Les prix spot pour le transport de conteneurs sur les routes maritimes Asie-Europe continuent de grimper alors que la capacité reste limitée, portant les prix mondiaux moyens à leur plus haut niveau depuis 2015, révèle la dernière note de Drewry. À se demander s’il y a un rapport entre les taux de fret et la réalité de la demande…
L'indice mondial composite des conteneurs établi par Drewry (World Container Index), sur huit grands trafics Est-Ouest, a atteint cette semaine son plus haut niveau depuis 5 ans, à 1 885,17 $/EVP, soit une hausse de 39,3 % par rapport à la même période de 2019. Le pic est atteint alors que la flotte compte désormais 453 porte-conteneurs inactifs pour environ 2,32 MEVP retirés du marché au 22 juin mais en phase de décélération. Toutefois, au regard des annulations annoncées pour le 3e trimestre par les compagnies, une nouvelle contraction de la flotte inactive est attendue. Dans l’immédiat, le nombre de navires sans emploi baisse dans tous les segments de taille, à l'exception des plus de 12 000 EVP qui reste stable à 49 navires. Ce sont les unités de 3 000 à 5 099 EVP qui reprennent la mer plus vite que les autres
Alors que la demande en Europe opère son redressement sur un marché du transport maritime par conteneurs où la capacité reste limitée, les taux sur les trafics Shanghai-Rotterdam et Shanghai-Gênes ont augmenté de 11 et 9 %. Les taux spot de Shanghai à Rotterdam sont maintenant 26 % plus élevés qu'il y a un an, tandis que les taux spot de Shanghai à Gênes ont augmenté de 25 % en un an.
Sur le commerce transpacifique, après plusieurs semaines de gains, les taux spot de Shanghai à Los Angeles ont chuté de 9 % la semaine dernière à 2 467 $/EVP mais ils restent 68 % plus élevés qu'il y a un an. Et après de fortes hausses la semaine dernière, ils sont restés stables entre Shanghai et New York, à 3 196 $/EVP, soit 30 % de plus qu'il y a un an. Sur les routes transatlantiques, les tendances sont à la baisse : les prix de Rotterdam à New York ont perdu 134 $ pour s’établir à 2 443 $/EVP. De même, les prix moyens de New York à Rotterdam ont baissé de 2 %, à 2 509 $/EVP.
Conteneur : toujours plus de départs annulés
L’offre à l’agenda
Selon Alphaliner, l’offre semble reprendre ses droits. Mais les données diffèrent d’une « chapelle » à l’autre – de 17 à 30 % entre Alphaliner et Sea-Intelligence par exemple – et ils ne sont pas d’accord sur les termes de ce semblant de reprise. « Les autres analystes se basent sur le décompte du nombre de départs annulés d’où les écarts de donnée », tacle le Néerlandais. Quant aux raisons de la réintroduction de capacité, ce dernier y voit le signe d’une reprise claire de la demande alors que le danois Sea-Intelligence l’attribue à des effets de rattrapage, les transporteurs ayant supprimé trop de services par rapport à la demande. Du coup, ils réintroduisent en catastrophe des capacités.
Avec près de 436 300 EVP au 1er juin, soit 24 300 EVP de moins qu’en juin 2019, la capacité hebdomadaire moyenne des navires sur le trade transpacifique pourrait retrouver son rythme d'il y a un an, indique Alphaliner. La reprise du service 2M TP-8 / Orient à partir du 8 juin, le lancement du service Shenzhen - Los Angeles Zim eCommerce Xpress (ZEX) le 23 juin et le lancement d'un nouveau service Chine - Californie par Maersk et MSC (2M) le 6 juillet, ajouteront quelque 23 000 EVP de capacité hebdomadaire au marché. L’offre pourrait même être supérieur cet été à ce qu’elle était il y a un an à la même période, si 2M et THE Alliance réactivaient deux services que les alliances de transporteurs ont suspendus depuis avril et jusqu’à fin juillet. Evergreen et Yang Ming ont également introduit 12 000 EVP entre l'Asie et les États-Unis.
