Dumping social : une réglementation européenne qui devra encore attendre

En matière de dumping social dans le transport maritime en Manche, la France a choisi de légiférer avec la loi Le Gac. Mais elle n'a de sens que si elle trouve un prolongement européen pour harmoniser les conditions sociales des marins et lutter contre la concurrence déloyale. À la question très précise d'une eurodéputée française sur la position européenne sur le sujet, la Commission apporte une réponse pour le moins évasive.

Lorsqu’Hervé Berville, alors secrétaire d'État à la Mer et à la Biodiversité, a signé le 19 mars 2023 le décret d'application de la loi dite Le Gac de lutte contre le dumping social sur le transport de passagers en transmanche, les parties prenantes avaient conscience que le travail n’était pas fini. Le paraphe marquait assurément la fin d'un long cheminement avec des réglages à toutes les étapes dans l'élaboration de la loi pour en assurer la « robustesse juridique », et qu'elle « ne soit pas contestable au niveau européen » (cf. entretien avec Christophe Lenormand, chef du service des flottes et des marins à la Direction générale des Affaires maritimes). D’autant qu’il s’agissait d’une loi de police. Or, le droit européen permet aux États membres d'y avoir recours à condition que les restrictions aux libertés économiques soient proportionnées à l’objectif poursuivi. Sans cela, il y a d'autres prises d'eau possibles : le droit qui s'applique sur les navires est en principe celui de son pavillon. Mais en l'occurrence, ce sera l'État du port qui va imposer des obligations légales aux navires en escale.

Quoi qu'il en soit, la loi française n’a de sens que si elle trouve un prolongement européen pour harmoniser les conditions sociales des gens de mer. Mais les partenaires européens sont frileux sur ce sujet qui questionne la concurrence sauvage des pavillons moins regardants sur les critères sociaux. Les élections au Parlement européen, intervenus entre-temps, n’ont pas non plus aidé.

Approche à clarifier ?

À la question parlementaire posée en novembre par l’eurodéputée française Nora Mebarek (groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates, S&D), réélue au Parlement européen le 9 juin 2024, la commission européenne vient de donner une réponse pour le moins élusive.

Alors que Bruxelles examine actuellement la conformité de cette loi nationale avec le droit européen, la députée des Bouches-du-Rhône, notamment membre de la commission parlementaire chargée du transport, du tourisme et de la pêche, avait clairement demandé, dans le cadre de questions parlementaires, à ce que la Commission « clarifie son approche sur le fond concernant ce sujet majeur » et si elle entendait « généraliser une telle mesure à l’échelle de l’Union européenne, afin de lutter efficacement contre le dumping social, de protéger les droits des travailleurs et d’éviter tout risque de fragmentation du marché intérieur ».

Prêt à étudier des solutions sur la protection sociale des gens de mer

Le commissaire aux Transports Apóstolos Tzitzikóstas a répondu le 24 janvier qu’il était « en constante communication » avec les autorités nationales à propos « des implications légales et pratiques de cette législation pour la France et d’autres États membres ». Il rappelle qu’une grande partie de la convention du travail maritime (maritime Labour Convention, 2006) a été intégrée dans la législation de l’UE (directive 2009/13/CE du 16 février 2009) et que « les gens de mer sont déjà couverts par plusieurs actes de la législation du travail de l’UE » (il s’agit surtout d’une protection en cas d’insolvabilité de leur employeur).

Il se dit disposé « à étudier des solutions » qui tiendront compte de « l’intégrité du marché intérieur et de la compétitivité du secteur du transport maritime ». Les administrations maritimes des États membres de l’UE ainsi que les acteurs concernés devraient être consultés « pour discuter de la voie à suivre », a-t-il balayé. Ce n’est pas une fin de non-recevoir mais ce n’est pas non plus un call-to-action.

Course au moins-disant

La course au moins-disant est une réalité du transport maritime de passagers en transmanche depuis plusieurs années et elle gagne les côtes méditerranéennes.
En sortant de l’Union européenne, le Royaume-Uni a accéléré la dérégulation, le transmanche ne constituant plus une liaison intra-européenne. La concurrence s’est considérablement durcie ces dernières années. L’arrivée d’un nouvel opérateur sur le détroit (Irish Ferries) a conduit certaines compagnies à revoir les conditions de travail des personnels navigants pour optimiser leurs coûts et baisser les tarifs. Le recours à des marins étrangers permet par exemple d’opérer à des coûts moindres de 35 % aux navires battant pavillon français.

Amorale, la pratique de dumping social reste conforme au droit international et au droit européen. La convention internationale de Montego Bay (qui délimite la liberté de navigation et la souveraineté des États côtiers en créant la Zone économique exclusive, ZEE) permet à un armateur de choisir librement le registre d’enregistrement de ses navires et ainsi d’appliquer un contrat de travail selon les règles de n’importe quel pays.

Approche centrée sur la sécurité de navigation

Pour lutter contre le dumping social qui attaque sauvagement Brittany Ferries et DFDS en France, l’État français a donc choisi la voie législative en concentrant habilement son dispositif sur les questions de sécurité des passagers et de conditions de travail des marins et non pas sur les conditions d’exploitation. Avec cette dernière approche, il risquait d’être accusé par Bruxelles de fermer le marché par des biais réglementaires.

Ces enjeux sur les liaisons transmanche ne sont pas des vues de l’esprit : sur ce type de lignes courtes et cadencées (jusqu'à cinq ou six rotations dans la journée), les navires peuvent opérer des manœuvres d’accostage jusqu’à dix fois par jour, imposant parfois des journées de travail cumulant 16 heures (cas du Britannique P&O).

À cet égard, la loi française n° 2023-659 du 26 juillet 2023 garantit l’application du salaire minimum français aux équipages de toutes les compagnies maritimes, quel que soit le pavillon, qui assurent des liaisons régulières internationales de passagers touchant un port français, ainsi qu’une durée de repos à terre au moins équivalente à la durée de l’embarquement des marins. Avec à la clé des sanctions administratives et pénales dissuasives et des moyens de contrôle.

Adeline Descamps

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