Projet 2M: le casse-tête chinois

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L’interdiction du P3 par le Mofcom représentait un message très fort: le risque lié au droit de la concurrence chinois doit être évalué le plus en amont possible par les parties à un projet international. Message qui a apparemment été entendu par les parties concernées, qui ont reconfiguré leur projet dans le but d’éviter les écueils soulevés par le Mofcom.

Ce dernier avait notamment mis en avant la part de marché élevée (46,7 %) de la nouvelle entité sur les routes Asie-Europe, préoccupation qui devrait être atténuée par la réduction du nombre de parties.

Le Mofcom avait également souligné que les modalités de coopération allaient au-delà de ce qui est habituel dans le cadre des alliances traditionnelles, essentiellement basées sur des Vessel Sharing Agreements (VSA). Cela a d’ailleurs déterminé le régime applicable à l’opération envisagée qui, dans la forme, ne constituait pas une concentration soumise à une obligation de notification, mais qui semble avoir été assimilée à un joint-venture. Le nouveau projet, présenté comme un simple VSA, devrait en principe éviter cet écueil et il semble que les parties n’aient pas l’intention de le notifier auprès du Mofcom, mais uniquement auprès du ministère du Transport.

Quelle analyse fera la Chine?

Mais ces changements suffiront-ils à satisfaire les autorités chinoises? La presse annonce que la nouvelle alliance devrait rester en dessous de la barre de 30 % de part de marché. Cependant, la décision du Mofcom mentionnait des parts de 20,6 % pour Mærsk et de 15,2 % pour MSC, ce qui placerait la nouvelle entité à près de 36 %, soit plus du triple du troisième opérateur sur le marché, CMA CGM, avec 10,9 %. L’augmentation de l’indice de concentration du marché, un des éléments retenus par le Mofcom pour interdire l’opération, risque donc d’être toujours important. Selon la décision chinoise, l’indice de concentration IHH (indice Herfindahl Hirschman) avant le P3 était de 890. Il est passé à 2 240 après. Soit une différence de 1 350 qu’aucune agence de la concurrence ne pouvait accepter. On peut également noter que la décision chinoise assimile capacité de transport et part de marché.

En outre, il est possible de se demander dans quelle mesure la décision du Mofcom ne repose pas, outre l’analyse strictement technique, sur des considérations de politique commerciale nationale: l’interdiction de l’alliance P3 devrait en effet bénéficier à l’alliance concurrente CKYHE, dont fait partie le principal armateur chinois, Cosco. Or ce type de considération sera également présent dans l’analyse du projet 2M, y compris si celui-ci n’est effectué que par le ministère du Transport.

Quant aux autorités américaines et chinoises, il serait illogique que le projet 2M soulève plus de difficultés que le P3. Tout au plus, les autorités américaines pourraient alléger les engagements particulièrement lourds qui avaient été requis des parties.

Qui ne dit mot ne consent pas

Toutefois, il est important de rappeler que la Commission européenne n’a pas, à proprement parler, autorisé le projet P3 qui, en droit européen, ne constituait pas une concentration soumise à autorisation préalable. Elle s’est limitée à indiquer qu’elle n’avait pas l’intention, à ce stade, d’ouvrir une investigation, mais qu’elle resterait attentive à tout comportement anticoncurrentiel des parties. Ce risque subsiste, particulièrement en ce qui concerne des pratiques « annexes », telles que des échanges d’informations confidentielles entre les parties, voire avec des tiers.

Mais, au-delà du traitement que recevra le projet 2M, ces alliances mettent en évidence les limites du découpage national en matière de concurrence, qui aboutit à des incohérences, non seulement sur le régime applicable (concentration ou simple accord), mais également sur le fond des dossiers, et même sur le calendrier de l’opération, l’interdiction chinoise ayant été adoptée après un processus de neuf mois. De telles incohérences sont difficilement acceptables au regard de l’impact sur la configuration du marché mondial, non seulement pour les armateurs, mais pour l’ensemble des opérateurs et notamment des chargeurs et des ports. Les autorités de concurrence devraient veiller à ce que des considérations de politique domestique n’aboutissent pas à faire disparaître toute sécurité juridique ce qui est, in fine, pernicieux pour l’ensemble du secteur.

Bataille de chiffres

Selon une courte analyse du consultant britannique Drewry publiée le 13 juillet, le 2M détiendrait 32 % de l’offre de transport entre l’Extrême-Orient et l’Europe du Nord, et 42 % entre l’Extrême-Orient et la Méditerranée. Ce qui ne veut pas dire que tous les navires sont pleins, et que donc la part de marché est du même ordre, mais seulement qu’il convient d’y regarder de plus près. C’est précisément ce que demande le vice-président de l’Association des chargeurs chinois: bien faire la distinction entre une offre de transport – pas nécessairement bien accueillie – et une part de marché. Les chargeurs chinois étaient opposés au P3. Toujours selon Drewry, les plus probables prochains partenaires de CMA CGM seraient United Arab Shipping Co et China Shipping Container Line. Ils ont dernièrement commandé des 18 000 EVP et ont déjà un peu coopéré avec la compagnie française. Le consultant britannique fait également une distinction entre la qualité de service danoise et celle, plus italienne que suisse, de MSC. Le rapprochement des deux devrait être profitable à la seconde, de ce point de vue. Par ailleurs, en pleine haute saison, le taux de fret conteneurisé entre Shanghaï et l’Europe du Nord (principaux ports) a baissé de 8 % entre le 4 et le 11 juillet pour atteindre les 1 302$/EVP, selon Shanghai Containerized Freight Index. Mauvais présage pour le deuxième semestre.

M.N.

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