« La banque publique d’investissement doit nous aider à surmonter la crise. Faute de quoi, l’ensemble du secteur va sombrer. » C’est un véritable SOS que Ralf Nagel, le président de la fédération des armateurs (Verband Deutscher Reeder), vient de lancer au gouvernement. Selon lui les compagnies maritimes sont dans une situation intenable: déjà fragilisées par la chute des taux d’affrètement, elles sont désormais prises à la gorge par les banques. En cause: le désengagement total ou partiel de plusieurs poids lourds de la finance maritime. En début d’année, c’est HSH Nordbank qui a ouvert le bal: sous la pression de Bruxelles, l’institut a dû opérer un sévère tour de vis sur ses lignes de crédits. Quelques mois plus tard, rebelote: cette fois-ci c’est Commerzbank qui provoque la stupeur: l’établissement annonce qu’il tourne le dos à cette activité, jugée trop risquée. Respectivement premier et quatrième argentier des mers au niveau mondial, leur désengagement est déjà lourd de conséquences pour les armateurs.
Plusieurs clients de Commerzbank racontent ainsi que l’institut fait pression sur eux afin qu’ils se séparent de leurs navires et remboursent au plus vite leur emprunt. « La banque cherche ainsi à accélérer son désengagement du financement maritime », souligne Christof Lauer, le porte-parole de la VDR. Problème: la banque vise en priorité les navires les plus rentables, susceptibles d’être vendus au prix fort. Mais ce faisant, elle prive les compagnies de leurs plus beaux « bijoux de famille ». « C’est un cercle vicieux pour les armateurs qui risquent de se retrouver à la tête d’une flotte moribonde, sans possibilité de sortir la tête de l’eau », s’inquiète Lauer.
Desserrer l’étau
D’où l’appel lancé à la banque publique d’investissement (KfW), qui pourrait accorder des « crédits relais », pour desserrer l’étau. De l’argent frais, mais pas seulement. Adossée à la garantie de l’État, la KfW jouit d’une excellente réputation sur les marchés financiers où elle est considérée comme l’une des banques les plus sûres du monde. Une « signature » qui permettrait de soulager le portefeuille maritime des banques privées et donc par ricochet de relâcher la pression sur les armateurs. « Nous demandons une aide ponctuelle, étalée sur deux ou trois ans. D’ici 2015, les navires gagneront à nouveau de l’argent », assure Ralf Nagel. Mais cet appel, pour l’instant, résonne dans le vide. Silence radio du côté du gouvernement d’Angela Merkel: de toute évidence, la requête des armateurs a peu de chance d’aboutir. « La banque publique d’investissement n’a pas pour mission de maintenir artificiellement en vie des secteurs en crise », confie une source proche du dossier. En 2009, après la crise des subprimes, le bras financier de l’État avait pourtant volé au secours de l’économie allemande, avec un volume de prêts exceptionnels de 15 Md€. « Mais ces crédits avaient pour but d’aider des entreprises structurellement en bonne santé à traverser une période difficile, poursuit cette source. Avec les armateurs, la donne est totalement différente. » Signe des grandes difficultés actuelles, Hapag Lloyd, fleuron maritime allemand, a récemment indiqué qu’il reportait son placement en Bourse. Dans ce contexte trouble, difficile de trouver des investisseurs, explique-t-on à Hambourg, au siège de la compagnie. Initialement programmée pour 2013, l’introduction sur le Parquet n’interviendra pas avant 2014.
Mais le SOS de la VDR se heurte aussi à la froide réalité des chiffres, selon Torsten Teichert, directeur du fonds maritime Lloyds Fonds AG. « À peine 1 % des emplois outre-Rhin dépendent de l’industrie maritime », souligne-t-il dans une tribune dans le journal Die Welt.
Les armateurs veulent encore croire qu’une solution sera trouvée « avant la fin de l’année ». Mais derrière l’optimisme de façade, pointe déjà l’amertume. « Le ministre de l’Économie est monté au créneau pour critiquer le retrait de Commerzbank du financement maritime », rappelle Ralf Nagel. « Il partage notre constat alors pourquoi refuse-t-il d’engager l’outil financier de l’État? »
En attendant une prise de position claire du gouvernement, certains avancent d’autres pistes pour surmonter la tempête. L’idée d’une prime à la casse pour les navires les plus anciens et les plus polluants refait ainsi surface. « Cela permettrait de réduire les surcapacités qui minent le marché », affirme Claus-Peter Offen, un armateur hambourgeois. Mais la proposition n’a, pour l’heure, reçu aucun soutien du monde politique.