Pris dans la tourmente provoquée par la faillite de la Silicon Valley Bank et de Signature Bank la semaine dernière, le Credit Suisse figure parmi les plus grands prêteurs aux armateurs pour le financement des navires selon le baromètre de référence de la société grecque Petrofin, qui suit annuellement l’évolution du financement du shipping.
Dans le dernier panaroma publié en septembre 2022, mais portant sur les données de 2021, la banque suisse avait octroyé 10 Md$ pour le financement du shipping, se situant au dixième rang sur une liste qui en compte 62. En Grèce, le Credit suisse est le plus grand financeur des armateurs pour la septième année consécutive.
Á l’issue d’un week-end de frénétiques négociations, la banque presque deux fois centenaire (167 ans) a échappé au pire scénario au prix d’une reprise par sa rivale historique et compatriote UBS pour 3,02 Md€, soit le tiers de sa valeur. UBS a en outre obtenu d'importantes garanties du gouvernement suisse, qui espère ainsi avoir enrayé le risque d’une instabilité financière mondiale.
Les négociations font suite aux efforts déployés par le Trésor américain, la Banque centrale européenne (BCE) ou encore la Banque d'Angleterre pour soutenir le secteur et garantir les dépôts des consommateurs. Ces derniers jours, les banques américaines ont sollicité d’urgence un montant record de 153 Md$ de liquidités d'urgence à la Réserve fédérale tandis que la banque centrale suisse a prêté 54 Md$ au Crédit suisse pour stabiliser son bilan. La banque compte parmi les plus grands gestionnaires de patrimoine au monde et les 30 établissements bancaires dits « d'importance systémique », c’est-à-dire que la faillite de l'un d'entre eux se répercuterait sur l'ensemble du système financier.
Des prêts accordés difficilement
Il est encore trop tôt pour apprécier les conséquences de l’opération sur le financement du transport maritime. Les bénéfices mirobolants engrangés en 2021 par les compagnies maritimes, plus familières des pertes, a fortiori en périodes difficiles durant lesquelles les compagnies maritimes ne peuvent pas compter sur l’effet favorable de la taxe au tonnage, n’ont d’ailleurs eu que peu d’effet. Le secteur semble toujours faire figure de repoussoir. Il faudra attendre le mois de septembre pour avoir une réactualisation du baromètre de Petrofin pour évaluer si, à l’issue de deux années profitables, les investisseurs ont manifesté plus d’appétits.
Les armements en Europe demeurent des sociétés à capital familial pour lesquelles les conditions d’octroi des prêts peuvent être plus exigeantes. D’autant que le niveau de l’apport en fonds propres n’a de cesse d’être relevé sous l’effet de l’entrée en application des accords de Bâle et des règles de solvabilité. Le navire est par essence un actif coûteux et au rendement aléatoire, soumis aux embardées des taux de fret… Pour toutes ces raisons et bien d’autres, les Européens ont fini par déserter.
Des prêts accordés pour un montant de 290 Md$ en 2021
Les prêts accordés au shipping par les 40 premières banques se sont élevés à 290,12 Md$ en 2021 tandis que l’ensemble des fonds accordés – toutes formes confondues, prêts bancaires, leasing et autres –, a approché les 500 Md$. C’est la première hausse observée pour la première fois en onze ans. Depuis 2010, date à laquelle les montants alloués s’établissaient à 449,76 Md$, les financements au transport maritime se sont effilochés chaque année un peu plus à une ou deux exceptions près. L’année 2011 représente le meilleur cru, avec 454,89 Md$ injectés.
En 2021, les circuits européens de financement n’étaient pourtant pas revenus dans le jeu, amputant encore leur enveloppe de 10 Md$ pour s’établir à 157,22 Md$. Depuis 2010 (374 Md$), les crédits sont plus de deux fois moins conséquents. Alors que leur part dans le total mondial a encore perdu 4 points l’an dernier (de 58 à 54 % en un an), elles ont laissé le champ libre aux institutions asiatiques qui assurent en moyenne un tiers du financement du secteur depuis près d’une décennie.
Ces dernières ont encore accru leur influence au point de représenter désormais près de 40 % du total mondial alloué. Leurs représentantes occupent d’ailleurs les premières marches du podium à l’instar de China EXIM et Bank of China (aux 2e et 4e rang mondial) avec 18,5 Md$ (17,5 Md$ l’année précédente) pour la première et 17,15 Md$ (vs 15 Md$) pour la seconde. Le leasing chinois s’est aussi imposé dans le domaine du transport maritime, représentant un quart de l’enveloppe mondiale.
Le retraits des banques allemandes est le plus stupéfiant avec des montants alloués passés de 154 à 22 M$ entre 2010 et 2021. Les britanniques (- 37 Md$) et scandinaves (- 50 Md$) ont également drastiquement restreint leurs apports ou se sont désengagés totalement durant la dernière décennie. Ainsi de la DVB, Commerzbank, Deutsche Bank, DVB et Nord LB en Allemagne ou de la Royal Bank of Scotland et de la Lloyd’s Bank au Royaume-Uni.
Les banques françaises en haut du classement mondial
Les établissements bancaires français ont en revanche maintenu leur présence. Elles avaient touché le fond en 2015 avec 23 M$ de prêts accordés avant de se redresser progressivement jusqu’à remonter à 38 et 36 M$ en 2020 et 2021 (Belgique incluse).
BNP Paribas (19,8 Md$ en 2021 vs 21,5 Md$ en 2020) et le Crédit agricole CIB (13,5 Md$, niveau stable) figurent même parmi les six premiers bailleurs mondiaux. La première occupe le premier rang parmi les 40 banques référencées tandis que la seconde maintient sa cinquième place, la société Générale à la 17e place avec 7,5 Md$ (+ 500 M$) et le CIC à la 37e place, en perte de deux rangs bien que ses prêts aient augmenté également de 500 M$ pour s’établir à 2,5 Md$.
Cette aversion au risque maritime est d’autant plus problématique que les armateurs doivent financer leur transition énergétique qui ne fera pas l’économie d’un renouvellement de flotte et d’une révolution dans la propulsion. Une quête aux nouvelles énergies qui nécessitera des investissements conséquences qui s’estiment en milliers de milliars de dollars selon les chiffres mirololants qui circulent (mais non étayées). Aucun carburant ne sera aussi peu cher, disponible, abondant que le « bon vieux » fuel lourd.
Adeline Descamps
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