L'entrée en vigueur de droits de douane coïncide avec le lancement de la nouvelle alliance entre Maersk et Hapag-Lloyd

Le retour de Donald Trump au pouvoir est escorté par sa plus mauvaise conseillère pour les affaires du conteneur : le protectionnisme. Un nouveau mouvement de basculement intense dans le monde qui intervient au moment où les compagnies maritimes mettent en place leur réseau Est/Ouest. Maersk et Hapag-Lloyd ont officiellement lancé le 1er février une offre qui détonne dans le paysage de la ligne régulière.

Dans le transport maritime, depuis les éprouvantes années Covid, il n’est plus rare de voir la géopolitique s’encombrer aux mêmes moments et aux mêmes époques de plusieurs chocs singuliers. Après l’émergence d’une épidémie planétaire improbable, la guerre entre deux anciens frères en mer Noire, une autre entre deux éternels ennemis en mer rouge, le retour de Donald Trump au pouvoir est escorté par sa plus mauvaise conseillère pour les affaires du conteneur : le protectionnisme. Un nouveau mouvement de basculement intense dans le monde dans la mesure où l'entre-soi américain renforcé invite aux représailles (le Canada a déjà annoncé des répliques).

La trêve signée entre le Hamas palestinien et Israël le 19 janvier reste par ailleurs ténue. La moindre entaille à l’accord peut muter en acte de guerre. La première phase vient de s’achever, les deuxième et troisième round doivent encore se négocier alors qu’il est prévu que les tractations ne commenceront que 16 jours après le début de la première phase.

L’ensemble de ces « déterminants » de l’offre et de la demande de transport intervient alors que les compagnies maritimes s'apprêtent tout juste à mettre en place leur nouveau réseau.

Les mouvements au sein de trois des quatre alliances – rupture entre MSC et Maersk, numéro un et deux mondiaux dans le conteneur ; rapprochement de Maersk et Hapag-Lloyd (cinquième armateur mondial) au sein d’une nouvelle alliance appelée Gemini ; partage de capacités entre MSC et Premier Alliance (nouveau nom de THE Alliance après le départ de Hapag-Lloyd) sur le trade Asie-Europe ; coopération entre ONE et Ocean Alliance, réseau dont fait partie CMA CGM, sur certaines destinations…–, qui vont opérer à compter du 1er février 2025 pour certaines vont redistribuer les cartes sur les lignes maritimes. Dans ce tohu-bohu, Ocean Alliance [CMA CGM, Cosco/OOCL, Evergreen], le plus grand réseau, en termes de capacité déployée avec 390 porte-conteneurs et 5 MEVP pour 41 boucles Est-Ouest, se permet de renouveler, avant l’échéance de 2027, leur coopération opérationnelle jusqu’en 2032. Le seul élément stable dans partie de billard à plusieurs bandes.

Une nouvelle alliance qui rompt avec l'ordinaire

Mais dans ce contexte, c’est surtout la nouvelle coopération entre Maersk et Hapag-Lloyd qui questionne. Les deuxième et cinquième armateurs de porte-conteneurs jouent la carte du réseau en étoile, avec moins de ports en connexion directe et un système de navettes régionales, pour garantir une fiabilité horaire de 90 %. Selon le dernier baromètre Global Liner Performance de Sea-Intelligence, la fiabilité des horaires au niveau mondial se situe dans une fourchette comprise entre 50 % et 55 % pour l'ensemble de l'année 2024.

Comme annoncé en octobre, le réseau Gémini prévoit ainsi quelque 300 touchés dans des ports pivots, quasi exclusivement sous leur contrôle de façon à en maîtriser la planification et à garantir leur productivité. Les navires-mères n’escaleront donc plus dans certains ports, lesquels seront desservis par des « shuttle », au nombre de 57, De plus grande capacité qu’un feeder classique (5000 à 6 000 EVP), ils seront en mesure de parcourir de plus longues distances régionales.

