JOURNAL DE LA MARINE MARCHANDE (JMM): LES DÉLIBÉRATIONS DU MOIS DE MARS À L’ASSEMBLÉE DE CORSE FIXENT LA CAPACITÉ MINIMALE ANNUELLE À 1 600 000 MÈTRES LINÉAIRES ET 410 000 PASSAGERS. DU COUP, ENVISAGEZ VOUS DE RÉPONDRE SEUL A L’APPEL D’OFFRES?
MARC DUFOUR (M.D.): Lors de la cession des parts de la SNCM à Stef en 2009 au sein de la Méridionale, nous avons signé un accord de coopération renforcé prévoyant de répondre ensemble à l’appel d’offres. Avec une DSP fixée à sept cargos mixtes, trois seront déployés par la Méridionale et quatre par la SNCM. La discussion porte à présent sur les ferries. Les différends avec la Méridionale ne remettent pas en cause notre coopération. Nous assurons pour elle la représentation commerciale et la réservation. Nous avons également investi 9 M€ dans le système informatique. Notre différend porte sur les coûts de refacturation.
JMM: CROYEZ-VOUS QUE LE SERVICE DE BASE SERA ÉTENDU AU PORT DE TOULON?
M.D.: Je suis convaincu qu’il s’agit du même marché pour les ports de Toulon et Marseille. Le ministre des Transports, Thierry Mariani, a adressé un courrier à Paul Giacobbi (président du Conseil exécutif de Corse) dans lequel il explique que la Collectivité territoriale de Corse a parfaitement le droit d’étendre la DSP à Toulon. Ce courrier valide le bien fondé de notre démarche. Il y a un certain nombre d’obligations qui nous sont faites (en termes de fréquence, des ports desservis, de minimum de passagers et de fret) qui ne sont pas assurées au départ de Toulon. Nous avons été condamnés il y a un an à une amende de 300 000 € pour abus de position dominante. À présent, la cour d’appel dit le contraire de ce qu’elle a affirmé il y a un an!
JMM: VOUS AVEZ UN DIFFÉREND AVEC L’OFFICE DES TRANSPORTS DE LA CORSE, SUR QUOI PORTE-T-IL? COMPTEZ-VOUS ALLER AU CONTENTIEUX?
M.D.: L’OTC nous doit entre 25 M€ et 30 M€ depuis un an et demi. En 2010, l’écart combustible a été chiffré à 12 M€ et l’expert de l’OTC considère que 8,5 M€ sont indiscutables et 3,5 M€ font l’objet d’une interprétation de la clause de la convention. L’OTC refuse de payer même ce qu’il considère comme indiscutable. Au titre de l’année 2011, l’OTC nous a appliqué une pénalité de 9 M€ pour 47 jours de grève car il considère qu’il s’agit d’une cause interne, or j’ai fourni un dossier d’une cinquantaine de pages prouvant que ma décision d’enlever un navire à Nice est une conséquence de la décision du port de réduire son exploitation. Nous irons devant le tribunal administratif si cela est nécessaire.
JMM: POURRIEZ-VOUS PRÉCISER LES DÉTAILS DE LA CLAUSE INSCRITE AU CONTRAT DE VENTE AVEC L’ÉTAT QUI VOUS PERMETTRAIT DE VOUS RETOURNER VERS CELUI-CI SI LA SNCM ÉTAIT CONDAMNEE PAR LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPÉENNES À REMBOURSER LES AIDES DONT ELLE A BÉNÉFICIÉ?
M.D.: Contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse, il ne s’agit pas d’une clause destinée à ce que l’État reprenne la SNCM. Dans le contrat de vente figurent deux clauses résolutoires: la première indique que si la SNCM ne gagne pas la DSP, Veolia ne la reprendrait pas, et la seconde indique que les comptes présentés par l’État sont justes et sincères et que les recapitalisations resteraient acquises et ne seraient pas remises en cause. La date de validité de cette clause est le 31 mai, et Bruxelles va rendre son jugement en juin! Veolia considère que l’État ne peut se réfugier derrière une date de validité!
JMM: QUELLE EST VOTRE STRATÉGIE SUR LES LIGNES DU MAGHREB?
