Engagés dans des négociations tripartites au long cours, les eurodéputés et les représentants des vingt-sept États membres mènent actuellement les négociations en vue de l'adoption définitive du paquet législatif Fit for 55, nom donné à la feuille de route climatique européenne présentée en juillet 2021 par la Commission pour réduire de 55 % par rapport à 1990 les émissions carbone au sein de l’UE.
Dans ce cadre, le Parlement européen et le Conseil viennent de mettre d’accord sur le règlement « Fuel EU Maritime » un des principaux textes structurant la politique climatique européenne pour le secteur maritime.
Les navires d’une jauge brute supérieure à 5000 seront ainsi tenus de réduire de façon graduelle leurs émissions de gaz à effet de serre (91,16 grammes de CO2 par mégajoule en 2020) de 2 % à partir de 2025, 6 % à partir de 2030, 14,5 % à partir de 2035, 31 % à partir de 2040, 62 % à partir de 2045 et de 80 % à partir de 2050. La mesure s’applique à toute l’énergie consommée à bord dans les ports de l’UE ou entre les ports ainsi qu’à 50 % de celle brûlée lors des voyages depuis/vers des ports situés en dehors de l’UE ou dans les régions ultrapériphériques.
Les navires qui y échappent aujourd’hui pourraient être rattrapés à l’occasion d’une révision des règles actuelles en 2028. La part des 50 % exigée des navires en provenance de pays non-membres de l'UE pourrait aussi être revue à la hausse à cette occasion.
Une norme afin de forcer l’adoption de carburants renouvelables
Les députés fixent en outre la part des carburants renouvelables à 2 % à partir de 2034. « L’accord donne plus de crédits, à titre d’incitation, sous forme de compensation des émissions aux armateurs qui utilisent des carburants renouvelables d’origine non biologique de 2025 à 2035 », précise le communiqué du parlement européen. La liste des carburants verts reste à préciser, notamment pour ce qui est du sort réservé aux biocarburants et au fuel à faible teneur en soufre par exemple.
L’accord préliminaire doit désormais être formellement approuvé par le Comité des représentants permanents du Conseil et la commission des transports et du tourisme du Parlement, puis par le Parlement et le Conseil dans son ensemble.
Une liste des carburants à utiliser
« L'accord donne un signal politique fort et fournit des objectifs climatiques clairs ainsi que des orientations pour l'industrie en ce qui concerne les carburants qui peuvent être utilisés dans le cadre de la transition énergétique du secteur », expriment les armateurs européens, via leur association européenne Ecsa. Le secteur réclamait notamment de la clarté et de la sécurité juridique pour enclencher les décisions d'investissement à grande échelle.
L’organisation est sans doute satisfaite sur un autre point, elle qui plaidait pour que les fournisseurs de carburants soient impliqués dans le process car ils sont une des clés de la problématique transition énergétique (aucune technologie éprouvée disponible, pas de structure d’avitaillement). Par les objectifs contraignants édictés, les énergéticiens se trouvent ici astreints à accélérer sur la production et de carburants résolument verts.
« Nous appelons le parlement et le conseil à soutenir des objectifs contraignants pour les fournisseurs de carburants marins propres dans la directive révisée sur les énergies renouvelables (RED) », invite Sotiris Raptis, secrétaire général de l'Ecsa, dans un communiqué. « Le FuelEU Maritime, la directive RED et les revenus du SCEQE, utilisés pour combler l'écart de prix avec les carburants propres, peuvent mettre le transport maritime sur la bonne voie de la transition énergétique ». C'est la ligne que les armateurs avaient défendue en amont des négociations en trilogue.
Les navires doivent se brancher à l’électricité à quai
Les porte-conteneurs et les navires de passagers seront tenus, à partir de 2030, d’utiliser l’alimentation électrique à terre pour tous les besoins en électricité lorsqu'ils sont à quai des principaux ports de l’UE. « Cette obligation s’appliquera également à l’ensemble des ports européens à partir de 2035 ». Cela suppose donc qu’ils soient tous équipés d’ici là, ce qui fera sans doute réagir la Feport, l’association professionnelle des manutentionnaires privés, qui opèrent les terminaux.
Sur le sujet de l’électrification à quai, les discussions tournent à vide depuis des mois entre les autorités portuaires et les exploitants des quais sur la répartition des investissements. « Nous espérons que l'Afir laissera la souplesse nécessaire aux ports pour les laisser investir là cela est le plus judicieux », réagit l’association des ports européens (Espo).
La loi ne fait toutefois pas exception de certaines exemptions, notamment si les navires restent au port pendant moins de deux heures, utilisent leur propre technologie à zéro émission, ou font une escale en raison de circonstances imprévues ou d’urgence.
