CMA CGM avait fait les choses en grand: baptême officiel à Zeebrugge le 18 décembre, avec pour marraine Madame Naila Saadé accompagnée de son mari, et simple visite technique au Havre, le lendemain, pour la presse locale.
Comme de coutume en sortie d’Europe vers l’Extrême-Orient, le navire avait atteint ses marques en poids, alors que dans le sens contraire, il devrait pouvoir charger près de 15 000 EVP. L’Asie exportant des marchandises plus “manufacturées”, donc plus légères que celles chargées en Europe. Ce déséquilibre, caractéristique du marché Europe/Extrême-Orient, tend à diminuer, constate Nicolas Sartini, même si l’exportation des déchets européens de papier ou de métal se porte toujours bien. Les vins et spiritueux se développent également. De plus, les Chinois, ou tout du moins une certaine catégorie d’entre eux, souhaitent consommer des produits alimentaires européens, plus sûrs d’un point de vue sanitaire que leurs équivalents nationaux. La demande de reefers est donc en croissance. Nicolas Sartini n’exclut cependant pas que la baisse des importations venant d’Asie contribue au rééquilibrage relatif des flux.
Toujours est-il que la première escale du Marco-Polo au Havre était “belle”: entre 1 100 et 1 200 mouvements dont environ 1 000 export, car étant le dernier touché en Europe, le port normand est principalement d’exportation.
Nouveauté havraise qui devrait rassurer les autorités des États côtiers du Pas-de-Calais, les navires y soutent de plus en plus. Ainsi, le Marco-Polo a-t-il pris au Havre, 4 000 t de fuel de 500 cS, autant qu’à Rotterdam. Le retour du soutage au Havre depuis environ un an est la conséquence directe de la modernisation de la raffinerie de Normandie, explique Hervé Cornède, directeur commercial et de la promotion au Grand port maritime du Havre. En investissant environ un milliard d’euros, Total a pu baisser de 5 à 6 $/t son prix de vente. Mærsk, NYK et UASC, entre autres, ont vite fait leur calcul, souligne Hervé Cornède, d’autant que le soutage est assuré par deux petits ravitailleurs qui permettent une plus grande rapidité de l’opération. Le Marco-Polo est le premier d’une série de trois 16 020 EVP vides (ou 12 114 EVP à 14 t répartis de façon homogène) qui sont issus des huit 13 800 EVP commandés par la compagnie. Une tranche de 31 m a été ajoutée et la largeur a été augmentée de 3 m. Pour faciliter l’exploitation, les 11 000 EVP (vides) actuellement en flotte sur l’Extrême-Orient vont être transférés sur d’autres dessertes afin de n’avoir sur le marché Europe/Extrême-Orient que des 13 800 EVP et autres 16 020 EVP, répond Nicolas Sartini.
Le deuxième 16 020 EVP, le Alexander von Humboldt, sera livré en mars prochain et le troisième en avril. Curieusement, ce dernier ne portera plus le nom d’un célèbre explorateur mais celui d’un non moins célèbre écrivain de science-fiction, issu d’une famille nantaise de navigateurs et d’armateur, Jules Verne. Susceptible d’être immatriculé sous registre français, le probablement CMA CGM Jules-Verne pourrait avoir pour marraine Madame Ayrault, la bénédiction serait prévue en juin. Sensible aux modifications environnementales, la CMA CGM sait s’adapter: en octobre 2006, le CMA CGM Médéa de 9 415 EVP a eu pour marraine Corinne Perben, épouse du ministre des Transports de l’époque. En octobre 1996, la Commission de privatisation de la CGM rendait un avis favorable au projet de reprise piloté par la CMA.
