Deux mois après l’opération de sauvetage, à l’occasion de la visite de Alejandro Gantes l'ambassadeur du Panama au Caire et du directeur général de l'autorité maritime du Panama Rafael Cigarruista, l'amiral Osama Rabie est revenu sur moult détails de l’événement planétaire qui a monopolisé l’intérêt des médias du monde entier pendant quelques jours et rendu célèbre un porte-conteneurs de 20 388 EVP dont plus personne n’ignore le délit.
Et pour la première fois, le président de l'Autorité du canal de Suez (SCA) a évoqué le décès de l'un des employés du canal survenu lors des travaux dans le naufrage d’une unité de services sans s’étendre sur les circonstances de ce décès ou encore sur les raisons de cette dissimulation jusqu’à présent.
Devant ses invités panaméens, le président de l'Autorité du canal de Suez s’est davantage épanché sur la gestion par la SCA de la crise provoquée par le blocage du navire battant pavillon panaméen. Opération qui a « nécessité l’intervention de plus 600 employés, 15 remorqueurs, des unités de services et de deux dragues dont l’usage dans ce type d’action n'est pas courant. »
Tout en se félicitant du renflouement « en un temps record de seulement six jours et sans aucun dommage à la coque du navire ou à la cargaison à bord », il déplore le manque de reconnaissance du propriétaire du navire Shoei Kisen qui « n'a pas pris conscience des pertes énormes subies par l'autorité à cause de l'incident, comme en témoignent les dommages subis par un certain nombre d'unités maritimes, le naufrage de l’une d’entre elles, entraînant la mort de l'un des employés ».
Article 305 de la loi maritime égyptienne n° 8 de 1990
Il rappelle en outre les effets collatéraux sur la réputation du canal de Suez du fait de la suspension du trafic de navigation, une perte que la SCA a estimée à 300 M$ dans sa requête auprès de l’armateur. C’est sans doute la première fois qu’il cherche à étayer publiquement cette « prime de sauvetage » faisant référence à l'article 305 de la loi maritime égyptienne n° 8 de 1990 qui « donne à quiconque effectue un travail de sauvetage le droit de recevoir une prime équitable dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du navire et de la valeur des marchandises à bord. La prime de sauvetage est l'un des éléments de la valeur d'indemnisation qui comprend également les coûts des travaux de sauvetage impliquant notamment les remorqueurs, les dragues, les vedettes, les grues, les excavateurs, les treuils et autres. » Les coûts de sauvetage sont en principe à la charge du propriétaire.
Il revient aussi sur la contre-campagne de communication mettant en doute la gestion de l’affaire par la SCA dont il estime avoir fait l’objet et la perte de trafics liée au déroutement de navires, autre fait pour lequel il avait demandé un dédommagement de 300 M$. Il évoque également les coûts de dépollution pour traiter les 9 000 t d'eau de ballast déversées afin d’alléger le navire et faciliter sa flottaison. Enfin, il a fallu ensuite accélérer le transit des « 422 navires bloqués en quatre jours avec une moyenne de plus de 100 transits par jour », une mission que la SCA estime avoir accomplie avec succès pour « éviter de nouvelles perturbations dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. »
Option des négociations toujours sur la table
Pour autant, il se dit déterminé à maintenir de bonnes relations avec l'armateur [Evergreen] du navire bloqué, « l'un des principaux clients du canal de Suez », rappelant que « l'option des négociations est toujours sur la table ».
Il ne nie pas pour autant les procédures de litige en cours sur lesquelles il ne s’étend pas mais reste ferme sur l’objet. Les deux parties ne partagent manifestement pas le même point de vue : l’une espère obtenir réparation sur le préjudice subi et demande à la justice de trancher sur la valeur de la compensation. L’autre semble contester le principe même du droit de l'autorité à demander une compensation. Il ne se prive pas non plus de pointer du doigt les « nombreuses violations » de la part du propriétaire du navire qui n’aurait pas signalé la présence de marchandises dangereuses dans la cargaison. Une information capitale au regard de l’opération de sauvetage à effectuer, insiste-t-il.
Pour rappel, la SCA avait d’abord exigé une compensation de 916 M$, une somme basée sur une valeur estimative et qui ne reposait pas sur des éléments tangibles, à savoir la valeur des cargaisons et de la coque du navire. Cette somme est revue à 550 M$, explique aujourd’hui la SCA sur la base des éléments obtenus par le propriétaire et de l’armateur quant à la valeur financière estimée des marchandises, un document dont ne disposait pas le gestionnaire de l’infrastructure au moment de sa première estimation, rappelle l’amiral.
L’Autorité du canal a indiqué il y a quelques jours que le navire pourrait être libéré à condition que 200 M$ soient payés immédiatement en garantie tandis que le solde devra être réglé sous forme de lettres de garantie émises par une banque de classe A en Egypte. Une offre qui n'a pas à ce jour été acceptée ou commentée par le propriétaire du navire.
Livre des règles, référence juridique
Le dirigeant se réfère au « livre des règles du canal de Suez » qui comprend les règlements de transit dans le canal et tous les textes spécifiques aux différentes responsabilités et exigences pour le transit, y compris les services maritimes, logistiques et de sauvetage. Ce document stipulerait que le navire ou les unités de service en transit dans le canal porte la responsabilité de tout dommage ou perte consécutif résultant directement ou indirectement du navire, de l'unité de services ou des membres du personnel de la SCA.
Selon l’Autorité, les rapports d’accident auraient mis en exergue une erreur dans la direction du navire, relevant de la responsabilité du capitaine du navire et non des pilotes de l'autorité, « puisque leur avis est consultatif et non contraignant, et que les propriétaires et les exploitants sont responsables de tout dommage qui pourrait être causé à la SCA, à ses biens, à d'autres personnes ou au navire lui-même, conformément aux dispositions de la loi maritime égyptienne n° 8 de 1990 dans ses articles 282 à 290 ». Dans une récente interview accordée à Reuters, le dirigeant a évoqué une « vitesse élevée » et un gouvernail, dont « la taille n'était pas adaptée à la taille du navire »
Enfin, il invalide les allégations selon lesquelles sa société serait responsable parce qu'elle aurait permis au navire de transiter par le canal dans des circonstances défavorables. Un argument en effet présenté par les avocats du propriétaire du navire. C’est une affirmation sans fondement, assure-t-il, car « le trafic maritime dans le canal de Suez s’effectue même en cas de mauvais temps, ce qui était effectivement le cas le jour de l'incident, mais cela n’a pas empêché les douze navires du convoi vers le nord d’avoir précédé l’Ever Given ».
Dans le cadre des nombreux litiges qui opposent les deux parties, une nouvelle audience au tribunal est prévue ce 29 mai.
Adeline Descamps