Les ports ne sont pas garantis de l’utilisation
L’Espo craint aussi de consentir les efforts financiers mais sans garantie d'utilisation. Elle applaudit pour cela l'obligation faite aux navires d'utiliser l'électricité à quai dans les ports RTE-T ainsi que dans les autres ports qui auront installé cette infrastructure à partir de 2030. Mais elle craint que les dérogations retardent ou limitent l'utilisation des installations électriques à quai dans les ports équipés avant même la date limite du règlement Afir en 2030. Il leur reste à « espèrer que les compagnies maritimes s'engageront à utiliser l'électricité à terre lorsqu'elle sera disponible avant 2030 », soupire Isabelle Ryckbost, secrétaire générale de l'Espo.
Victoire de la propulsion vélique
« Enfin ! L’Europe détermine une trajectoire claire pour décarboner le transport maritime avec pour objectif une diminution de 80 % des émission de gaz à effet de serre d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif, les armateurs, européens ou non, devront se passer des énergies fossiles et utiliser des moyens de propulsion propres », a très vite réagi Pierre Karleskind, eurodéputé français, du groupe Renew Europe (parti d’Emmanuel Macron) au Parlement européen (22 députés français), qui salue une « autre grande victoire ». « La propulsion vélique entre dans la cour des grands. Que ce soit sur un navire neuf ou déjà en service, l’installation de tout type de technologie vélique devrait être favorisé via un facteur de récompense dans le calcul de l’intensité carbone. »
Á l’issue de la session plénière du 17 octobre au cours de laquelle le Parlement européen devrait figer une position sur les objectifs de baisse d’émissions de gaz à effet de serre assignés au secteur maritime, le député était un des signataires d’une tribune appelant à ce que la décarbonation du transport maritime, « responsable de plus de 13,5 % des émissions de gaz à effet de serre du transport en Europe », passe par des investissements massifs dans des technologies zéro émissions, comme la propulsion à la voile, les e-carburants à base d’hydrogène vert ou encore l’électrification à quai.
« Le modèle économique actuel repose uniquement sur l’utilisation de carburants fossiles très polluants et importés comme le fuel lourd ou encore le GNL considéré comme un carburant de transition de court terme. Ce n’est plus tenable d’un point de vue écologique, géopolitique et économique (...) Il en va de notre souveraineté », écrivaient les auteurs de la tribune.
Le début de la fin des carburants polluants
Sur un plan plus politique, l’accord force la porte de l’OMI, dont les exigences bien plus faibles se trouvent ainsi parasitées par les régulateurs européens. Il tombe à point nommé. Le « zéro émission » d'ici à 2050 sera (âprement) débattu lors de la 80e session du comité de protection du milieu marin (MEPC 80) du 3 au 5 juillet alors que l’organisation de réglementation ne vise actuellement qu'une réduction de moitié des émissions carbone à cet horizon.
Sans doute le rapporteur du parlement, Jörgen Warborn (PPE, SE), y faisait-il allusion dans sa déclaration : « ce règlement obligera les autres à agir. L'Europe fera sa part du travail, mais les citoyens et les entreprises européens ne devront pas payer la facture des efforts climatiques du monde entier. »
Delphine Gozillon, responsable du transport maritime durable chez Transport & Environment, est plus explicite. « Alors que les négociations se poursuivent au sein de l'Organisation maritime internationale (OMI), régulateur mondial du transport maritime, cet accord marque le début de la fin des carburants polluants pour le transport maritime et devrait inspirer d'autres pays dans le monde. »
Adeline Descamps
Des engagements à décliner dans les autres règlements
Il reste à ce que l’ensemble des engagements soient déclinés dans l’ensemble des règlements. Á Bruxelles, les sujets du maritime sont incarnés dans plusieurs textes législatifs. L’AFIR concerne les infrastructures portuaires (électrification à quai à partir de 2030, soutage d’énergies nouvelles). FuelUE sur le passage aux carburants alternatifs et bas carbone fixe une trajectoire de diminution des émissions de gaz à effet de serre pour les flottes de navires. Renewable Energy Directive (Red II) vient réviser la directive sur les énergies renouvelables.
Un petit dernier s'est inséré depuis le début de la guerre en Ukraine : REPowerEU visant à rendre l'Europe indépendante des combustibles fossiles russes bien avant 2030 et partant, à diversifier les sources d’approvisionnement vers des énergies propres, à commencer par l’hydrogène.
Le SCEQE système communautaire d'échange de quotas d'émission (ou Emissions Trading System, ETS) embarque pour sa part le secteur dans le marché carbone. Un principe pour lequel le Parlement avait voté dès septembre 2020.
L’essentiel
Les navires d’une jauge brute supérieure à 5000 doivent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de :
- 2025 : 2 %
- 2030 : 6 %
- 2035 : 14,5 %
- 2040 : 31 %
- 2045 : 62 %
- 2050 : 80 %