Selon les circonstances (canal de Suez ou cap de Bonne Espérance), le nouveau réseau Est/Ouest s'articulera autour de 27 ou 29 services de ligne principale, complétés par une trentaine de services de navettes. Via Suez, l’alliance prévoit de déployer 57 services (27 navires de ligne, 30 navettes) au moyen d’une flotte de 300 navires totalisant une capacité de 3,4 MEVP. Par le cap de Bonne espérance, il faudra 59 services (29 navires de ligne, 30 navettes) et 340 unités pour aligner 3,7 MEVP.

Le modèle « hub and spoke » tranche avec l’organisation actuelle de la ligne régulière en paire de ports avec déballage de navires et de service directs pour acquérir des parts de marché à coups d'EVP. MSC, devenu suffisamment puissant pour s’affranchir de toute dépendance, pousse cette logique jusqu’à l’extrême.

Une nouvelle organisation qui impacte les ports

Le marché du conteneur se trouve, très schématiquement, face à deux types d'offres : quantité de navires (stratégie MSC en solo) ou qualité de services (Maersk et d’Hapag-Lloyd). Cette dernière n’est pas neutre pour les ports au débouché des lignes réorganisées, que ce soit en Europe (et en France) ou en Asie.

En Europe du Nord, London Gateway, Rotterdam, Hambourg, Bremerhaven et Wilhelmshaven et en Méditerranée, Barcelone, Tanger Med, Algésiras, héritent du statut de grand hub portuaire. Les autres seront couverts par transbordement et dépendants de la fréquence des navettes.

« Nous conservons quatre lignes directes avec l’Asie et une ligne de transbordement avec l’alliance Gemini mais avec un très bon transit time, tandis que MSC, deuxième armateur à Fos, a introduit deux nouvelles lignes  », se défendait à l’occasion de la conférence de presse annuelle Hervé Martel, directeur du port de Marseille, s’empressant de mettre en avant l’offre des autres. « Le réseau de lignes maritimes s’est enrichi avec le renforcement de la desserte de la Méditerranée orientale via Fos et une augmentation des capacités vers l’Asie avec une nouvelle ligne estivale de CMA CGM, le French Peak Service. Par ailleurs, l’un des services asiatiques majeurs [MD1 d’Ocean Alliance, NDLR] a été renforcé, déployant désormais 14 navires de 20 000 EVP ».

Gemini fait aussi du Havre une destination secondaire, couverte par transbordement depuis Rotterdam et Tanger. « L’essentiel est que ce nouveau service indirect ne bouleverse pas le transit time, ce qui nous a été garanti », indique de son côté Kris Danaradjou, le directeur général adjoint en charge du développement. « Il est trop tôt pour conclure à une forme de décroissance. Nous ne serons certes plus desservis par de grands navires mais par beaucoup plus de petites unités. Il n'est pas exclu que cela se traduise par une augmentation des volumes in fine », pointe aussi Florian Weyer, directeur général délégué au port du Havre pour Haropa Port.

« C'est probablement la première fois que les clients ont des options très différentes lorsqu'ils choisissent une compagnie maritime et une alliance », fait observer Peter Sand, spécialiste maritime chez Xeneta.

Fiabilité horaire à 90 %

« D'ici à juin 2025, tous les navires devraient être exploités dans un réseau maritime rapide, flexible et interconnecté qui garantisse une fiabilité horaire de 90 %, la meilleure du secteur », ont fait valoir les directions d’Hapag-Lloyd et Maersk dans des communiqués distincts, envoyés à la veille du lancement officiel de la coopération, le 1er février. Le mois de juin correspondra à l’échéance des accords que Maersk et Hapag-Lloyd ont conclus avec d'autres transporteurs. Ils seront alors libérés de leurs obligations contractuelles.

