CMA CGM reçoit son premier porte-conteneur au méthanol, carburant en perte de crédit

Quatre ans et demi après la mise en service de ses tout premiers navires au GNL, ouvrant la voie à une nouvelle propulsion pour des porte-conteneurs de cette taille, CMA CGM a reçu le pionnier de sa future flotte au méthanol. Un changement de paradigme au sein du groupe français qui a longtemps défendu un pragmatisme énergétique.

Quatre ans et demi après la mise en service (23 septembre 2020) du mythique Jacques Saadé, vaisseau amiral d’une lignée de neuf porte-conteneurs de 23 000 EVP au GNL, qui portent tous le nom de monuments et lieux emblématiques de Paris, CMA CGM accueille son tout premier navire estampillé « Méthanol powered » tout en restant dual fuel. Le constructeur sud-coréen Hyundai Samho vient de lui livrer le CMA CGM Iron, tête de série de douze unités de 13 136 EVP commandées début 2023 au prix de 171,35 M$ chacun selon Alphaliner.

Les nouveaux objets (335 m de long), répondant aux noms métalliques des  éléments de Mendeleïev (fer, cobalt, argon, platine ou mercure...), autorisent 20 rangées de conteneurs (51 m de large) et disposent de 2 400 prises reefers, dans le haut du marché pour ce qui est de la capacité frigorifique. Ce point se justifie sans doute par le service (Cimex 1) auquel il est affecté, entre Asie (Qindgao, Ningbo, Shekou, Singapour) et Moyen-orient (Khalifa Port, Abu Dhabi, Jebel Ali, Hamad, Dammam). La ligne est opérée jusqu'à présent au moyen d’une flotte d'une capacité variant entre 11 et 16 000 EVP (dont le Marco Polo).

Quatre ans qui en valent dix

L’affaire fait beaucoup moins de bruit qu'à la réception du primus inter pares au GNL. « Une première dans l’histoire du transport maritime », était-il claironné à l'époque, « un concentré d’innovations », « fruit de sept années de recherche et développement », le CMA CGM Jacques Saadé, emblématique par son nom en forme d'hommage au capitaine d’industrie-fondateur du groupe, avait alors ouvert la voie à une nouvelle propulsion pour des porte-conteneurs de cette taille à une époque où le GNL isolait Rodolphe Saadé, héritier et PDG du groupe, dans ses convictions. Le dirigeant défend depuis la première heure, en matière de décarbonation de sa flotte, un « pragmatisme économique et énergétique » en s'en remettant aux solutions immédiatement disponibles, accessibles à l’échelle, bien qu’imparfaites. Si vertueux soit-il pour traiter tout ou partie des oxydes d’azote et de soufre, le gaz naturel liquéfié est peu efficace pour abattre le CO2 (20 % tout au plus). Pour amender le rapport à l’environnement, ses concurrents avaient, eux, opté pour d’autres chemins moins risqués, plus consensuels : le retrofit de navires existants.

Depuis, le monde a vécu en accéléré et l’instantanée imprimé par le légendaire mégamax aurait presque viré sépia. L’agenda environnemental se durcit et au gré de l’évolution des technologies, les armateurs s’ajustent. Ainsi, le groupe français a commandé des navires au GNL « configurés pour » carburer au bio-GNL et aux carburants de synthèse et s'est abonné à une propulsion au bio et au e-méthanol. C'est en juin 2022, à l'occasion de la présentation de ses résultats trimestriels, que l'entreprise a annoncé son intention de commander une série de six unités de 15 000 EVP au méthanol (bicarburant). Avant de fuiter une autre série de douze lors des Assises de l’économie de la mer à Lille en novembre 2022.

Maersk a, lui, emprunté le chemin inverse. Pionnier des alternatives franchement vertes à l'instar du méthanol vert, il a mis le pied sur le frein et a basculé sur le GNL dont il a longtemps été un censeur, notamment pour l’impact du « méthane slip » lié à la production de méthane sur les émissions de GES du scope 3 pour lesquelles l'approvisionnement en matières premières et le traitement en amont sont déterminants.

Vingt-quatre navires dual fuel au méthanol chez CMA CGM

Le carnet de commande au méthanol des deux armateurs s’est aligné. Au total, le programme de construction de CMA CGM comprend 24 navires à propulsion bicarburant méthanol sur les 131 dits bas carbone et s’est engagé avec Qingdao Beihai Shipbuilding Heavy Industry pour la conversion de dix unités de 9 300 EVP. Le premier d'entre eux devrait bientôt entrer en cale sèche à Qingdao (Maersk a achevé la première conversion de ce type avec le Maersk Halifax).

Les navires dits « verts » ont représenté peu ou prou 75 % des commandes passées en 2024 mais le GNL a repris le lead après un engouement effréné pour le méthanol qui s’est largement émoussé. Les navires alimentés au méthanol ont concerné moins de 30 % des contrats de construction signés en 2024, selon les données d’Alphaliner (contre la moitié du carnet de commandes avec des carburants alternatifs en 2023), soit presqu’autant que la part propulsée avec du fuel. « La propulsion au GNL s'est réaffirmée comme le principal choix à court et moyen terme des transporteurs sur la voie de la décarbonisation », convient le spécialiste de la ligne régulière, avec 41 % du total (ses données n’intègrent pas les navires « ready for » qui pourraient être convertis ultérieurement, une part pourtant non négligeable).

