CMA CGM visée par le fisc français

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Le siège du groupe maritime français CMA CGM a été perquisitionné l'année dernière par les autorités fiscales françaises dans le cadre d’une enquête sur une potentielle tentative d’évasion fiscale, rapporte Bloomberg News. L’information n’a été divulguée que parce que le tribunal d’Aix-en-Provence vient de statuer sur la requête formulée par la compagnie qui en contestait la légalité. Décryptage sur l’impôt.

Selon Bloomberg, les autorités fiscales s’intéressent de près à la holding libanaise de CMA CGM, Merit Corporation SAL, suspectée d’avoir été créée pour échapper à l’impôt français. À la faveur d’un jugement prononcé par la juridication administrative d’Aix-en-Provence, qui statuait sur la requête déposée par le compagnie française, estimant illégale la saisie de ses documents financiers, la perquistion fiscale vient seulement d’être connue alors qu’elle s’est déroulée en juin 2021. 

Le tribunal a débouté le 2 juin le groupe français de sa demande en illégalité, précisant que si la holding avait des liens avec le Liban, les décisions stratégiques concernant le troisième armateur mondial, dont le siège est à Marseille, « étaient prises en France par Jacques Saadé jusqu'à sa disparition en 2018, et depuis lors par ses enfants ». Aucun détail n'a été fourni sur les obligations fiscales qui auraient échappé au fisc français.

La taxation au tonnage, un incontestable atout en période faste

Dans le viseur

Les compagnies maritimes ont attiré l’attention des autorités de régulation ces derniers mois pour les bénéfices engrangés durant la crise sanitaire. Jusqu’à présent, elles étaient plutôt dans le viseur des administrations (étrangères) pour les tarifs élevés du transport pratiqués (sous-entendu qu’ils étaient indécents en pleine période de crise) et pour leur pratique en matière de frais de surestaries et de détention jugés abusifs quand la restitution des conteneurs vides est rendue inopérante par les confinement. Hapag-Lloyd et Wan Hai viennent ainsi d’être redressées par la FMC, l’autorité de régulation du transport maritime aux États-Unis.

Les informations de Blomberg détonnent et étonnent sachant que les transporteurs ont la possibilité de bénéficier de la taxe au tonnage, un régime spécifique au titre de leurs activités maritimes, qui leur permettent d’être taxées sur le tonnage net (montant fixe calculé en fonction du tonnage net mondial exploité ou EVP déployé) plutôt que sur leurs résultats d'exploitation réels. Selon les années, l’option s’avère plus ou moins judicieuse ou coûteuse. Les années en fond de cale, elles peuvent avoir à payer des impôts quand bien même elles ont enregistré des pertes. Mais les années fastes, les impôts sont au plancher même si les bénéfices atteignent des sommets.

Celles qui ont opéré sous ce régime fiscal l’an dernier ont été inspirées. Dans une étude publiée en mars dernier, le consultant danois Sea-Intelligence a comparé les régimes fiscaux et ce qui a réellement été acquitté en 2021 au titre de l’impôt par cinq transporteurs : CMA CGM, Maersk, Hapag-Lloyd, ZIM et Matson.

Ainsi les trois armateurs européens, qui ont bénéficié de la taxe au tonnage, avaient des taux d'imposition compris entre 0,7 et 3,7 % en 2021 alors qu’ils auraient été 25 à 30 fois plus élevés s’ils avaient été assujettis au régime ordinaire de l'impôt sur les sociétés (IS). C’est le cas de l’israélienne ZIM et de l’américaine Matson, imposées à hauteur de 18 % et 21 %.

La taxation au tonnage menacée par les propositions de réforme fiscale mondiale ?