« Avec notre objectif de fiabilité des horaires, nous répondrons encore mieux à l'un des besoins les plus importants de nos clients et établirons une nouvelle norme de qualité dans le secteur », explique Rolf Habben Jansen, PDG de Hapag-Lloyd, qui promet aussi une flotte aux critères environnementaux plus stricts. « Grâce à notre système d'exploitation en étoile, nous pouvons déployer des navires plus grands et ainsi optimiser simultanément la vitesse, réduire les temps d'inactivité et, par conséquent, diminuer les émissions de carbone », ajoute le dirigeant.

Retour en mer Rouge ?

Un des porte-parole du mouvement rebelle houthi a fait savoir le 20 janvier, au lendemain du cessez-le-feu signé entre Israël et le Hamas palestinien, que tant que la trêve serait en vigueur, les navires, qui étaient jusqu’à présent leurs cibles, ne le seraient plus, exceptés toutefois la flotte avec des intérêts israéliens. Plus de 134 navires avaient déjà attaqués en octobre 2024, date du dernier rapport du groupe d'experts du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Yémen publié. Une annonce qui laisse circonspect les observateurs internationaux, les Houthis ayant plusieurs fait preuve d’imprévisibilité, notamment à l’égard des pavillons russes et chinois, bénéficiant prétendument d'une immunité.

Compte tenu de l’agenda étiré de la désescalade entre les belligérants et d’un accord précaire, les transporteurs de conteneurs, les plus concernés en nombre dans le déroutement de leur flotte, se montrent prudents. Aucun d’entre eux ne spécule sur un quelconque calendrier de retour, en l’absence de l'assurance d'un passage sûr à long terme (et donc d’une paix durable).

« La pause dans les attaques des Houthis sur la mer Rouge offre un répit bienvenu, mais il n'est pas certain que le cessez-le-feu tienne à long terme. Les responsables de la chaîne d'approvisionnement doivent donc décider si les avantages l'emportent sur les risques avant de conseiller aux responsables de la logistique de rechercher des entreprises de fret maritime prêtes à reprendre les routes maritimes précédentes, dans le but de réduire les coûts et les délais », a fait savoir Maria Vinceviciute pour l’agence de notation Moody.

Hapag-Lloyd et Maersk ont indiqué qu'ils ne reprendront les transits en mer Rouge que lorsqu'ils pourront le faire en toute sécurité tout en saluant un premier pas vers une stabilité dans la région. La plupart sont sur cette ligne. « Les derniers programmes communiqués suggèrent que les armateurs de porte-conteneurs prévoient d'utiliser encore pendant une grande partie du reste de l'année 2025 les routes de Bonne Espérance, comme elles l'ont fait depuis fin décembre 2023 », indique un S&P Global Intelligence dans son rapport du 21 janvier.

Selon Lynerlytica, le premier porte-conteneurs français ayant transité après l'entrée en vigueur le 19 janvier de la trêve, est le CMA CGM Columba (11 388 EVP), parti du Havre. Le transporteur français, qui maintenu un service régulier via la route du canal de Suez, sur son service BEX2 reliant Shanghai et Beyrouth, n’a jamais nié que ses navires traversaient encore la mer Rouge quand ils sont escortés par des frégates de la marine nationale ou de la mission européenne Aspides. Le seul a priori parmi les grands opérateurs de la ligne régulière. Tout en déclarant maintenir le passage par l'Afrique, la compagnie évoque des ajustements possibles « au cas par cas en fonction de la sécurité et des conditions opérationnelles mondiales ».

Orientation des taux de fret

Indéniablement, l’évolution de la situation va décider de l’orientation des taux de fret.
Le retour en mer rouge de la flotte mondiale qui emprunte depuis un an des chemins de biais pour éviter le danger va inexorablement se traduire par une baisse la demande de tonnes-milles et la résurgence de la problématique de surcapacité. Le voyage transatlantique d’un navire autour de l’Afrique est de 11 800 milles marins (21 830 km) quand il est de 8 500 milles marins (15 725 km) via Suez. Soit jusqu’à dix jours de navigation en plus. L’allongement induit, exigeant bien plus de navires pour pouvoir maintenir la fréquence du service, est tombé à pic pour absorber la surcapacité actuelle du marché par rapport à la demande de transport (environ 7 % de la capacité mondiale des porte-conteneurs absorbée).

