En mars 2021, l’agence d’information Bloomberg avait révélé qu’A.P. Moller-Maersk envisageait de vendre son unité de fabrication de conteneurs Maersk Container Industry. La filiale du groupe danois s’était recentrée dernièrement sur le reefer avec une production sur le site de Qingdao au détriment de Dongguan alors que celui de San Antonio, au Chili, avait déjà été condamné auparavant.
Le groupe danois avait d’abord démenti avant d’annoncer en septembre dernier une offre du chinois CIMC pour 987 M$. Une opération qui lui permettrait de contrôler 50 % du marché. Avec 42 % de parts de marché mondial (selon Drewry), China International Marine Containers (CIMC) est en effet l’un des trois principaux fabricants de boîtes au monde. Un marché contrôlé par un poignée d'entreprises chinoises contrôlés ou détenus par l'Etat. CIMC, Shanghai Universal Logistics Equipment (SULE) et CXIC assurent plus de 90 % de la production annuelle de conteneurs. Le reefer opère selon les mêmes règles, avec quatre opérateurs dominants, parmi lesquels CIMC et son compatriote Singamas.
Jamais avant ces deux dernières années ce marché n'avait été aussi lucratif. MCI a d’ailleurs a enregistré en 2020 son résultat le plus rentable depuis ses débuts il y a 30 ans. La pénurie de conteneurs a largement motivé l’explosion des tarifs de transport et du prix de ces vulgaires boîtes en acier, passés de 1 650-1 750 $ à 3 500 $, entre 2019 et 2020, pour lesquelles les usines européennes ne seraient pas compétitives. Paradoxalement, la concentration de leur production en Chine n’a suscité aucun débat alors que la pandémie et ses impacts ont réactivé les réflexions sur la désindustrialisation en Europe et ravivé des intentions de relocalisation.
Fabrication de conteneurs : un marché oligopolistique concentré en Chine
Marché trop stratégique pour les États-Unis
C’est bien cette concentration extrême (et l’actionnariat du repreneur) qui a motivé la décision des autorités de la concurrence du ministère américain de la Justice (U.S. Department of Justice, DOJ). « L'acquisition aurait combiné deux des quatre premiers fournisseurs de conteneurs dans le monde et concentré davantage la chaîne mondiale d'approvisionnement en froid (…) par des entités chinoises détenues ou contrôlées par l'État », indique le communiqué diffusé le 25 août par le DOJ, à l’issue de l'enquête de ses équipes antitrust effectuée en collaboration avec le Bundeskartellamt, l'office fédéral allemand des cartels. « Elle aurait cimenté la position dominante de CIMC et soustrait au marché un concurrent innovant et indépendant ». China International Marine Containers Group a indiqué dans la foulée qu'il renonçait à son projet.
« Les consommateurs américains dépendent de la chaîne d'approvisionnement mondiale du froid pour un grand nombre des besoins quotidiens », justifie Jonathan Kanter de la division antitrust du ministère de la Justice. Le procureur général adjoint estime que l’acquisition aurait été une menace pour la souveraineté stratégique du pays sur des produits dits essentiels et aurait représenté un risque en termes « de hausse des prix, baisse de la qualité et perte de résilience des chaînes d'approvisionnement mondiales » tout en favorisant « la coordination entre les opérateurs du marché. »
Les positions dominantes dans le collimateur de l’administration Biden
L’entente commerciale, les abus de monopole et les pratiques concurrentielles forment un tout pour l’administration de Joe Biden qui en a fait un des grands combats de sa mandature. De façon symbolique, à peine installé dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, il a pris un décret dans ce sens. Et du fait des perturbations actuelles sur le marché du conteneur – taux de fret élevés, retards et goulets d'étranglement, pratiques de surestaries et de détention... –, le secteur du transport maritime a été particulièrement ciblé.
Pour rappel, d’après le classement qui fait référence dans le secteur du la ligne régulière (Alphaliner), les 100 premières compagnies mondiales de transport maritime de conteneurs exploitent actuellement une capacité de 25,95 MEVP, à bord de quelque 6 500 porte-conteneurs. Sur cet ensemble, environ 12 MEVP relèvent de la seule propriété des armateurs. Elles louent par ailleurs environ 13 MEVP auprès des sociétés de leasing comme CAI, Cronos, Triton. Le chargeur – qu’il soit Beneficial Cargo Owner (BCO, exportateur direct), transitaire ou NVOCC –, peut aussi détenir des conteneurs mais la donnée n’est pas accessible.
Adeline Descamps