Aides d'État : près de 10 Md$ alloués au transport maritime

Article réservé aux abonnés

 

Dans son rapport Covid-19 Transport Brief, l’ITF (OCDE) a recensé les aides d’État dont le transport maritime a bénéficié pour surmonter la crise engendrée par la crise sanitaire. Les opérateurs dans la croisière et le ferry en sont les principaux bénéficiaires. Au moins 13 pays ont subventionné leur industrie. Souvent de façon inconditionnelle… Dans la liste établie par l'ITF, la France est de loin le plus grand donateur d'aides d'État au secteur maritime cette année. 

En mai dernier, l’International Forum of transport, qui coordonne les travaux sur les ports et le transport maritime pour l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avait tiré un premier coup en publiant un document dans lequel il mettait en garde les pouvoirs publics contre la tentation de venir en renfort, à coups de subsides publics, de compagnies désargentées. « Le niveau d'endettement élevé des transporteurs de conteneurs les rend mal préparés au choc. La dette cumulée des 14 premiers opérateurs avait atteint 95 Md$ au 3e trimestre de 2019 », alertait l’ITF alors que les pouvoirs publics et l’UE sortaient les chéquiers magiques et les grands plans d’investissement publics.

L’OCDE rappelait aussi dans son plaidoyer que le transport maritime par conteneurs avait déjà bénéficié des largesses publiques, tels que les régimes d'amortissement accéléré des investissements, les exonérations de l'impôt sur les sociétés, la fameuse taxe au tonnage ou encore les exemptions de taxes sur le carburant des navires. Autant d’« aides » qui ne sont pas indexées à des exigences en termes de créations d’emplois, de richesses, de réduction de leur empreinte environnementale, regrettait l’ITF. « Dans certains cas, cela conduit à des situations paradoxales où les compagnies maritimes demandent l'aide du gouvernement alors qu'elles ont enregistré leurs navires dans d'autres pays pour échapper à sa fiscalité ou à sa réglementation du travail »

L'ITF invite les pouvoirs publics à ne pas renflouer un secteur endetté

Dans la liste établie par l'ITF, la France est de loin le plus grand donateur d'aides d'État au secteur maritime cette année, suivie par la Corée du Sud. 

CMA CGM obtient un prêt garanti par l'État de 1,05 Md€

13 pays généreux

L’ITF revient à la charge dans une nouvelle publication titrée « Leçons tirées de l'aide d'État au transport maritime pour faire face à la crise du coronavirus ». Dans ce document, l’organisation veut démontrer que « l'aide publique est généralement accordée sans conditions et rarement alignée sur des objectifs politiques plus larges ».

Au moins 13 pays ont accordé aides publiques au secteur maritime ces derniers mois, selon l’inventaire que l’ITF assume comme partiel (pas de collecte systématique de données sur les aides d'État en faveur du secteur maritime). Les compagnies de ferry et de croisière ont été les cibles de plus de la moitié du soutien public. Les premières ont été subventionnées en Estonie, Finlande, Grèce, Italie, Suède et au Royaume-Uni, où le ferry joue un rôle capital pour son approvisionnement du fait du caractère insulaire. Pour la plupart, il s’agissait de compenser les pertes de revenus dues à l'immobilisation de navires, notamment en raison de la fermeture des frontières. L'indemnisation a pris la forme de subventions directes (comme en Estonie qui a épongé jusqu’à 80 % les pertes d’exploitation de quatre compagnies, soit 20 M€ octroyées) ou d’exemptions de cotisations salariales (comme en Suède qui a alloué 9,5 M€ à dix opérateurs).

Ces compagnies qui appellent l’État en renfort

Aides ciblées

Les compagnies de croisière ont reçu des allocations au Royaume-Uni, en France, à Hong Kong et en Allemagne (à venir). La France, la Corée du Sud et Taïwan ont en outre joué les pompiers auprès de la ligne conteneurisée. « Les programmes de soutien dans d'autres pays visent l'ensemble du secteur du transport maritime et pas un segment particulier », relève l’ITF. La plupart des mesures de soutien ont pris la forme d’un soutien à la trésorerie sous la forme de garanties de prêts.

L’ITF regrette à cet égard que les États ne conditionnent pas davantage les subventions octroyées à des objectifs plus larges. « Le gouvernement finlandais impose trois conditions aux bénéficiaires de l'aide : ils doivent transporter des produits jugés essentiels pour la sécurité de l'approvisionnement, représenter une capacité de transport d’au moins 5 000 t par semaine et enfin, offrir des services de transport réguliers ». L'Allemagne est également rangée dans ces exceptions notables, réservant sa générosité aux navires à la sobriété énergétique et aux compagnies innovantes.

