Après six années de grande souffrance et un exercice 2021 particulièrement désastreux pour la demande de voitures – seulement 76,5 millions d'unités produites en 2021, soit 4,5 millions de moins par rapport à sa moyenne – , 2022 s’annonçait sous de meilleurs auspices bien que le secteur est poursuivi depuis de longs mois par une pénurie chronique de puces électroniques et des difficultés d’approvisionnement critiques. Face à des stocks asséchés par la pandémie, la production a repris sur les chapeaux de roues, ne parvenant pas à éponge la demande qui a suivi la sortie du confinement.
Or, l’inflation des coûts des métaux – le palladium utilisé dans les convertisseurs catalytiques fourni par la Russie, l’aluminiun, élément clé des batteries des véhicules électriques ou le nickel, utilisé dans les châssis de véhicules –, la flambée de l'énergie et la problématique persistante des semi-conducteurs et désormais des faisceaux de câblage, pièce stratégique assurée par l’Ukraine, menacent le secteur d’une nouvelle sortie de route.
Les prix des produits de base se sont emballés au cours des 30 derniers jours et les soutes s’envolent (+ 21 % durant le premier trimestre pour l’IFO380) si bien que les analystes du secteur automobile ont revu à la baisse la production mondiale pour 2022, l’amputant de 2 millions d'unités.
Augmentation des vitesses, reflet de la forte demande
Dans ce contexte, l’envolée des tarifs d’affrètement des transporteurs de voitures paraîtrait presque anachronique. Selon VesselsValue, le Lake Wanaka de Eastern Pacific, un transporteur de véhicules de 4 902 unités (Car equivalent unit), construit en mai 2008, a été négocié pour un an à 50 000 $/jour avec Volkswagen en mars. Une prime de 10 000 $ par rapport au plus récent Lake Geneva (6 178 CEU, janvier 2015) fixé pour six mois à Glovis juste douze semaines auparavant. « Il ne faudra pas attendre longtemps avant de voir des négociations à 75 000 $/jour », estime le spécialiste de la valorisation des navires.
Autre signal positif reflétant la nécessité de livrer les voitures rapidement, l’augmentation des vitesses. Suivant les données agrégées des navires, les PCTC (pure car and truck carrier) ont connu leur rythme le plus rapide en neuf ans au cours du mois de mars avec des vitesses moyennes de 15,91 nœuds contre 15,61 nœuds en février et 15,59 en janvier, a observé VesselsValue.
Nouvelle demande en véhicules électriques
« Les armateurs suivent de près les prévisions de production, car elles se sont révélées être un excellent outil de mesure pour prédire la demande future. Ces dernières années, environ 18 % de la production annuelle ont été acheminés par ces navires. Les dernières prévisions pour 2022 suggèrent qu'environ 1,3 million de voitures supplémentaires seront transportées par voie de mer », note le consultant.
Un autre changement dans les volumes transportés se préparent avec la Chine à nouveau au centre des enjeux. La Chine est en passe de dominer le marché des véhicules électriques. Elle assure déjà environ 80 % de la production mondiale de batteries et 30 % de tous les véhicules légers vendus dans le monde. Plus de 80 % des véhicules électriques vendus en Chine sont fabriqués localement par les nombreux équipementiers établis dans le pays. Les marques chinoises ont représenté 17 des 20 modèles les plus vendus dans le monde en janvier.
Les trois autres (Tesla Model 3, Tesla Model Y, Volkswagen ID.4) sont également fabriqués en Chine. L’entreprise du fantasque Elon Musk a pour objectif de vendre 2 millions d’unités ette année, contre 0,96 million en 2021. Selon les analystes, 25 % des ventes européennes pourraient provenir de Chine d'ici 2030.
Ce paramètre n’est pas sans conséquences sur la demane de transport et les distances parcourues
Equilibre entre offre et demande favorable
Face à cette forte demande, la flotte mondiale a la configuration idéale pour y répondre en de bonnes conditions : cinq années consécutives de faibles commandes à partir de 2016, combinées à une activité de démolition importante, ont créé les conditions de pénurie de l'offre actuelle. Même si 2021 a toutefois inversé la tendance avec 53 commandes de navires, soit une hausse de 124 % par rapport à la moyenne historique, dont plus de 90 % étaient d’ailleurs des bicarburants avec le GNL.
Des tarifs d’affrètement à six chiffres ?
Le marché S&P affiche également haut les couleurs. VesselsValue a relevé deux ventes-témoin – les Hoegh Maputo et Hoegh Singapore de 4900 CEU, construits en 2011 –, ont été acquis pour près de 80 M$ par Neptune Lines. Leur valeur a augmenté d'environ 61 % depuis juin 2021. Douloureux. Mais VesselsValue est persuadé qu’elle est un marqueur des futures transactions.
« Est-il trop tôt pour parler de taux d’affrètement à six chiffres ? interroge l’expert. Ce n'est plus impossible si l'on se base sur la pénurie soutenue par les réglementations de l'OMI et les fortes prévisions de la demande automobile qui se traduisent par une sollicitation plus importante des PCTC à moyen terme. Cette demande est en outre stimulée par l'appétit insatiable du monde pour les véhicules électriques ».
Adeline Descamps