Le GNL s’impose surtout pour les plus grandes unités dont les délais de construction plus longs portent leur livraison aux horizons de 2030, date fatidique des premières échéances réglementaires, ce qui décourage les combustibles fossiles. Et, en l'absence d'alternatives probantes, le GNL retrouve tout son crédit. La seule exception repérée à ce principe par les analystes est fournie par MSC qui a sélectionné Zhoushan Changhong pour douze unités de 19 000 EVP à propulsion conventionnelle, à livrer entre 2027-2029, cependant construits en vue d'une éventuelle conversion au GNL, à l'ammoniac ou au méthanol.

Avitaillement hasardeux

L’approvisionnement de cette nouvelle flotte, attendue entre 2025 et 2027, relève du pari hasardeux alors que les coûts de traitement du carburant se sont avérés plus élevés que prévu et la production planifiée n'a pas décollé. Plus des deux tiers des installations de production de méthanol sont toujours en attente de leur décision finale d’investissement (FID).

Selon le méthanol Institute, lobby du secteur, plus de 23 Mt de bio-méthanol et d'e-méthanol sont prévus d'ici 2029. Or, il s'est produit 0,5 million de tonnes par an (Mtpa) en 2024 (0,2 million de tonnes équivalent pétrole, Mtep/an) et il en est attendu entre 3,6 et 6,1 Mtpa (1,7-2,9 Mtep/an) d'ici fin 2030.

Le revirement de Maersk, symptomatique dans la répartition de sa dernière série de 60 nouveaux navires entre une propulsion au GNL et au méthanol, est révélateur des problématiques posées par le nouveau combustible. En signant ses premiers contrats de construction, le transporteur souhaitait envoyer un signal fort au marché en amorçant la pompe de façon à créer un effet volume et à diminuer le coût de production, aujourd’hui deux fois plus élevé que celui du méthanol conventionnel (dit gris). Pour sécuriser son soutage, l’entreprise a ainsi signé plus de dix contrats d’achat à long terme, le dernier en date avec LONGi Green Energy Technology, le tout pour une valeur supérieure à 250 M$. De quoi sécuriser plus de la moitié de la demande prévue pour 2027, selon ses déclarations. D'ici 2030, il a budgeté 2 à 8 Md$ pour les carburants verts, « en fonction de la croissance, des résultats de l'OMI et d'autres incertitudes qui auront un impact sur notre plan de transition d'ici 2030 », prend-il soin de préciser dans son rapport annuel 2024.

Un élixir cher

Les parties prenantes évoquent par ailleurs manque de clarté sur les futures réglementations en matière d'approvisionnement portuaire et de soutage. Singapour, premier hub de soutage mondial, a commercialisé 1,34 Mt de carburants alternatifs en 2024. Une goutte d’eau sur les 300 Mt de fuel consommés chaque année par les navires marchands. Les blend de biocarburants (B50 et B100) ont dominé les ventes (0,88 Mt) contre 0,46 Mt pour le GNL et 1 626 t de méthanol.

La production de méthanol renouvelable reste surtout fort coûteuse. « Autour de 1 500 à 1 600 € la tonne, soit quatre fois le prix du fuel lourd, et la moitié de ce prix est dû à l'électricité », a expliqué au cours d'un débat tenu dans le cadre du Blue Maritime Summit Alexis Martinez, le CEO d’H2V. L'entreprise envisage sur le port de Marseille la construction de six unités de production d'hydrogène pour produire des carburants pour la mobilité lourde (SAF dans l'aérien et méthanol dans le maritime). « Pour développer une filière d'hydrogène, en général, on a besoin d'un outil net d'électricité de 40 € du mégawatt, le prix de l'électricité et la compensation carbone inclus. »

Le dirigeant reste néanmoins confiant, persuadé qu'après 2035, les besoins en méthanol pour le transport maritime vont augmenter de manière significative car « nn aura besoin de tous les leviers pour décarboner cette industrie et on ne pourra pas faire abstraction du méthanol puis du e-méthanol ».

Les estimations à long terme lui donnent raison : le prix du méthanol vert devrait tomber à environ 300-600 $ par tonne. Par ailleurs, la directive FuelEU, entrée cette année en vigueur, ainsi que le système européen d'échange de quotas d'émission, vont augmenter le coût de la mise en conformité pour les transporteurs carburant aux énergies fossiles. Selon les estimations du Methanol Institue, il passera de 300 $/t en 2025 à plus de 2 000 $ d'ici 2050.

Pour couvrir les coûts, les exploitants comptent sur le consentement des clients à partager la facture pour une supply chain neutre en carbone. Un luxe à ce prix.

Adeline Descamps

>>> Lire sur ce sujet

De rumeurs en confirmation, CMA CGM derrière la commande des 24 navires de 18 000 EVP en quête de propriétaire

Méthanol : les raisons du doute des armateurs

Entrée en vigueur de la directive européenne FuelUE Maritime qui impose des carburants verts

Méthanol/GNL : la révolution culturelle chez Maersk, les revirements et autres effets de panique

La part des commandes avec le méthanol comme carburant est tombée à 21 %

La première conversion au méthanol d'un porte-conteneurs achevée

Commande colossale de Cosco dans les vraquiers configurés pour le méthanol

Le méthanol s'impose dans les commandes de navires neufs

Maersk : report d'une commande de 15 porte-conteneurs au méthanol

Shipping

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15