Moins d’un mois après le refus des autorités chinoises de voir se mettre en place le P3, Mærsk et MSC annoncent la constitution du 2M. D’une durée de dix ans – comme le P3 qui prévoyait la possibilité d’y sortir moyennant un préavis de deux ans, après la 8e année –, le 2M concernera les marchés Extrême-Orient (E-O)/Nord Europe (6 dessertes), E-O/Med (4), E-O/côte Ouest des États-Unis (4), E-O/côte Est (2), États-Unis/Nord Europe (3) et États-Unis/Med (2). Environ 185 navires seront affectés à ces 21 dessertes; 110 seront fournis par Mærsk, représentant une capacité d’environ 1,2 MEVP. MSC mettra donc en œuvre 75 unités d’une capacité totale de 0,9 MEVP. Ces navires seront gérés par leur exploitant respectif. Il n’y aura aucune opération maritime faite en commun: les plans de chargement, le planning des voyages et les opérations portuaires seront de la responsabilité de chaque compagnie. Ce désir d’indépendance se retrouve même dans leur communiqué. Celui de Mærsk souligne que le 2M diffère du projet P3 de deux « importantes » façons: « en tout premier lieu », la part de marché cumulée sera « beaucoup » plus faible. En deuxième lieu, le 2M est un « pur » VSA. « Il n’y aura pas entité commune et indépendante disposant de pouvoir d’exécution. » Le communiqué de MSC est plus retenu: « Contrairement au P3, ce VSA représentera une part de marché plus petite. » Le coup chinois aura donc eu des vertus pédagogiques.
Bien évidemment, tout le monde se félicite: Diego Aponte, vice président de MSC comme Søren Skou, p.-d.g. de Mærsk Line sans oublier Nils S. Andersen, p.-d.g. du groupe danois. Meilleurs services à la clientèle, moins de CO2, économie d’échelle, tout y passe. Mærsk Line précise toutefois que la mise en œuvre du 2M remplacera tous les VSA dont elle est partenaire ainsi que les achats d’espaces. Voila qui pose problème.
Quid de CMA CGM?
En effet, Mærsk et CMA CGM mettent des navires en commun dans le service North and Central China-US West Coast ainsi que dans le Med Club Express 3 qui dessert l’Asie. CMA CGM achète de l’espace sur le service US West Coast Japan Korea exploité principalement avec des navires danois.
Le communiqué de MSC n’aborde pas le sujet. Mais selon le Lloyd’s List du 14 juillet, Diego Aponte lui a confirmé que MSC quittera tous les VSA dont elle est membre. Est concerné le service South China-US West Coast dans lequel chaque partenaire fournit trois navires. CMA CGM achète des slots sur les navires MSC des services French Asia Line 6 et 7.
Dans la perspective du P3, il n’est pas impensable que CMA CGM ait donné notice aux VSA auxquels elle était partie notamment entre l’Extrême-Orient et l’Europe. Cela pourrait se révéler contre-productif car il n’est pas acquis que ses possibles ex-partenaires acceptent de la « reprendre ». Elle risque donc se retrouver bien seule. Interrogée le 10 juillet au sujet du devenir de ses services joints, CMA CGM n’a pas répondu avant notre bouclage du 16 juillet.
Moins de 30 % de part de marché
La part de marché du 2M entre l’Extrême-Orient et l’Europe devrait être inférieure à 30 %, a confié Søren Skou à l’agence Reuters. Celle du P3 était, selon l’autorité chinoise, de 46,7 %. « Le 2M sera uniquement un VSA alors que le projet P3 prévoyait la mise en place d’une structure opérationnelle. Cela a constitué la principale raison qui a fait que le régulateur chinois a considéré le P3 comme une fusion », a poursuivi le p.-d.g. de Mærsk Line.
Les communiqués des 2M se terminent en expliquant que leur accord devrait se mettre en place au début de l’année prochaine sous réserve de l’accord des autorités de la concurrence. Sans autre précision. Quelques jours après le refus chinois relatif au P3, la FMC a rappelé qu’elle lui maintenait son autorisation. Il n’y a donc a priori pas de raison pour qu’il en soit autrement du 2M. Tout au plus pourrait-on espérer que l’exigence d’un contrôle serré de l’exploitation soit allégée. Même raisonnement pour la Commission européenne qui a tout accepté sans réserve. Reste à estimer la réaction du ministère chinois du Commerce.
Ironie de l’histoire, lors de la tenue, à Marseille, de la Commission maritime de l’AUTF, le 24 juin, le représentant de CMA CGM a estimé, parlant de l’opposition chinoise au P3, « qu’on ne pourra pas en rester là après avoir réalisé tant de travail ».
Les chargeurs européens assez neutres
Le conseil des chargeurs européens (ESC) a réagi avec modération à l’annonce de la création du 2M, soulignant que cet accord est bien moins préoccupant que le P3. Moins intégré et contrôlant des parts de marché plus faibles, le 2M transporte toutefois environ 35 % de la demande entre l’Extrême-Orient et l’Europe (sans distinction entre le Nord et le Sud), « ce qui pose quelques interrogations ». Aussi l’ESC demande-t-il la mise en place de garde-fou de la part des autorités de la concurrence. La surveillance détaillée exigée par la FMC pour autoriser le P3 semble bien convenir aux chargeurs européens. Ils souhaitent en plus la mise en place d’un système centralisé capable de les prévenir suffisamment à l’avance de toute modification dans les délais de transport et les ports d’escale.
Ils regrettent également la faible implication de la direction européenne chargée de la concurrence qui a renouvelé le règlement sur les consortia (et ne s’est pas opposée au P3).
Si la FMC devient un modèle, allons jusqu’au bout de la logique et exigeons le dépôt de tous les tarifs accordés aux chargeurs afin que la Commission européenne ait une idée précise de ce que paient les importateurs et les exportateurs européens.
Mærsk + MSC = moins de 30 % de l’offre de transport
Selon les estimations d’Alphaliner, au 10 juillet, la flotte conteneurisée de Mærsk représente 14,9 % de la capacité mondiale de transport, soit 2,73 MEVP. Celle de MSC, 13,5 % avec 2,48 MEVP. CMA CGM est loin derrière avec 8,6 % et 1,58 MEVP. Evergreen occupe la 4e position avec 4,8 % et 0,88 MEVP. Cosco Container Line est dans le sillage avec 4,3 % et 0,79 MEVP.