ABB fournira son système Octopus qui analyse les mouvements du navire. Lui sera couplé le module SPOS Sea keeping de routage météo (Ship Performance Optimisation System). Ainsi l’officier de quart disposera-t-il d’un maximum d’éléments actuels et futurs pour choisir la route la plus sûre et la plus économique. Une phrase dans le communiqué d’ABB peut être comprise de différentes façons: « Les routes peuvent être optimisées automatiquement pour éviter les conditions difficiles afin d’assurer la sécurité de la marchandise et l’arrivée selon l’horaire au port de destination. » Il va sans dire mais encore mieux en l’écrivant que Mærsk Line précisera dans ses instructions permanentes au bord qu’il reste seul juge de la décision à prendre, sauf à imaginer que la compagnie danoise souhaite s’acheminer vers une sorte de navire automatique.
Ce système risque cependant d’alourdir encore un peu plus la charge de travail du commandant. En effet, en cas de décision du bord non conforme à la préconisation du logiciel d’aide à la décision, il est hautement probable que le commandant aura à la justifier, et ce qu’autant plus rapidement que les navires sont suivis en temps réel par la terre qui disposera, sans doute, des mêmes informations. Des propos privés laissent comprendre que le contrôle permanent par les services de terre de l’exploitation du navire, rendu possible grâce aux nouvelles technologies de communication, commence à lasser sérieusement, au moins une partie des officiers.
Autre point de vue, le commandant suit scrupuleusement les préconisations et « plante » son navire. Il ne devrait plus être possible à l’armateur de faire jouer la faute nautique qui l’exonère de toute responsabilité, le commandant n’ayant fait que suivre les recommandations d’un système expert installé par l’exploitant du navire.
Rejouer la navigation du Svendborg-Mærsk
Les États côtiers ne peuvent que se réjouir de la décision de Mærsk Line de faciliter la vie à ses officiers de pont. Il serait instructif de rejouer, grâce au système ABB/Meteogroup, la « scène » du Svendborg-Mærsk dont la pontée a commencé à se désarrimer à la sortie du dispositif de séparation de trafic d’Ouessant le 14 février 2014. Mer force 7, vent établi à 80 nœuds, rafales à 92 nœuds: 517 conteneurs tombent à l’eau sur une très large zone (que la Préfecture maritime de l’Atlantique jugea utile de ne pas préciser), dont 85 % de vides. Deux cent cinquante conteneurs abîmés sur le pont. Le rapport du BEAmer danois a noté que « la capacité de résistance du navire aux conditions météo rencontrées, sans mettre en péril la marchandise, a été réduite par l’optimisation de la capacité de transport ». Celle-ci avait été boostée de 3 000 EVP pour atteindre les 8 160 EVP par ajout de deux à trois couches de conteneurs. Octopus l’aurait-il détecté et averti le commandant? Le navire était classé par l’ABS. Le BEAmer a également évoqué une « résonance paramétrique ». L’Octopus aurait-il alerté l’officier de quart? Probablement pas car le BEAmer danois a noté que les prévisions météo fournies par le SPOS de Meteogroup installé à bord ne laissaient pas imaginer la situation réellement rencontrée. Elles restaient maniables pour un tel navire, a estimé le BEAmer. Mærsk n’a jamais fait connaître les enseignements qui avaient été tirés de ce désarrimage massif, surtout avec des conteneurs vides.
Même simulation à faire pour le Mærsk-Stepnica qui a informé le Cross dans la nuit du 3 au 4 janvier 2014 qu’il venait de perdre 33 conteneurs en remontant vers Felixstowe, dans le 220 de la pointe de Penmarc’h.
Avec quel degré de fiabilité le système Octopus/Meteagroup permet-il d’alerter sur le risque de survenance d’un roulis paramétrique lorsque certaines formes de vagues arrivent de trois quarts arrière, ou de prévoir l’importance de la vibration du pont principal lorsque les grosses vagues viennent de face; vibration qui semble jouer un rôle néfaste sur la tenue des twist locks automatiques?
Le rapport annuel sur les engagements sociétaux de A.P. Møller-Mærsk pourrait être judicieusement complété par un chapitre sur les efforts réels réalisés en matière de renforcement de la sécurité de l’exploitation du flotteur, en plus de ce qui est rendu obligatoire par les réglementations de l’OMI. La confirmation que Mærsk Line a enfin équipé, à l’avant et à l’arrière, ses grands porte-conteneurs de Smit brackets permettant une prise rapide d’un câble de remorquage ferait tellement plaisir au commandant Claden et à tous les sauveteurs du monde.