Un placement sûr et des rendements de 8 % à 15 % par an: en cette fin 2007, voilà ce que la Hamburger Elbe Emissionhaus (HEE) promet aux épargnants. À l’époque, cette société spécialisée dans le financement maritime organise une levée de fonds pour acheter un nouveau porte-conteneurs. Le tour de table est rapidement bouclé: quelque 150 épargnants apportent 6 M€ à la société en commandite (ou KG Fund) créée pour l’occasion. Le solde sera couvert par un emprunt bancaire.
Outre-Rhin, ce genre de montage n’a alors rien de très original: encouragés par d’importants avantages fiscaux, les particuliers se pressent pour placer leurs économies dans ces sociétés qui achètent des navires puis les louent aux compagnies. Ce mécanisme, sans équivalent ailleurs, a permis à l’Allemagne de financer 5 % de la flotte mondiale et d’être le premier pavillon en termes de porte-conteneurs avec 1 800 navires.
Mais quatre ans plus tard, c’est la douche froide: le fonds créé par HEE est en faillite. Les épargnants tombent de haut: la revente du navire n’a rapporté que 3 M€, qui ont servi à rembourser le prêt bancaire. Résultat, ils ne reverront jamais leur argent. Et ils ne sont pas les seuls. Chaque jour ou presque, un fonds maritime allemand est menacé de mettre la clé sous la porte: 800 d’entre eux éprouveraient de sérieuses difficultés. « La vague de faillites se transforme en Tsunami », titre Procontra, un magazine spécialisé dans la finance.
Des déboires en cascade
De fait, depuis la crise économique de 2009, le financement maritime « made in Germany » a la tête sous l’eau. En cause: l’effondrement des taux d’affrètement, qui ont dévissé de 50 % pour les porte-conteneurs de moyenne capacité (3 500 EVP à 4 400 EVP), réduisant d’au moins autant les bénéfices escomptés.
La reprise du commerce mondial n’y change rien. Car ces déboires en cascade ont sapé l’élément fondamental de cet édifice: la confiance des ménages. Ainsi, en 2007, alors que le système connait son âge d’or, les particuliers ont apporté 3,58 Md€. Entre-temps, les sommes récoltées n’ont cessé de s’effondrer pour atteindre en 2011 un niveau historiquement bas: 506 M€. Un pactole divisé par plus de sept en l’espace de quatre ans!
Pour ne rien arranger, la nervosité gagne les banques. Contraintes de renforcer leurs capitaux propres sous l’effet de la crise de la dette, les grands argentiers des mers ferment le robinet du crédit. Mais les banques font aussi pression sur les sociétés maritimes pour qu’elles revendent les navires les moins rentables, aggravant ainsi les difficultés des KG Funds, qui sont prises à la gorge: « Les établissements de crédit n’ont aucun intérêt à vouloir vendre maintenant, dans un contexte aussi défavorable », tente de convaincre Olaf Pankow, directeur de Ownership, une société de financement maritime. « Nous espérons que les instituts se montreront patients et favoriseront un plan de sauvetage du fonds, négocié avec les épargnants. »
Selon certains observateurs, la crise actuelle a aussi des causes plus profondes. L’argent facile et les rendements mirifiques d’avant la crise aurait occulté les pratiques parfois douteuses de certaines sociétés de financement maritimes. Ainsi, selon le Manager Magazin, la HEE aurait caché aux épargnants un rapport d’experts accablant. Extrait: le navire pour lequel la société a levé 6 M€ « n’est pas adapté au transport de conteneurs, dans l’état actuel » et la capacité de 468 EVP annoncée sur le prospectus ne serait que « théorique ». En clair: les gérants du fonds maritime auraient trompé les épargnants en leur vendant un produit peu compétitif. Loin d’être un cas unique, le journal affirme que les supercheries de ce type sont « légions ».
Quoi qu’il en soit, une soixantaine d’épargnants s’apprêtent à porter plainte contre la EEH afin d’obtenir réparation pour les 2,7 M€ qu’ils ont perdu. Un investisseur institutionnel qui a placé 1,5 M€ a lui aussi attaqué en justice.
Une polémique qui risque d’alimenter encore un peu plus la défiance vis-à-vis de ce système déjà mal en point. Et si le chef de HCI, l’une des plus grandes sociétés de financement maritime de la place de Hambourg, affirme que « dans chaque crise il y a aussi une chance [de changement] », tout le monde ne partage pas son optimisme. Selon une étude du cabinet de consulting KPMG, une grande partie du monde maritime allemand ne croit plus à un come back des KG Funds: 90 % jugent indispensable que l’Allemagne trouve d’autres formes de financement pour conserver sa position de leader.