Aux termes d’une année sous la direction de Maria Harti, qui n’a pas la tâche facile au regard des dernières manifestations sociales au sein de l’entreprise, La Méridionale, passée dans le giron de CMA CGM en 2023, se montre particulièrement satisfaite de son trafic à la « croissance remarquable » en 2024. La compagnie, qui partage jusqu'en 2029 avec Corsica Linea la délégation de service public (DSP) de la desserte maritime corse au départ du port de Marseille Fos, fait valoir une augmentation de 2 % du trafic passagers vers la Corse (où elle dessert les ports Ajaccio et Porto-Vecchio), et de 26 % pour le fret sur sa ligne ro-pax Marseille-Tanger Med, sa première émancipation en dehors de la DSP.
« Ces résultats confirment l’attractivité de l’offre et encouragent à poursuivre cette croissance en 2025 et au-delà », indique l’entreprise, sans grande précision sur les détails mais qui a retrouvé la confiance au point de renforcer ses services. Sur la desserte marocaine, un nouveau navire à la capacité améliorée (219 cabines, soit 156 de plus que l’actuel Pelagos) et 2 370 mètres linéaires de fret sera exploité dès juin 2025. La Méridionale ne le mentionne pas mais l’information est connue du sérail. Il s’agit du Normandie que cède Brittany ferries dans le cadre de son renouvellement de flotte vers des navires plus efficients. Le Normandie (tout comme le Bretagne) sont en cours de remplacement chez l'armateur breton par deux ferries à propulsion GNL/électrique (les Saint-Malo et Guillaume de Normandie). Ce dernier, qui doit libérer le Normandie, est attendu en avril pour desservir la ligne amirale Caen-Ouistreham/Portsmouth.
D’où les délais avancés par la Méridionale qui évoque une mise en service en juin de l'ex-Normandie qui sera mis entre temps aux standards bleus de la compagnie marseillaise. Actuellement, Le Pelagos (capacité de 200 véhicules et 170 remorques et jusqu’à 300 passagers), qui avait été acheté 30,6 M€ à DFDS à l'orée de la pandémie, a été cédé en janvier à la compagnie égyptienne Ume. La transition d'ici à juin sera assuré par le Kalliste (capacité de 500 passagers, 160 véhicules, 160 cabines).
Une ligne maudite
La ligne marocaine, lancée en décembre 2020 sous le pavillon de Stef, son ancien propriétaire, avec deux à trois rotations par semaine et deux navires (Girolata et Pelagos), a vécu des jours fragiles en raison des restrictions sanitaires liées à l’épidémie en vigueur en France et au Maroc. La rentabilité opérationnelle a ensuite connu des hauts et des bas avec des taux de remplissage décevants. Concurrencer un trafic routier de remorques en proposant une desserte maritime longue sans qu’il s’agisse d’une autoroute de la mer relève du pari. Même si les ambitions n'étaient pas démesurées : capter quelques pourcents des 350 000 à 500 000 remorques qui franchissent chaque année le détroit de Gibraltar.
L’itinéraire, manifestement difficile à discipliner, a de longues ombres. En 2018, la ligne ouverte en solo par CMA CGM, l'actionnaire actuel de La Méridionale, n’aura tenu que quelques mois, faute de fiabilité notamment.
Plus-value environnementale pas assez convaincante
La plus-value environnementale – l’économie d’une tonne de CO2 par remorque, soit 40 % des émissions en moins par rapport au tout-route via le détroit de Gibraltar –, ne pèse pas lourd dans l’argumentation en l’absence d'une réglementation contraignante et/ou d'une fiscalité dissuasive et d'une offre de ferroutage convaincante au départ de Marseille vers le Nord de l’Europe.
Dans l'absolu, la proposition pourrait intéresser les chargeurs de pièces automobile et de fruits et légumes en reefers, notamment à destination du marché international de Saint-Charles à Perpignan et de celui de Rungis. Plusieurs repositionnements ont été tentés au cours de son parcours chahuté, vers Barcelone, port qui promeut activement le ro-ro comme alternative ou complément au conteneur, avec, pour cibles, le textile et les fruits et légumes. Une escale hebdomadaire à Alicante sera ensuite ajoutée dans le sens sud-nord. En vain. Le marché étant déjà largement préempté (Suardiaz, GNV…).
Nouvelle ligne ?