Aides d’État : quelles compagnies y ont goûté ?

Incitation à la performance environnementale

L’ITF ne réserve pas ses doléances au seules aides destinées à compenser les impacts de la pandémie. Pour l’organisation, l'absence de conditions à l'aide reçue s'applique aux autres politiques de transport maritime. Elle souhaiterait par exemple que le dispositif de taxe au tonnage – dans l'Union européenne, 22 pays octroient ce régime fiscal bien plus généreux que l'impôt sur le revenu des sociétés –  soit aussi indexé à des critères d’octroi, comme en Norvège et Suède (incitation à la performance environnementale) ou le Royaume-Uni qui exige des compagnies maritimes bénéficiaires qu'elles forment les marins.

L’organisation intergouvernementale, connue pour ses nombreux travaux sans concession sur les effets pervers des alliances maritimes, dont elle dénonce le caractère monopsone, souhaiterait tout autant que l’exemption des compagnies maritimes aux règles de la réglementation européenne en matière de concurrence (règlement dit d'exemption par catégorie) exige des contreparties telles que la connectivité, la fiabilité et régularité des services.

Alliances maritimes : La Commission européenne ne veut rien changer

32 M$ de taxes vs 26 Md$ de bénéfices

Dans sa publication, l’ITF estime aussi que le « transport maritime bénéficie d'exonérations fiscales à très grande échelle » alors qu’une part importante des compagnies maritimes mondiales sont constituées dans des paradis fiscaux et naviguent sous pavillon de complaisance au traitement fiscal favorable.

« Les quatre plus grandes compagnies de croisières du monde ont réalisé un bénéfice de 26 Md$  entre 2015 et 19 ans. Sur la même période, elles n'ont payé que 32 M$ de taxes. Cela représente un taux d'imposition effectif d’un peu plus de 0,1 %. » L’OCDE s’est aussi penchée sur l'implication des États dans les compagnies maritimes.

Dans la plupart des pays de l'OCDE, la tendance au cours des dernières décennies a plutôt été de réduire l'implication de l'État dans les compagnies par le biais de la privatisation et de la vente d'actions publiques. En Asie, les compagnies restent majoritairement publiques. Six des dix premières entreprises de transport maritime par conteneurs ont des gouvernements comme actionnaires. C'est le cas de l’allemande Hapag-Lloyd et de la française CMA CGM, l'État disposant d'un siège au conseil d'administration de la société et d'un droit de veto sur certaines décisions stratégiques. « Dans tous ces pays, les liens entre l'État et les transporteurs par conteneurs sont fréquents. L'UE oblige les États membres à vendre toute participation dans une entreprise après un maximum de six ans, une règle réitérée dans le « Cadre temporaire pour les aides d'État destinées à soutenir l'économie dans le contexte de l'actuelle crise du Covid-19 de la Commission européenne », rappelle l’ITF.

Des recommandations

In fine, sur la base de ses observations, « qui pourraient servir de point de départ à un réexamen du cadre politique pour le transport maritime », l’ITF estime qu’il est nécessaire d’apporter des « mesures correctives », à commencer par intensifier la surveillance de la concurrence. Il reprend à ce titre son antienne sur une possible collusion. Il en veut pour preuve récente la discipline collective des armateurs pour gérer leurs capacités durant la crise du coronavirus qui leur a permis de maintenir des tarifs de transport élevés alors que la demande était en fond de cale. « La réglementation visant à gérer conjointement les capacités et à échanger des informations est sujette à des abus », tance l’OCDE.

L’organisation européenne estime aussi nécessaire d’élargir le champ d'application de la politique de concurrence dans le secteur maritime pour tenir compte d’autres indicateurs que le seul prix et notamment d’« écologiser » les lignes directrices de l'UE sur les aides d'État au secteur maritime (conditionner les régimes d’aides à des critères environnementaux). De même, elle considère que les aides d'État au transport maritime doivent être davantage motivées par des avantages profitant à l’ensemble de la chaîne et pas exclusivement guidées par l'atténuation des pertes pour les bénéficiaires.

Un dernier point porte sur le délicat sujet des exonérations fiscales. Dans le viseur, les régimes de taxation au tonnage – « avantages indus » – mais chers aux armateurs.

Adeline Descamps

Shipping

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15