Part de marché des alliances en mouvance
La deuxième grande route Est-Ouest, entre l'Asie et l'Europe, ne se trouve pas dans la même configuration. La capacité des navires reste bien inférieure aux niveaux antérieurs à l’émergence du virus. Au 1er juin, elle s'élevait à 361 100 EVP par semaine, soit 74 300 EVP ou 17,1 % de moins qu'un an plus tôt. Le lancement du service saisonnier bimensuel Griffin de 2M n'augmentera que marginalement l'offre sur la ligne. 2M et THE Alliance ont suspendu leurs grandes rotations jusqu'à la fin septembre. Les capacités de deux alliances sont respectivement inférieures de 22,7 % et 18 % à celles de l'année dernière.
Ocean Alliance n'ayant pas suspendu un seul service pour se limiter à annuler des départs, l'offre de capacité de Cosco, de CMA CGM et d'Evergreen n'a diminué que de 12,4 % par rapport au 1er juin 2019. Ce qui explique son augmentation de sa part de marché de 37 % à 39 % aux dépens de THE Alliance (dont les parts de marché passent de 25 à 23%).
Inquiétudes réarmées aux États-Unis
De ce point de vue, le transpacifique présente une autre photographie. La capacité de THE Alliance a augmenté de 10 % pour atteindre 130 000 EVP par semaine, ce qui s'est traduit par une augmentation de sa part de marché de 26 % à 30 %. L’alliance le doit à l’arrivée de HMM le 1er avril en tant que membre à part entière. Il suffit de se reporter à 2019 pour s’en convaincre : la seul capacité hebdomadaire moyenne offerte par HMM, naviguant alors en autonomie, représentait 4,3 % de la capacité totale de cette route.
2M a également augmenté de 8 % sa capacité hebdomadaire sur le trafic entre Asie et Amérique du Nord, s’expliquant notamment par le déploiement de mégamax, tel le MSC Isabella de 23 656 EVP qui vient d’offrir à Los Angeles un record américain pour le nombre de boîtes traitées. Or, la flambée actuelle des cas aux États-Unis et en Inde a ravivé les inquiétudes dans le secteur du transport par conteneurs.
Le volume conteneurisé mondial s'est contracté de 17 % en avril
Curieuse décorrélation entre les taux de fret et la réalité de la demande
Tous les observateurs du marché saluent l’extrême discipline des armateurs dans la gestion de leur offre (baisse unilatérale) et leur politique tarifaire (pas de guerre des prix) leur permettant d’échapper à un naufrage collectif.
Paul Tourret, qui dirige l’Institut supérieur de l’économie maritime (Isemar), pousse le raisonnement plus loin. « Y a-t-il un rapport entre les taux de fret et la réalité de la demande ?», interroge-t-il faussement. Si on observe le China Freight Container Index (CFCI) sur l’Europe et les volumes conteneurisés Asie-Europe d’après les données de CTS, on peut en effet s’interroger ».
Passant en revue les précédentes crises, l’économiste met à jour une réelle décorrélation. « Lors de la crise de 2008, le marché n’est reparti qu'en 2010, mais les taux de fret ont amorcé leur reprise dès l’été 2009. En 2011-12, en pleine crise européenne, c’est une guerre commerciale entre armateurs qui est à l’origine de la baisse des taux en 2011 car la chute de la demande ne se produit qu'en 2012 ». En 2015, poursuit-il, l’ajustement euro-dollar et la guerre russo-ukrainienne ont une influence sur les volumes, mais les taux ne touchent le fond qu’en 2016 alors que le marché a repris des couleurs. « Cela coûtera la vie à Hanjin et précipitera une vague de fusions-acquisitions ». Depuis début 2017, les taux sont stables alors que les fusions auraient dû les tirer vers le haut « mais de notoriété publique, les armements sont en concurrence active »…
Adeline Descamps