De grandes économies de taxes

Selon nos calculs, Maersk, dont les volumes transportés se sont établis à 13,1 MEVP en 2021, a réalisé un résultat avant impôts de 18,7 Md$ et enregistré un résultat net de 18,03 Md$. Le danois, qui a réalisé le bénéfice le plus élevé de son histoire, a donc été redevable de 697 M$ au titre de l’exercice 2021. Il avait été imposable à hauteur de 407 M$ pour un résultat net de 2,9 Md$ pour l’année fiscale 2020. L’impôt dû par Hapag-Lloyd, qui a transporté 11,9 MEVP, s’est élevé à 61,3 M€ pour l’année 2021 (15,5 M€ en 2020) alors même qu’il a réalisé 9,08 Md€ de profits (935,4 M€ en 2020).

Quant à CMA CGM, la majeure partie de ses activités a été soumise aux régimes de taxation au tonnage ou équivalents, en vigueur en France, à Singapour ainsi qu’aux États-Unis. À Singapour, aucune provision n’est comptabilisée au titre de la taxation des revenus de l’activité maritime, ces derniers étant exemptés de toute taxation sous couvert du « Singapore Income Tax Act » et du « Singapore’s Maritime Sector Incentive Approved International Shipping Enterprise Scheme ». En France, les revenus provenant de l’exploitation de navires éligibles sont également soumis à un système fondé sur le tonnage des navires éligibles. Les autres filiales et/ou branches du groupe ont été soumises aux règles d’imposition de leurs juridictions respectives. In fine, l’armateur français s’est acquitté de 61,3 M$ au titre de l’impôt sur les sociétés 2021 (15,5 M$ en 2020 pour un résultat net 1 67 Md$) alors que ses bénéfices s’étaient élevés à 18 Md$ l’an dernier.

ZIM a en revanche vu ses charges fiscales frôler le milliard d’euros (953 M$) pour un résultat net de 4,65 Md$. Matson, l'un des principaux transporteurs américains, a payé au fisc 229 M$ et publié un bénéfice net de 927,4 M$.

Exclu de la réforme de la taxation internationale ?

La taxation au tonnage, accordée bien souvent par des États en mesure défensive contre les pavillons de complaisance, a failli être menacée par la réforme de la taxation internationale. Les pays du G7 (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Canada, Italie Japon et l'Union européenne) se sont mis d'accord l’an dernier sur le principe de l’introduction d'un taux d'imposition minimal de 15 % sur les bénéfices des multinationales dont les revenus bruts annuels dépassent 750 M$.

L’accord signé le 5 juin 2021 à Londres avait notamment pour objet « de mettre un terme à la course au moins-disant en matière d'imposition des sociétés », de désamorcer les techniques d’optimisation fiscale et à faire payer aux sociétés une partie de leurs impôts là où elles réalisent leurs activités. Dans le viseur, les entreprises qui réalisent plus de 20 Md$ de chiffre d'affaires mondial et dont la rentabilité est supérieure à 10 %.

Evoqué à cette occasion, le transport maritime devrait finalement échapper cette fois-ci à la réforme fiscale internationale. L'OCDE, l'UE et le G7 semblent tous d'accord pour reconnaître la nécessité des systèmes de taxation au tonnage.

Taux d’imposition moyen de 7 % selon l’ITF

Selon un rapport publié en fin d’année dernière par l’International Transport Forum (IFT) de l’OCDE, le secteur n’aurait payé en moyenne que 7 % d'impôts entre 2005 et 2019 grâce à ce dispositif. Le taux d'imposition effectif des 41 sociétés de transport maritime cotées à la bourse de New York aurait été de 2 % pour la période 2010-2019.

Cependant, l’étude indique que les taux d’imposition des transporteurs de conteneurs sont nettement supérieurs, de 19 %, reflétant en partie la prise en compte des activités connexes qui ne bénéficient pas des mêmes avantages fiscaux que les activités de transport maritime. Dans l'ensemble, l'OCDE estime que le transport maritime (tous secteurs confondus) aurait payé 3,5 Md$ de plus par an s'il avait été soumis à une taxe de 20 % (comme les terminaux portuaires) et 4,6 Md$ supplémentaires avec le taux moyen d'imposition des sociétés dans les pays de l'OCDE, qui est de 23,7 %.

Adeline Descamps

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