Les bénéfices record tirés des taux de fret et d’affrètement se retrouvent dans les chantiers navals, indiquent les courtiers. La flambée du prix de l’acier et la raréfaction des créneaux disponibles sur les chantiers accélèrent les prises de décisions. Les commandes ont bondi de 120 % depuis le début de l'année.
« Un armateur ne résiste jamais aux bonnes affaires ». Surtout, quand la période est faste. Si les taux de fret et d’affrètement dans le conteneur et le vrac sec ouvrent l’appétit pour de nouveaux navires, la situation est plus surprenante pour les pétroliers qui sont pourtant commandés en masse.
D’après la dernière actualisation de l’organisation internationale des exploitants et propriétaires de flotte BIMCO, les commandes totales de vraquiers, de navires-citernes et de porte-conteneurs au cours des cinq premiers mois de l'année ont bondi de 119,7 % par rapport à la même période en 2020. Certes, principalement en raison du niveau record des contrats de porte-conteneurs.
Jusqu'à présent, 43,6 millions de tpl (Mtpl) de commandes ont été passés dans les chantiers navals, contre les 19,8 Mtpl du début de 2020, année qui n’est pas une référence compte tenu des circonstances. Le tonnage commandé est à peine inférieur à ce qui avait été contracté sur l'ensemble de 2020 (49 Mtpl).
Les 15 000 EVP et plus de 24 000 EVP plébiscités
Mais c’est évidemment le conteneur qui défraye la chronique. Le début de l'année a été marqué par un véritable record pour les contrats de construction, avec 2,2 MEVP commandés, soit plus de douze fois supérieur aux 184 254 EVP enregistrés durant la même période il y a un an et surtout – indicateur plus pertinent –, plus de 60 % supérieur au précédent record datant du début de 2005.
Dans les commandes, deux catégories de navires sont largement plébiscitées : les 15 000-16 000 EVP (réputés pour leurs économies d’échelle) et les plus de 24 000 EVP (pourtant à la flexibilité limitée). Quelque 89 navires ont été commandés avec une capacité moyenne de 16 622 EVP et 14 entre 24 000 et 24 100 EVP, plus grands donc que l’actuel titulaire du titre mondial avec ses 23 964 EVP. Aucune demande en revanche pour des unités comprises entre 16 000 et 23 000 EVP.
Sans surprise, la Chine (145 contrats), la Corée du Sud (63) et le Japon (21) demeurent les trois grands faiseurs mondiaux de la construction navale. La grande majorité du tonnage commandé jusqu'ici sera livrée en 2023, année qui, selon les estimations du BIMCO, verra la livraison de 1,5 MEVP et sera la plus chargée en livraisons de porte-conteneurs depuis 2015.
VLCC en forte demande
Paradoxalement, alors que le marché ne le légitime pas, la demande de nouveaux pétroliers a été forte, en hausse de 47,4 % par rapport aux cinq premiers mois de 2020. À la même période de l’an dernier, les exploitants de pétroliers étaient pourtant enclins à commander, leurs caisses garnies par le stockage flottant. Le cours du brut au plancher faute de demande alors que l’économie mondiale était paralysée, les négociants se sont rués une bonne partie de l’année sur les VLCC pour stocker le pétrole à bas prix en attendant des jours meilleurs. En conséquence, les taux d’affrètement des pétroliers avaient explosé. En revanche, les transporteurs de produits pétroliers ne sont pas concernés par l’engouement pour les commandes.
« Le marché des pétroliers est divisé en deux. Nous constatons une augmentation des contrats pour les pétroliers car les propriétaires qui ont rempli leurs caisses au plus fort du marché l'année dernière parient sur un meilleur marché lorsque les navires seront livrés, alors que les pétroliers de produits pétroliers sont moins populaires » justifie Peter Sand, analyste en chef des transports maritimes de BIMCO.
Sur ce marché, les commandes de VLCC ont augmenté de 125 % pour atteindre un total de 8,2 Mtpl, passant de 12 à 27 navires. Une augmentation si forte qu’elle parvient à compenser la baisse des commandes de pétroliers de plus petite taille, tels les aframax et suezmax qui ont chuté de 44,5 % par rapport à 2020, pour atteindre 1,5 Mtpl.
Des signaux contradictoires
Les commandes affluent et pourtant, tous les indicateurs ne sont pas au vert : la plus grande incertitude pèse sur la prochaine génération de carburant, et la récente flambée des prix de l'acier a soutenu une grande partie des augmentations de valeur des nouvelles constructions. L'acier « représente 40 % de l'inflation actuelle des prix des nouvelles constructions », indique le courtier EastGate Shipping.
Selon Intermodal, la flambée des prix de l'acier a fait monter les prix moyens des VLCC, suezmax et aframax à 95 M$, 63 M$ et 50,5 M$ respectivement. Par comparaison, pour construire un VLCC, il en coûtait 88 M$ en 2018, 92 M$ en 2019 et 88 M$ en 2020. « Si l'intérêt des acheteurs pour le tonnage des transporteurs de brut se maintient au même rythme, il ne serait pas surprenant de voir l'activité contractuelle de 2021 doubler les volumes de l'année précédente (environ 15,4 Mtpl) », soutient le courtier grec.
La raréfaction des créneaux pour la construction de pétroliers (alors que les commandes de porte-conteneurs affluent) est un autre facteur d’accélération de la prise de décision. Central Group, Latsco Shipping, Maran Tankers, Athenian Sea Carriers, Capital Maritime, Navios et Samos Steamship figurent parmi les armateurs qui ont trusté les créneaux disponibles. « Il est très difficile d'obtenir un créneau pour une livraison avant 2023 », a justifié un d’entre eux à la Lloyd's List.
Prudence dans le vrac sec
Tout aussi étrangement, dans le secteur du vrac sec les contrats ne sont guère plus vigoureux que l’an dernier. Pourtant, les opérateurs de vraquiers connaissent un début d’année prospère. Prudence mesurée ou niveau élevé l’an dernier ? « Le marché de l'occasion est plus populaire », répond l’analyste Peter Sand.
Selon des courtiers, la capacité totale commandée s’établit à 8,6 Mtpl mais ce sont les panamax et capesize qui emportent tous les suffrages (commandes en hausse de 40,9 %) alors que les contrats pour des handysize et handymax ont chuté de 56,5 %. Les prix ont également flambé : le tarif moyen d’un kamsarmax construit sur un chantier japonais est passé de 20 à plus de 32,5 M$ selon EastGate Shipping.
In fine, les188 Mtpl livrés entre 2021 et 2025 seront des pétroliers, peut-on lire dans rapport en date d’avril du Lloyd's List Intelligence Shipbuilding Outlook. Ils représentent aujourd’hui un tiers de la flotte mondiale.
Adeline Descamps