Ce que révèle la crise du Maersk Etienne

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Le pétrolier Maersk Etienne, battant pavillon danois, est bloqué en mer depuis près d'un mois, en raison de l’absence de solutions pour les 27 migrants que le navire a sauvés des eaux tunisiennes au début du mois d'août. Au-delà de l’absence de réponse politique, un navire marchand sert de relais aux navires des ONG. Une situation qui se banalise.

La crise des réfugiés, qui dure depuis un mois sur le Maersk Etienne, a pris le week-end dernier une tournure tragique alors que trois migrants ont sauté par-dessus bord. L'équipage a réagi rapidement et les personnes récupérées ont été prises en charge. « Nous demandons une aide humanitaire urgente », a réagi sur son fil twitter l’armateur danois Maersk Tankers, tandis que les conditions à bord se détériorent rapidement.

La situation est ubuesque. À la demande des garde-côtes maltais, le pétrolier est intervenu le 4 août pour secourir 27 migrants ayant fui la Libye, dont une femme enceinte et au moins un mineur. Le droit international et les conventions maritimes imposent aux navires et aux États côtiers de porter secours aux personnes en détresse et de faire en sorte qu’elles soient débarquées rapidement dans un lieu sûr.

Ping-pong diplomatique

Le Maersk Etienne a donc rempli ses responsabilités au regard du droit international, mais se retrouve aujourd’hui pris dans un jeu de ping-pong diplomatique. Depuis près d’un mois, les personnes secourues sont confinées à bord parce que les gouvernements refusent au capitaine du navire l’autorisation d’accoster et de débarquer les migrants. Faute de solutions, le navire se trouve lui-même otage, dans l’incapacité de reprendre la route.

« Notre équipage continue à fournir autant de soutien et d'assistance que possible à ce groupe vulnérable, mais un navire-citerne n'est ni conçu ni équipé pour offrir des soins humanitaires et médicaux, pas davantage pour accueillir des personnes supplémentaires. Nous nous trouvons donc dans une situation où nos réserves s'épuisent rapidement », a alerté l’armateur danois. Nous demandons aux autorités compétentes de veiller à ce que ces migrants soient immédiatement pris en charge et reçoivent les soins et l'attention dont ils ont besoin. Cela permettra également à notre capitaine et à notre équipage de poursuivre leur voyage et de rentrer chez eux auprès de leurs familles. »

un navire-citerne n'est ni conçu ni équipé pour offrir des soins humanitaires et médicaux » Maersk Tankers

Les navires marchands en relais des navires ONG

Robert Maersk Uggla, le PDG de A.P. Moller Holding, a lancé de son côté un appel plus politique pour sortir de l’impasse. « Nous attendons désespérément que Malte et le Danemark trouvent une solution pour les réfugiés, avec l'UE ou d'autres parties concernées, afin que le navire et son équipage soient libérés ».

L’ICS, la Chambre internationale de la marine marchande, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont aussi exprimé dans un communiqué commun leurs préoccupations quant à l'absence de réponse politique à cette crise. Dans une lettre adressée au secrétaire général de l’OMI, la Chambre internationale de la marine marchande enjoint l’Organisation maritime internationale d’intervenir et « d’envoyer un message clair aux États quant au respect de la lettre et de l’esprit du droit international. »

« L’absence d’un mécanisme de débarquement clair, sûr et prévisible pour les personnes secourues en Méditerranée continue de poser une menace évitable sur leur vie », a ajouté le directeur général de l’OIM, Antonio Vitorino. L’OIM et le HCR appellent depuis longtemps les États à mettre en place un système dans lequel les États côtiers assument une responsabilité égale dans la mise à disposition d’un port sûr où accoster au lieu d’une prise en compte au cas par cas.

« Ce n’est pas la première fois que cela se produit, et nous avons besoin que les gouvernements respectent leurs obligations, reprend Guy Platten, secrétaire général de la Chambre internationale de la marine marchande. Les navires marchands ne sont pas pensés à cette fin. Les États doivent jouer leur rôle ».

Avec relativement moins de navires d'ONG par rapport aux années précédentes, la lacune est de plus en plus comblée par des navires commerciaux » International chamber of shipping

Deuxième navire bloqué en mer cette année

La situation subie par le Maersk Etienne est le deuxième incident cette année dans le cadre duquel un navire marchand est bloqué en mer après avoir embarqué des personnes qu’il a secourues en mer. En juillet dernier, le Talia avait pris un retard de quatre jours par rapport à son voyage prévu pour s’occuper de 50 personnes qui ont finalement pu être débarquées dans un port sûr.

Fin août, plus de 400 migrants et réfugiés secourus se trouvaient à bord de trois navires en Méditerranée centrale. « L'OIM et le HCR sont profondément préoccupés par l'absence continue de capacité de recherche et de sauvetage spécifique dirigée par l'UE en Méditerranée centrale. Avec relativement moins de navires d'ONG par rapport aux années précédentes, la lacune est de plus en plus comblée par des navires commerciaux » ont souligné les deux organisations.

Tant que les migrants restent en mer, la Commission européenne, qui dispose d’un mécanisme de relocalisation des migrants en Europe, se déclare incompétente juridiquement pour intervenir. « Nous appelons instamment les États membres à travailler ensemble pour une gestion des migrations en Europe dans un esprit de solidarité et de responsabilité collective », a déclaré Adalbert Jahnz, porte-parole de la Commission européenne, qui rappelle que l’UE peut apporter un soutien financier et une assistance opérationnelle pour la relocalisation après débarquement (dès que les migrants mettent le pied à terre d’un pays, il revient à ce dernier de s'occuper d'eux).  

Responsabilités niées

« La situation du Maersk Etienne n'est pas de la responsabilité de Malte », persiste le Premier ministre maltais Robert Abela dans une interview à la chaîne de télévision One TV, renvoyant la compétence vers le gouvernement danois, qui botte en touche également. Le ministre intérimaire de l'immigration et de l'intégration du Danemark, Kaare Dybvad Bek, n’entend pas s’y résoudre, craignant de créer un précédent en matière de demande d'asile.

Ajoutant à la confusion, l'association Danish Shipping a laissé entendre que certains navires éteignent leurs systèmes de géolocalisation pour ne pas se retrouver dans des situations où ils doivent secourir des immigrants. Une fois sorties de l’impasse, les instances représentatives du transport maritime devraient faire pression auprès de l’UE pour qu’un dispositif soit prévu pour ne pas, non plus, créer un précédent...

Adeline Descamps

 

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