La Méridionale évoque aujourd'hui un renfort de capacité sur sa desserte marocaine mais sans évoquer le projet largement éventé de l'autre côté de la Méditerranée et sur lequel le site Infomarocferry chronique. En dépit des demandes répétées du JMM, l'information portant sur le lancement d’une ligne entre Marseille et Nador n'a toujours pas été confirmée. Pourtant, le service clientèle de la société communique sur l’ouverture des réservations.
La ligne, prévue pour l'été 2025 (opérée, selon Infomarocferry, par le Kalliste), de juin à septembre, s'adresse aux Marocains résidant à l'étranger (MRE), public cible de Sète, historique port de transit des MRE, et de GNV. Pionnière des liaisons entre Sète et le Maroc, ayant prospéré sur la faillite des acteurs marocains Comanav et Comarit, la filiale italienne de MSC dessert Nador et Tanger (167 escales, 164 000 passagers, 82 000 véhicules et 670 remorques). Sur Nador, depuis le port héraultais, elle y règne en maître absolu alors que Baleària y a opéré de façon erratique entre 2020 et 2023 pour répondre à une demande ordonnée par le contexte. Dans son plan de flotte estival, L'Espagnole n'a pas inscrit la ligne Sète-Nador, comme espéré par la direction portuaire de Sète.
Une bombe à retardement ?
Le marché du ro-pax en Méditerranée n’est pas un fleuve tranquille. La concurrence déloyale du pavillon international sur les lignes passagers exercées en Premier registre français de la desserte corse et du marché maghrébin, a été brutalement mise sur la table début janvier par le syndicat CGT des marins de la Méridionale et de Corsica Linea, en grève dans tous les ports de la DSP en Corse ainsi que sur les lignes passagers sur le Maghreb. Si une sortie de crise a été rapidement négociée entre les parties prenantes notamment à la faveur d'un « attachement » dit « visciral » déclaré par les directions pour le Premier registre, une lame de fond opère.
Le marché méditerranéen du ferry et du ro-pax est en train de se restructurer autour de grands faiseurs qui aspirent de vastes territoires en prospérant sur l'affaiblissement ou faillite de plus petits acteurs. L’offensive en France de la compagnie italienne GNV, qui opère efficacement avec un registre international (Italie, Chypre) aux coûts d'exploitation de l'ordre de 30 % moins élevés que le Premier regitre français, est particulièrement redoutée. La volonté de la filiale du groupe MSC de s'attaquer depuis Sète au marché maghrébin reste une menace pour le pré carré naturel des compagnies marseillaises, La Méridionale (Maroc) et Corsica Linea (Algérie). Cette dernière, s’est positionnée en 2023 à Sète pour desservir Béjaïa et Skikda en saison estivale.
Lancement effectif du renouvellement de la flotte
Pour La Méridionale, l'année 2025 est aussi celle du démarrage de la construction des deux ro-pax au GNL dont la découpe de la première tôle a eu lieu fin février. Commandés en 2023 au chantier chinois CMJL Weihai, ils sont attendus pour le premier trimestre 2027 avec un décalage de plusieurs mois.
Destinés à remplacer deux des quatre navires de la flotte, ils seront équipés de pack de batteries de 13MWh (pour les escales lorsque la connexion électrique à quai n’est pas possible, par exemple). Prévus pour le transport de 1 000 passagers, soit bien plus que la capacité actuellement offerte sur les Girolata et Kaliste, les futurs navires disposeront de 264 cabines (+ 68) et offriront 3 411 mètres linéaires de fret. Ils seront exploités sur la desserte de la Corse et donc inscrits au premier registre du pavillon français.
Nécessité fait loi. Cinq ans après l’IMO 2020, qui a plafonné la teneur en soufre des carburants à 0,5 %, les armateurs naviguant en Méditerranée devront se soumettre dès le 1er mai 2025 aux exigences de la zone de contrôle des émissions (ECA, Emission Control Area) ciblant les oxydes de soufres et les particules, à l’instar de ce qui existe déjà en Manche et en mer du Nord. Il faudra alors carburer avec un combustible dont la teneur en soufre n'excède pas 0,1 %.
Pour ce qui est de la desserte maritime corse, la route vers la décarbonation sera ardue. Au regard des investissements à consentir, tenir une trajectoire financière saine sur ce marché aux prix serrés relèvera du jeu d'équilibriste.
Adeline Descamps
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