Au début de l’été, l’annonce de la Commerzbank a pris tout le monde de court. À la surprise générale, la deuxième banque allemande indique dans un communiqué qu’elle met un terme à ses activités de financement maritime. Malmené par la crise et contraint de renforcer ses fonds propres, l’établissement affirme qu’il doit se concentrer sur un cœur de métier « durablement rentable », afin de « limiter les risques encourus ». Exit donc le financement maritime, qui plombe lourdement ses comptes. Rien que pour l’année 2012, Commerzbank s’attend à subir une perte de 530 millions d’euros sur ce segment. La banque préfère quitter le navire avant de boire la tasse.
Sur le site internet du groupe, le patron de l’institut relativise la portée de ce choix, assurant qu’« il ne s’agit pas d’un tournant ». Il n’empêche: les armateurs allemands ne décolèrent pas. « Cela aura de graves conséquences pour l’industrie maritime en Allemagne », prévient Ralf Nagel, le président de la fédération VDR. Il faut dire que c’est un poids lourd qui tourne le dos au monde maritime. Avec 21 milliards de prêts dans son portefeuille, l’institut est le troisième argentier des mers au niveau mondial. « Je ne comprends pas qu’une banque puisse laisser en rade une partie aussi importante de sa clientèle. Cela ne se fait pas », tempête dans le Spiegel Erck Rickmers, armateur et élu municipal à Hambourg.
La décision passe d’autant plus mal que l’établissement est détenu à 25 % par l’État Fédéral. Or, Berlin a toujours affiché sa volonté de défendre le pavillon national pour soutenir les exportations. « Le gouvernement aurait pu remettre en cause le choix de Commerzbank », poursuit Erck Rickmers. « De nombreux petits armateurs sont laissés sur le carreau, sans la moindre alternative. » Le retrait de Commerzbank est le dernier épisode en date d’une très longue série de déboires pour le financement maritime “made in Germany”. Longtemps vanté comme le plus dynamique au monde, aujourd’hui il prend l’eau de toutes parts.
Ainsi, l’an dernier, la banque hambourgeoise HSH Nordbank, numéro un mondial, a annoncé qu’elle réduisait drastiquement la voilure. Sous la pression de Bruxelles et des agences de notation, l’établissement doit réduire de moitié son portefeuille maritime d’ici 2014 en échange des aides publiques reçues pendant la crise. Effondrement des taux d’affrètement, crise de surcapacité, taux de change euro/dollar défavorable: autrefois extrêmement rentable, le financement des navires est aujourd’hui devenu une activité à risque qui fait plonger les comptes des banques. Résultat, toutes, ou presque, ferment le robinet du crédit. « Nous sentons clairement la crise », confie un porte-parole de Norddeutsche Landesbank. Le numéro 5 mondial (19,5 milliards d’actifs maritimes) s’attend lui aussi à subir des pertes sur ce segment.
Et les banques ne sont pas les seules à souffrir. Les fonds spécialisés dans le financement de navires subissent eux aussi un sévère retour de bâton. Alimentées par l’épargne des particuliers, ces sociétés achètent des navires puis les louent aux compagnies. Encouragé par d’importants avantages fiscaux, ce mécanisme unique au monde a permis à l’Allemagne de financer 5 % de la flotte mondiale et de s’imposer comme le premier pavillon en terme de porte-conteneurs avec 1 800 navires.
Mais aujourd’hui cette belle mécanique est grippée. Avec la chute des taux d’affrètement les bénéfices escomptés ne sont pas au rendez-vous. Résultat, les fonds sont pris à la gorge: une centaine d’entre eux a mis la clef sous la porte. Près de 800 autres sont sur la sellette. « Cela représente 20 % des navires battant pavillon allemand », calcule le cabinet d’expertise comptable TPW.
Des déboires qui sapent la confiance des épargnants dont certains ont tout perdu dans l’affaire. Du coup, les sommes placées ont été divisées par 7 en l’espace de quatre ans. « Les particuliers ne veulent plus entendre parler de financement maritime », confie un armateur. Alors, est-ce la fin du modèle allemand? « Non », veut croire André Tonn, directeur de Oltmann-Gruppe, l’un des fonds spécialisés sur le segment. M. Tonn table sur un retour à la normale d’ici 2014, le temps de réduire les surcapacités qui plombent le marché. « La question est de savoir comment tenir jusque-là », souffle-t-il.
Car entre-temps, d’autres pourraient combler le vide et ravir à l’Allemagne sa position de leader. Les établissements chinois font figure de favoris auprès des spécialistes. Mais pour l’instant, ce sont surtout les banques scandinaves qui semblent prêtes à s’engouffrer dans la brèche: selon le Financial Times Deutschland, DNB et Nordea, respectivement deuxième et quatrième mondial, sont dans les starting-blocks. Pour elles, le retrait de Commerzbank est une bonne nouvelle: « lorsqu’un acteur important se retire, de nouvelles opportunités s’ouvrent pour ceux qui sont restés », commente Christian Kjelsrud, responsable des activités de financement maritime chez Nordea.