Des prix d’affrètement astronomiques, des surcharges en série, des refus d’escales dans certains ports… Depuis plusieurs mois maintenant, la crise sanitaire qui a totalement désorganisé les chaînes mondiales d’approvisionnement affecte le transport maritime de colis lourds. La flotte étant restreinte, elle s’est très rapidement concentrée en Asie, portée par le développement des grands champs éoliens offshore et les projets de l’industrie pétrolière et gazière.
Désormais, pour avoir la certitude d’affréter un navire et qu’il respecte son ETA, il faut y mettre le prix. « Pour un seul voyage d’Asie vers l’Europe, il faut débourser 4 M$ et pour susciter l’intérêt des armateurs, nous devons fournir des garanties financières importantes car les navires restent en Asie et effectuent du cabotage. Ils sont mobilisés sur la pose d’éoliennes en mer. Il faut faire preuve de patience. Nous subissons également la congestion portuaire dans les ports chinois. Parallèlement, les surestaries ont plus que doublé en deux ans pour atteindre des tarifs journaliers hors normes: entre 27 000 et 60 000 $ la journée de planche. Les surcharges fuel (BAF) atteignent également des niveaux exceptionnels, au-delà de 600 $/t », déplore François Genevey, directeur du projet Iter chez Daher.
Contribution de la Russie
L’invasion de l’Ukraine par la Russie est venue se greffer à la confusion sur les marchés. Si Iter échappe à la liste des sanctions des pays du bloc occidental contre la Russie, le grand chantier de construction d’un réacteur expérimental de fusion nucléaire attend actuellement une bobine de champ poloïdal qui a été fabriquée à Saint-Pétersbourg.
« Trouver un navire qui accepte de faire escale en Russie devient complexe compte tenu du contexte géopolitique », admet François Genevey qui a essuyé les refus de deux armateurs, United Heavy Lift et BigLift Shipping.
Le programme expérimental, qui doit démontrer que la fusion nucléaire peut être utilisée comme source d’énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, pour produire de l’électricité, repose sur les contributions en nature de 35 pays associés, la collaboration internationale étant l’essence même de ce puzzle industriel.
Dans ce mécano, la Russie abonde à hauteur de 9,1 % du projet.
250 colis hautement exceptionnels
Le plus gros du contrat de transport a été réalisé puisque les trois quarts des composants du programme ont été acheminés avec, ces deux dernières années, l’arrivée sur le sol provençal, à Saint-Paul-lez-Durance dans les Bouches-du-Rhône, de pièces à la fois uniques et gigantesques qui composent le cœur de la machine de fusion.
En 2020, les 32 bâtiments support du tokamak ont été achevés et une étape décisive a été franchie avec le début des opérations d’assemblage de la machine avec son secteur de chambre à vide.
Le 1er avril, un secteur de chambre à vide de 600 t est arrivé sur site au terme d’un voyage au long cours depuis la Corée du Sud.
250 colis hautement exceptionnels constituent la structure du réacteur nucléaire.
Retards et surcoûts
« Dans ce contexte chaotique, notre mission consiste à être au plus près des agences domestiques et de l’organisation internationale Iter, de les informer sur les difficultés rencontrées, des retards, des surcoûts et d’être force de proposition pour réduire les risques associés », complète le commissionnaire de transport et logisticien du groupe Daher.
« Jusqu’en 2024, il nous reste encore cinq pièces similaires à la chambre à vide à acheminer depuis l’Europe et la Corée et 6 TF Coil, depuis l’Italie et le Japon. »
Malgré le flot continu d’expéditions organisées sur les quatorze années du contrat, François Genevey et ses équipes, composées d’une soixantaine de personnes, admettent qu’il n’y a pas de routine sur le segment du colis lourd à haute valeur ajoutée. « À chaque fois, c’est une première fois. »