VLCC, ULCC, mêmes interrogations
Vers la fin des années soixante, les officiers d’Esso Tankers, appelés à embarquer sur les plus grands VLCC en cours de construction, font part de leurs interrogations, sur la bonne maîtrise de ces “géants”. Cela conduit Esso à construire Port-Revel, premier centre européen de simulation de conduite sur maquettes navigantes. Cinquante ans plus tard, et malgré le très important développement de la simulation numérique, CMA CGM a estimé nécessaire d’envoyer ses officiers, deux pilotes du canal de Suez et quelques pilotes portuaires, se familiariser avec ses très grands porte-conteneurs à passerelle avancée: 396 m hors tout, 53,60 m de large et une surface latérale de l’ordre de 13 500 m2 peuvent poser des difficultés les jours de vent un peu soutenu; les commandants de paquebots qui font escale à Marseille peuvent en témoigner. Après appel d’offres auprès des trois centres européens possibles, CMA CGM a choisi celui de Ilawa en Pologne qui utilise une partie du lac de Jeziorak. Une maquette de 16 m a été construite pour la circonstance. « L’institut de formation de Ilawa nous offrait le plus de souplesse pour former notre personnel », explique Ludovic Gérard, vice président de CMA Ships. Ils se sont également entraînés sur le simulateur numérique dont dispose la compagnie au sein du site marseillais de l’ENSM.
En l’état actuel, le port de Southampton, entre autres, interdit la mise à quai du CMA CGM Marco-Polo lorsque le vent atteint les 25 nœuds. Cette limite est identique à celle de Marseille pour les paquebots tant que la passe Nord ne sera pas élargie. Le problème est qu’il n’est guère envisageable de décharger le porte-conteneurs à l’aide de tenders. Ludovic Gérard espère bien qu’avec le temps, et surtout plus d’expérience, les autorités portuaires accepteront une limite de vent plus élevée. Cela laisse imaginer les problèmes que vont rencontrer, en 2013, les premiers Triple-E de Mærsk Line: 400 m de long, 59 m de large et 73 m de tirant d’air.
En faire plus qu’exigé
Il faut porter au crédit de la compagnie le fait qu’elle tente de prévoir les situations extrêmes comme la perte durable de propulsion. Tous les navires en propriété de plus de 8 000 EVP sont équipés, à l’avant comme à l’arrière, de prises de remorque rapides, des Smit bracket à 200 t. De conception mécanique très simple, ces dispositifs permettent de fixer rapidement une remorque. Les 16 020 EVP n’échappent pas à la règle qui, dans l’état actuel des normes de l’OMI, ne s’impose qu’aux pétroliers de 20 000 tpl et plus.
Les constatations préoccupantes faites durant l’étude Lashing@sea sur les mouvements de plateforme que peuvent connaître les grands porte-conteneurs et, par voie de conséquence, les conteneurs chargés en pontée ont amené CMA CGM à exiger la présence de passerelles de saisissage à double hauteur. Un logiciel de chargement intègre les efforts que risquent de subir le matériel de saisissage et les conteneurs eux-mêmes. Le système d’arrimage a été approuvé par le BV. A priori, l’usage des twist locks automatiques du CMA CGM Otello n’a pas survécu au désarrimage de la pontée en février 2006.
Entrée en Bourse d’ici à fin 2014
CMA CGM vise une introduction en Bourse à Paris d’ici fin 2014, a déclaré le 18 décembre Rodolphe Saadé, directeur général délégué du groupe, lors d’une interview à Reuters. « Cela va nous permettre de trouver des financements. Il sera plus facile pour nous de sécuriser des prêts bancaires en tant que groupe coté », a-t-il expliqué sans préciser le montant que CMA CGM comptait lever à son introduction, ni quel pourcentage du capital serait mis en bourse. Le groupe négocie une restructuration de sa dette avec ses créanciers, et il est aussi en discussion avec un investisseur chinois pour la cession d’une participation de 49 % dans sa filiale Terminal Link. Rodolphe Saadé espère finaliser la transaction dans le courant du premier trimestre 2013. « Elle portera sur 15 des 30 terminaux exploités par Terminal Link », a-t-il précisé sans donner le nom de l’investisseur chinois. Dans un contexte économique tendu, CMA CGM, qui a traversé trois années de turbulences, espère trouver un accord définitif avec ses banques courant janvier, avec un aménagement des “covenants” bancaires et des rééchelonnements de maturités.
L’annonce de l’entrée en bourse du groupe est récurrente: elle avait été évoquée une première fois par Tristan Vieljeux, il y a une douzaine d’années. De plus, l’expérience de la titrisation d’une partie de la flotte à la bourse de New York en 2007, via la filiale Global Ship Lease, ne semble pas être une réussite incontestable. Enfin, comment peut-on à la fois vanter les mérites de l’actionnariat familial en termes de rapidité de prise de décision par exemple et accepter les lourdeurs de fonctionnement des sociétés cotées, sans parler des obligations de transparence économique et financière?