Près de 460 jours après le début de la guerre déclenchée par l’attaque du 7 octobre 2023 perpétrée par le Hamas Palestinien, qui a coûté la vie à près de 50 000 personnes dans les différentes représailles entre l’armée israélienne et le mouvement islamiste palestinien, l’accord annoncé mercredi dernier par les médiateurs – Qatar, États-Unis, Égypte –, doit permettre une trêve de 42 jours. Avec l’objectif d’aboutir à une « fin définitive » de la guerre. Selon les termes de l’accord arraché à quelques heures de l’investiture du nouveau président américain Donald Trump, 33 otages israéliens doivent être libérés, dans une première phase étalée sur six semaines. En échange, l’État hébreu va libérer 737 prisonniers palestiniens, dont 90 devaient l’être ce dimanche 19 janvier, ainsi que 1067 Gazaouis.
Il est prévu le retrait progressif des forces israéliennes du centre de la bande de Gaza et le retour des Palestiniens déplacés dans le nord mais le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, dont l’armée a mené des frappes à Gaza avant l’entrée en vigueur de la trêve, a prévenu qu’Israël se réservait « le droit de reprendre la guerre si besoin ». La branche armée du Hamas a fait savoir, de son côté, que la trêve à Gaza dépend du « respect des engagements » par Israël.
Le cessez-le-feu et l'accord s'avèrent donc extrêmement fragiles. D’autant que le protocole comporte trois phases, que seules les six premières semaines de la phase 1 ont été convenues par les parties tandis que les négociations sur les phases 2 et 3 doivent être négociées 16 jours après le début de la phase 1.
La mer Rouge, juge de paix
« 2025 dépendra de la mer Rouge », aura été la formule dominant toutes les perspectives l’an dernier. Elle a fait consensus auprès des analystes financiers. Elle a rencontré un francs succès auprès des observateurs du marché. Les armateurs y ont eu largement recours à chaque présentation trimestrielle de leurs résultats financiers, faisant de ce facteur un aiguillon négatif ou positif de leurs comptes d'exploitation.
Dans son rapport sur les perspectives pour 2025, Xeneta anticipait, selon qu’il y ait ou pas de retour des navires en mer Rouge, une croissance de 3 % ou une contraction de 11 % pour la demande en EVP-milles cette année. Avec la normalisation en cours, ajuste aujourd’hui Peter Sand, analyste chez Xeneta, environ 1,8 MEVP deviennent du surplus. Une donnée qui ne fait consensus dans la sphère des observateurs, certains la jugeant exagérée.
Quelle sera la réaction des Houthis ?
La réaction des Houthis face à l'accord de cessez-le-feu à Gaza était attendue alors que la milice a toujours subordonné la fin de leurs représailles au retrait de Gaza. Le porte-parole des Houthis, Mohammed Abdul Salam, s'était pour l'instant contenté de saluer le cessez-le-feu sur les réseaux sociaux. Le Centre de coordination des opérations humanitaires (Humanitarian Operations Coordination Center, HOCC), qui représente les rebelles houthis, a indiqué dans un communiqué, que tant que la trêve serait observée, les navires marchands internationaux pourront transiter en sécurité en mer Rouge, à Bab-el-Mandeb, dans le golfe d'Aden, en mer d'Arabie et dans l'océan Indien, y compris ceux à destinations de ports israéliens, « partiellement détenus par des individus ou des entités israéliens et gérés ou exploités par eux ». En revanche, les navires entièrement détenus par des individus ou des entités israéliens et/ou naviguant sous pavillon israélien échappent aux nouvelles règles du jeu. La région reste par ailleurs classée comme une zone à haut risque par le Joint War Committee of Lloyd's, qui fournit des lignes directrices aux assureurs maritimes pour la fixation de leurs primes respectives.
Par solidarité avec les Palestiniens, le mouvement yéménite aura conduit une croisade de plus d'un an contre les navires traversant la mer Rouge s'il cesse aujourd'hui ses hostilités. Depuis novembre 2023, date de la première de la première attaque sur le Galaxy Leader, un car-carrier dont les 25 membres d’équipage sont toujours otages, plus d’une centaine de navires ont fait l’objet de leurs assauts.
