Le 6 août, à 22h40, le Cross Gris-Nez relève dans le rail montant au nord de Calais un cargo circulant à contresens et ne répondant pas à la VHF, explique la Préfecture maritime de Manche-mer du Nord. L’AIS permet d’identifier le Musketier (mousquetaire en allemand), immatriculé à Gibraltar, parti de Saint-Pétersbourg en direction de Bermeo en Espagne, de 88 m de long, tirant d’eau de 5 m, chargé d’acier. Malgré plusieurs tentatives d’appel du Cross, le cargo reste silencieux.
Compte tenu du danger avéré dans cette zone de trafic très dense du Pas-de-Calais, le Cross, en relation avec le Centre opérationnel de la marine (COM), engage l’hélicoptère Dauphin de la Marine nationale. Arrivé sur zone à 23h34 et après plusieurs appels et éclairages par l’hélicoptère sans réaction de l’équipage du cargo, le COM décide de treuiller le plongeur de l’hélicoptère à bord du cargo. Après son arrivée à bord, l’équipage finit par se manifester, note la Prémar. Le plongeur rejoint l’hélicoptère pendant que le capitaine du cargo entame une manœuvre pour rejoindre le rail descendant, qu’il rallie à 0h11. Le Dauphin quitte la zone.
Pour éviter tous nouveaux défauts de navigation de ce cargo, le COM décide d’engager l’Abeille-Languedoc. Une surveillance est maintenue jusqu’à la sortie de ce cargo du DST des Casquets, par le patrouilleur Pluvier.
Les autorités britanniques et françaises ont chacune dressé un procès-verbal pour défaut de veille et de respect des règles de navigation.
Selon la prémar, ce type d’incident, très rare, a déjà été rencontré dans le détroit du Pas-de-Calais. C’est grâce à la « vigilance et à la rapidité de réaction du Cross Gris-Nez et des autres acteurs de la chaîne de l’Action de l’État en mer qu’il n’a pas tourné à la catastrophe ». Selon la banque de données Equasis, le gestionnaire technique et commercial du navire est Briese Shipping BV, Pays-Bas.
La CGT demande des mesures correctives
Ce petit cargo est connu des autorités françaises. En février 2011, il s’était échoué en toute discrétion et en plein jour sur le littoral d’Ambleteuse, presque au pied de Gris-Nez. C’est un témoin oculaire qui a alerté le Cross. Le cargo se déséchoue tout seul. Le BEAmer français note que le premier facteur déterminant de l’échouement est l’assoupissement du commandant « d’au moins 1h20 ». Mais cet assoupissement « peut trouver son origine dans les rythmes de travail des officiers de pont assurant le quart par bordée, avec une organisation particulièrement fatigante », écrit le BEA. Celui-ci rappelle à l’OMI et à l’Emsa « la nécessité de sensibiliser les armateurs concernés aux risques présentés par les caboteurs naviguant dans le range européen avec des effectifs manifestement sous-dimensionnés ». Depuis, rien de visible n’a été entrepris.
Le 17 août 2015, la Fédération des officiers de la marine marchande et la Fédération nationale des syndicats maritimes CGT ont réagi, estimant qu’il n’y avait personne à la passerelle du Musketier. Disposant d’informations spécifiques, elles estiment que « la fatigue d’un équipage insuffisamment nombreux, peu qualifié et inconséquent est la cause première de cet incident » qui aurait pu très mal tourner.
« Nous demandons la tenue d’urgence d’une telle réunion qui, sur le modèle de celle qui avait abouti au Mémorandum de Paris sur la sécurité des navires en 1982, pourrait enfin réguler les conditions de navigation dans l’espace maritime européen. Il faut immédiatement:
– imposer la présence de trois officiers en capacité d’assurer le quart pour toutes les navigations commerciales dépassant 12 heures;
– imposer l’assistance d’un veilleur supplémentaire pendant toutes les périodes d’obscurité et dans les passages difficiles comme les dispositifs de séparation de trafic;
– mettre en place un contrôle des conditions de travail, de qualification et d’aptitude des équipages à bord de tous les navires transitant dans les eaux sous juridiction des États membres de l’Union comme cela avait été préconisé lors des débats du Grenelle de la mer. »
Ces fédérations, qui ne seront probablement pas entendues tant qu’il ne se sera pas produit un accident mortel susceptible de passer aux JT de 20h, n’ont pas été jusqu’au bout de leur logique: il faut également demander que la France, comme les autres États, prenne la sécurité maritime au sérieux et enquête systématiquement sur les circonstances des quasi-accidents, par nature plus nombreux, ainsi que cela se pratique depuis longtemps dans l’aérien.
Début juin, l’Association internationale des gestionnaires de navires a annoncé qu’elle souhaitait mener une enquête sur le rôle minimal d’équipage par types de navires et zones de navigation afin de vérifier si ces minima sont suffisants (JMM du 19/6, p.6).