Depuis la mi-juin, les cours du brut aussi bien à Londres qu’à New York ont perdu entre 25 % et 30 % de leur valeur, indique l’AFP. Fin octobre, à New York, le cours du Brent est descendu en dessous de 80 $ tandis qu’à Londres, il s’est fixé aux alentours de 85 $. « Il y a quatre mois, le Brent côtoyait les 115 $, un record de prix consécutif au début de l’offensive de Daech en Irak et à des risques géopolitiques élevés ailleurs dans le monde », notamment au Moyen-Orient ou en Ukraine, rappelle le courtier maritime Gibson Research dans une lettre hebdomadaire publiée mi-octobre. Selon l’Institut français du pétrole-énergies nouvelles (Ifpen), « le recul s’explique par plusieurs raisons ». La première concerne des pronostics « de croissance économique modérée en 2014. Une situation confirmée par les révisions baissières du Fond monétaire international en juillet par rapport à avril: 3,4 % de croissance mondiale, soit une estimation en repli de 0,3 % ». La deuxième raison est « la forte hausse du dollar, qui a en général pour effet de pousser à la baisse le prix du pétrole exprimé en dollar ». Sachant que « la chute de l’euro atténue en partie le recul du pétrole en dollar, mais pas entièrement ». Troisième raison: « L’absence de réel impact supplémentaire de l’instabilité géopolitique au niveau mondial sur l’offre des 12 pays membres de l’Opep. » Autrement dit, les troubles entre l’Ukraine et la Russie, entre la Chine et le Vietnam, entre Israël et Gaza, en Libye, en Irak, au Nigeria, au Yémen, et la liste n’est pas exhaustive, n’ont pas poussé à la hausse le cours du Brent alors que tel aurait pu être le cas compte tenu des risques éventuels concernant les approvisionnements. La quatrième raison se situe « au niveau du marché pétrolier avec une production des pays non membres de l’Opep supérieure à l’accroissement de la demande mondiale, ce qui a pour effet de modérer les prix ».
L’Ifpen précise que « l’offre des pays non membres de l’Opep est tirée par la production américaine ». Celle-ci augmente depuis 2012 à un rythme proche de celui de la demande mondiale (+ 1 Mb/j) et a progressé de près de 5 Mb/j entre 2008 et 2014. La production américaine d’hydrocarbures liquides a dépassé celle de l’Arabie Saoudite en avril 2014, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). En ce qui concerne la demande pétrolière mondiale, l’AIE a évalué dans son rapport de septembre une hausse à + 0,9 Mb/j en 2014 et + 1,2 Mb/j en 2015, niveaux proches de la moyenne de ces cinq dernières années (1,1 Mb/j). « Le déclin de 0,3 Mb/j par an en moyenne depuis 2010 de la consommation des pays occidentaux permet d’atténuer la progression de celle des pays émergents, + 1,3 Mb/j en moyenne depuis 2010 dont+ 0,3 Mb/j pour la Chine », souligne l’Ifpen.
Une surabondance de l’offre
Des interrogations se font jour sur les conséquences de cette baisse des cours du Brent. Pour Gibson Research, « à court terme, les armateurs vont bénéficier de frais de soute réduits, ce qui pourrait relever légèrement les revenus des compagnies ». Le courtier estime que dans le marché actuel, « il existe une offre d’approvisionnement en pétrole brut qui doit aller quelque part. Cela constitue un point positif pour les propriétaires de navires » dédiés au transport maritime de cette matière première. Il existe aussi la solution du stockage flottant, continue Gibson. À plus long terme, les conséquences d’une faiblesse des cours du Brent sont plus difficiles à jauger. Selon les analyses de Goldman Sachs et de la Commerzbank, rapportées par l’AFP, le repli pourrait se poursuivre jusqu’à la fin 2014 et même durant le premier voire le deuxième trimestre 2015. Les cours du Brent pourraient descendre jusqu’à 75 $ ou 70 $, avancent les experts de ces deux sociétés. Il reste une inconnue: la position de l’Opep et de ses 12 adhérents qui doivent se réunir le 27 novembre à Vienne pour discuter de leur objectif commun de production, fixé à 30 Mb/j depuis fin 2011. Le 29 octobre, le secrétaire général de l’Opep a déclaré que la production effective du cartel en 2015 serait similaire à celle de 2014. « Cette annonce suggère qu’il n’y a aura pas de décision sur une réduction de la production de l’Opep lors de la réunion de fin novembre », ont confié les experts de la Commerzbank à l’AFP. La surabondance de l’offre devrait alors perdurer en 2015, rendant toute reprise des prix peu probable dans l’immédiat. Sachant que selon Platts, l’un des leaders dans la fourniture d’informations pour le secteur de l’énergie, il faudrait que les pays de l’Opep diminuent leur production d’au moins 1 Mb/j pour que cela ait vraiment un impact sur l’offre. Pour les mois à venir, en plus de « la réaction de l’Opep dans l’hypothèse d’une baisse trop marquée des prix », l’Ifpen note que « de nombreux facteurs peuvent influencer le marché ». Il s’agit du « niveau effectif de la croissance économique mondiale, estimée actuellement pour 2015 à 4 %, soit 0,6 % au-dessus de celle de 2014 ». Il faudra être attentif à « la poursuite ou non de la hausse du taux du dollar et de la confirmation probable du potentiel de développement de la production américaine d’huiles de roche mère ». Sur ce point, les positions des analystes apparaissent diverses, relève le courtier Gibson. La progression de la production américaine est liée à l’essor récent du pétrole non conventionnel. Elle a été possible grâce aux prix élevés des cours du Brent qui ont permis une exploitation rentable de ces gisements. Aussi, certains analystes avancent que si les cours continuent à diminuer, l’exploitation des bassins de schiste pourrait ne plus être rentable et la croissance de la production américaine être stoppée. À l’inverse, d’autres experts expliquent que « certains gisements peuvent continuer à être exploités même avec un cours entre 65 $ et 70 $ car les investissements les plus lourds ont été déjà effectués ». Enfin, concernant les événements à surveiller, selon l’Ifpen, il ne faut pas oublier « l’aboutissement ou non des négociations avec l’Iran » avec une date butoir repoussée au 24 novembre et un enjeu de + 0,9 Mb/j. Il y aussi les incertitudes sur les exportations libyennes (+ 1 Mb/j) et sur la situation en Irak ou encore l’impact des sanctions à l’égard de la Russie.
Une arme de guerre
Des journaux et des sites d’informations américains ont mis en avant que le repli des cours du Brent serait aussi le résultat d’un « accord secret entre l’administration Obama et l’Arabie Saoudite ». Sachant que « le prix du pétrole est une arme de premier plan dans la guerre que se livrent au Moyen-Orient les Sunnites, les Chiites et leurs alliés ». L’Arabie Saoudite se situe désormais aux côtés des États-Unis dans la lutte contre Daech en Irak et en Syrie. Avec l’arme du prix du pétrole, l’Arabie Saoudite, avec l’accord des États-Unis, pourrait contraindre l’Iran à limiter ses ambitions en matière d’armement militaire nucléaire. Elle pourrait obtenir de la Russie l’arrêt du soutien accordée par ce pays à la Syrie de Bachar Al-Assad. Plusieurs analystes ont estimé que l’Iran a besoin d’un cours du Brent aux alentours de 140 $ pour assurer son développement économique. Pour la Russie, le cours est évalué aux alentours de 100 $.