La guerre des Houthis en mer aura coûté la vie à plusieurs marins, à bord notamment du vraquier Tutor, le deuxième navire dont le naufrage fatal a été reconnu officiellement après celui du Rubymar, coulé au large du port yéménite de Mokha à la suite de deux tirs de missiles. Trois personnes ont aussi trouvé la mort dans l’assaut du True Confidence.
Jusqu'à présent, aucune attaque de navire n'a été confirmée par les Houthis en 2025, le groupe militant concentrant ses attaques sur Israël à l'aide de drones et de missiles. Mais le « mal » a été fait.
Qui s'aventure aujourd'hui en mer Rouge ?
La situation sécuritaire en mer Rouge a entraîné dès le début de l’année 2024 un déroutement d’une très grande partie de la flotte mondiale, notamment celle de porte-conteneurs, par le cap de Bonne Espérance, au sud de l'Afrique pour éviter le canal de Suez, dont les recettes ont plongé de 60 % l'an dernier, soit une perte de 7 Md$ pour les caisses de l'État égyptien.
Un an après l'arrivée de forces navales internationales et européennes dans la région pour protéger la navigation marchande le trafic reste inférieur de 60 à 70 % à son niveau d’avant novembre 2023. Au cours des 11 premiers mois de 2024, 174 porte-conteneurs avaient traversé la mer Rouge, contre 606 sur la même période de 2023. Selon Linerlytica, la capacité mesurée en EVP a diminué de 91 %, passant de 5,9 MEVP à 544 000 EVP en 2024.
En novembre, cela faisait 40 semaines qu'un porte-conteneurs d'une capacité de plus de 18 000 EVP n'avait pas traversé le canal, a noté Alphaliner. Ce mois-là, seuls trois passages ont été enregistrés dans la catégorie des 10 à 15 000 EVP. Il s'agissait de navires CMA CGM, qui empruntent la route à risques quand l'armateur est assuré de disposer d'une escorte par une frégate française opérant dans le cadre de la mission européenne Aspides.
L'augmentation du trafic par la mer Rouge ces dernières semaines a été presque entièrement due aux petits gabarits de moins 5 000 EVP, fruit de la stratégie de X-Press Feeders, d’Emirates Shipping Line ou encore Safeen qui ont augmenté le nombre de services en short sea entre l'Inde et le Golfe du Moyen-Orient et la mer Rouge, selon Linerlytica. Elle reflète par ailleurs la tendance dite opportuniste des petits transporteurs prêts à combler le vide laissé par les géants du secteur.
Qui pourrait s'y aventurer demain ?
Alors que les compagnies maritimes s'apprêtent tout juste à mettre en place leur nouveau réseau, le cessez-le-feu pourrait amener les armateurs à reconsidérer le risque mais nul ne sait comment les transporteurs, tentés, pourraient programmer leur retour. Compte tenu de l’agenda étiré de la désescalade entre Israël et le Hamas, qui laisse la porte ouverte à de nouveaux départs de feu, les transporteurs vont être, en toute probabilité, prudents dans le redéploiement de leurs réseaux.
Quoi qu'il en soit, la stabilisation de la paix en mer Rouge, si tel est le cas, représentera l’ultime étau à la demande de navires alors que le spectre d'une grève des dockers dans les ports de la côte Est et du Golfe du Mexique s’est dissipé, un protocole d’accord ayant été signé.
L’allongement induit – jusqu’à dix jours de navigation en plus –, exigeant bien plus de navires pour pouvoir maintenir la fréquence du service, est tombé à pic pour absorber la surcapacité actuelle du marché par rapport à la demande de transport (environ 7 % de la capacité mondiale des porte-conteneurs absorbée).
Selon Veson Nautical (ex-Vessel Value), l'allongement des distances de navigation s'est traduit par une croissance d'environ 16 % en un an du nombre d'équivalents vingt pieds-milles (EVP-milles). Clarksons Research a estimé que l'augmentation du nombre de tonnes-milles liée à la situation en mer Rouge a été la plus importante pour les porte-conteneurs (+ 12 %), les transporteurs de voitures (+ 6,7 %) et les transporteurs de produits pétroliers (+ 4,6 %). Ce faisant, elle a exercé une pression à la hausse sur les taux de fret et d’affrètement.
La baisse la demande de tonnes-milles et la résurgence de la problématique de surcapacité, une fois que le marché se sera normalisé, vont inévitablement faire réagir les prix du transport.