La banque d'investissement américaine Jefferies (dans une note datée du 20 janvier) estime que 85,5 % de la flotte mondiale de porte-conteneurs devrait être pleinement occupée en 2025, en supposant que les détournements par l'Afrique se poursuivent, mais à 79,5 % si les transits par la mer Rouge revenaient à la normale d'ici le milieu de l'année.

Pour l’heure, les prix du transport réagissent surtout à la menace de guerre commerciale en réaction aux annonces de Trump sur les barrières tarifaires. La situation sur le front des taux de fret est par ailleurs biaisée alors que l'activité manufacturière chinoise s'est ralentie pour les vacances du Nouvel an lunaire, qui a débuté le 29 janvier.

Selon le Freightos Baltic Dry Index (calculés à partir des tarifs au comptant annoncés par les transporteurs maritimes aux transitaires notamment), les taux transpacifiques vers la côte ouest-américaine ont chuté de 17 % depuis la mi-janvier tandis que les prix Asie-Europe sont 25 % plus bas qu'il y a quelques semaines, de l’ordre de 5 000 $ et 4 000 $ par conteneur de 40 pieds (FEU) respectivement. L’anticipation de l’entrée en vigueur de la nouvelle politique commerciale des États-Unis a pour l’instant maintenu les taux maritimes à un niveau supérieur à la normale. La date est désormais connue mais les produits concernés n’embarquent pas sur les porte-conteneurs pour partie.

Le dernier indice mondial des conteneurs établi par Drewry (WCI, indice statistique qui ne reflète pas nécessairement la réalité des taux pratiqués à l’heure actuelle sur le marché) a chuté de 11 % à 3 445 $/FEU, soit 67 % de moins que le précédent pic pandémique de 10 377 $ en septembre 2021. De Shanghai à Rotterdam, la chute est manifeste (- 797 $ à 3 434 $) et de 524 $ à 4 562 $ vers Gênes. De Shanghai vers Los Angeles et New York, les prix sont en baisse respectivement de 8 % (- 415 $, à 4 813 $) et de 7 % (- 448 $, à 6 377 $). En avance sur le WCI, le recul du Shanghai Containerized Freight Index (SCFI) est plus modéré (- 6 %) sur l'axe Asie-Europe du Nord.

En marge de la réunion du Forum économique mondial à Davos (WEF), le directeur général adjoint de DP World, Yuvraj Narayan, a indiqué que les taux de fret pourraient chuter « d’au moins 20 % et jusqu’à 25 % » sur une période donnée de deux à trois mois.

Les compagnies maritimes de conteneurs n’excluent pas un contrat à deux entrées avc une tarification couvrant soit la route de Suez, soit l'itinéraire par le Cap, afin de permettre aux deux parties de confirmer leurs engagements pour la haute saison 2025.

Une nouvelle année rentable

Quoi qu'il en soit, en 2024, le marché du conteneur pourrait enregistrer sa troisième meilleure année. Hapag-Lloyd, premier à avoir fait part de ses résultats préliminaires pour l’ensemble de l’année, le confirme. Le résultat d'exploitation (Ebitda) devrait s’élever à 5 Md$, porté par des volumes en hausse (+ 5 % p/r à 2023) et un revenu moyen par EVP de 1 492 $ par EVP (similaire à 2023). L'Ebit (excédent brut d’exploitation) s'est également légèrement amélioré par rapport à l'année précédente, pour atteindre 2,8 Md$. Le chiffre d'affaires devrait s’établir à 20,7 Md$. Des données qui seront confirmées le 20 mars.

Adeline Descamps

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