exploitation incontrôlées et l'absence de réglementation mondiale », ajoute le secrétaire général de l'ITF, Stephen Cotton. « La solution est évidente : une meilleure réglementation, une meilleure application et une plus grande responsabilité de la part des gouvernements. »
La nationalité indienne – numériquement le plus gros bataillon de ressources humaines à bord –, est la plus concernée, devant les Syriens et les Ukrainiens. Selon l'ITF, 20,4 M$ d’impayés sont dus aux marins abandonnés, certains pas payés pendant plus d’une année. Le syndicat a déclaré en avoir récupéré moins de 10 M$ à ce stade. Selon ce rapport, les Émirats arabes unis sont l'État du port qui compte le plus grand nombre de cas d'abandon en 2024 (42), devant la Turquie avec 25. Si le Panama est sur la sellette, la fédération observe une « forte augmentation » des cas impliquant d'autres pavillons, notamment les Palaos (37), la Tanzanie (30), les Comores (29), le Cameroun (20) et Bahreïn (16).
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