Où en sont les taux de fret ?
Pour la deuxième semaine consécutive, les prix du fret spot reflétés par le SCFI (Shanghai Containerized Freight Index), composé des taux spot pour les conteneurs au départ de Shanghai, poursuivent sur leur tendance négative avec une deuxième semaine consécutive de baisse. Au cours de la semaine se terminant le 17 janvier, le thermomètre du secteur conteneurisé a chuté de 7 % pour atteindre 2130,81, points, après une baisse de 8,6 % au cours de la semaine précédente. Cette descente fait suite à une hausse de six semaines jusqu’à atteindre 2505,17 points au cours de la semaine se terminant le 3 janvier. Le dernier pic atteint remonte au début du mois de janvier 2022 avec un niveau de 5109,60, tandis que la chute abyssale (931,89) a été observée dans la semaine précédant le 27 octobre 2023.
L'indice des taux du World Container Index (WCI), calculé par la société de conseil Drewry pour les conteneurs des 40 pieds, affichait aussi une baisse de 3,3 % le 16 janvier.
Selon le Freightos Baltic Index, calculés à partir des tarifs au comptant annoncés par les transporteurs maritimes aux transitaires notamment, les taux Asie-Côte Ouest des États-Unis, pour la semaine se terminant le 10 janvier, se sont stabilisés, à 5 924 $ pour un conteneur de quarante pieds (FEU). Les prix entre l'Asie et la côte Est des États-Unis ont baissé de 1 %, à 6 898 $/FEU.
« Bien que les prix transpacifiques vers les deux côtes soient restés stables la semaine dernière, les taux [avaient] fortement augmenté au début du mois, la demande étant en hausse dans la perspective des vacances du Nouvel An lunaire qui commencent le 29 janvier », indique Judah Levine, en charge de la recherche chez Freightos. Les prix Asie-Côte Ouest ont grimpé de 52 % par rapport à la fin décembre, atteignant le niveau de 6 000 $, et de 30 % vers la Côte Est s'établissant à environ 7 000 $. Les taux Asie-Europe du Nord sont aussi restés ancrés à 5 640 $/EVP (+ 1 %). De même vers la Méditerranée à 5 685 $/EVP.
Que reste-t-il des facteurs soutenant la demande ?
Il reste à suivre les effets de la politique commerciale de Donald Trump alors que le 47e président prévoit d'appliquer des droits de douane de 10 % (au minimum) sur les importations en provenance de Chine et de 25 % sur les marchandises en provenance du Mexique et du Canada, en trois vagues, à partir de l'été 2025.
Les analystes prévoient une augmentation des droits de douane moyens américains de près de 8 % d'ici la fin de l'année 2026, ce qui devrait entraîner une baisse notable de la part des États-Unis dans les échanges commerciaux de 21 à 18 %. Dans cette contraction de 11 % du commerce américain avec le reste du monde, la Chine est susceptible de perdre jusqu'à 83 % de ses ventes.
En conséquence, les experts de Linerlytica prévoient une diminution potentielle de 8 à 12 % des flux commerciaux transpacifiques, laquelle pourrait se traduire par une baisse de 1,7 % du commerce mondial de conteneurs. Mais à court terme, selon les modèles dits historiques, c'est plutôt à un rush de la demande de transport (effet de planification de la chaîne d'approvisionnement « juste au cas où ») qui est constaté.
Comment pourrait évoluer le marché ?
le marché évoluera en plusieurs temps, a indiqué Lars Jensen à un média étranger. « Dans un premier temps, les chaînes d'approvisionnement, notamment de l'Asie vers l'Europe, se raccourciront considérablement, ce qui entraînera des problèmes temporaires de congestion des ports et de l'arrière-pays en Europe, car plus de marchandises que d'habitude arriveront en même temps, certaines ayant emprunté la longue route autour de l'Afrique et d'autres prenant maintenant le raccourci habituel par Suez ». Lire en sous-texte : les taux au comptant pourraient baisser, nonobstant des suppléments pour congestion. « Dans le meilleur des cas, cela signifierait le début d'un retour vers Suez dans la seconde moitié de février. En réalité, même dans le meilleur des cas, cela pourrait prendre un peu plus de temps ».
Adeline Descamps