M.D.: Le marché s’est effondré sur la Tunisie du fait du Printemps arabe et du ramadan qui se tient durant l’été et ne favorise pas le retour des populations ethniques au pays qui renonce à partir à cause de la chaleur. Nous savons que l’économie tunisienne va repartir, mais nous ne savons pas quand. Le Maghreb a plombé les comptes. La Corse représente les deux tiers de notre chiffre d’affaires (280 m€) et le Maghreb un tiers. Il représente environ la moitié de nos pertes, soit 15 M€. Nous allons passer un accord d’exploitation conjointe avec la CTN.
Rupture de contrat avec Socoman
Quelques mois seulement après la Méridionale, la SNCM vient de dénoncer son contrat de manutention sur le port de Marseille avec Socoman avec effet à la fin 2012. Contrairement à la Méridionale qui a créé sa propre société de manutention, il semblerait qu’il s’agisse d’un moyen de renégocier le contrat avec son acconier de toujours. « Nous sommes partenaires avec la Socoman depuis trente ans! Si je peux conserver ce partenariat avec Charles-Émile Loo je le ferai, mais il existe un différentiel de coût important que je ne peux absorber », indique Marc Dufour qui réclame une réduction des coûts de 800 000 € à 1 M€. « Globalement, j’ai un objectif de réduction de l’ensemble des frais portuaires de 1,8 M€. Actuellement, la manutention coûte 9 € le mètre linéaire (ML) et la CMN, avec 8,60 € le ML, n’a pas encore atteint son objectif de productivité fixé à 7 € le ML; », ajoute Marc Dufour. La SNCM se dit également pénalisée par un système d’exploitation éclaté sur les différents terminaux, ce qui induit une multiplication des équipes de manutention et donc les coûts.
Pénalité de 70 M€ pour les Corses
Deux car-ferries à la chaîne et près de 800 personnes licenciées… Un naufrage social et économique que la SNCM évalue à 70 M€ si, dès le mois de septembre, l’Office des transports de la Corse ne retient que le seul service de base et fait sortir les car-ferries de la délégation de service public. « L’OTC dit être dans l’incapacité de financer la DSP telle qu’elle est. Quoi qu’il en soit, nous avons un contrat d’exploitation de six navires jusqu’au 31 décembre 2013. Soit ils payent le montant de notre préjudice, soit ils maintiennent une exploitation conforme et, dans ce cas, ils n’auront pas de pénalité », prévient Marc Dufour. Et d’ajouter: « La pénalité coûterait beaucoup plus cher que le maintien de l’exploitation à six navires. » La sortie des Napoléon-Bonaparte et Danielle-Casanova, anciens fleurons de la compagnie, impliquerait le départ d’un peu moins de 800 salariés (600 marins et près de 200 sédentaires). « Des départs que la compagnie organiserait de façon progressive à travers l’instauration d’un plan de départs volontaires et le non-renouvellement des départs à la retraite », précise le directeur du marketing et de la communication Pierre Jaumain.
Parallèlement, deux procédures de licenciement ont été engagées à l’encontre des marins ayant occupé le Corse durant 47 jours, non pas pour fait de grève mais pour « entrave au travail », la SNCM invoquant un dépôt de préavis illégal de trois jours au lieu de cinq. Dix-sept marins ont été convoqués devant la commission de discipline et ont été mis à pied pour une durée de 15 jours à trois semaines. Quant aux syndicalistes Frédéric Al Pozzo, secrétaire CGT des marins, et Marcel Faure, secrétaire CGT du comité d’entreprise, ils ont dû s’expliquer devant l’Inspection du travail et aux Prud’hommes.
La SNCM fera construire son nouveau siège
Colony Capital vient de racheter le siège historique de la SNCM pour 15 M€, avec en prévision la construction d’un hôtel adossé à un casino. Ce projet ne verra pas le jour tout de suite, Colony ayant loué les locaux à la SNCM pour deux années encore, le temps pour l’armement de faire construire son nouveau siège de 8 500 m2; sur huit étages. Ce nouveau bâtiment sera pris en location avec option d’achat.