Près de dix ans après la mort de Malcom McLean, l’inventeur de la conteneurisation, moins d’un an après le règlement à l’amiable du conflit qui l’opposait à l’importateur britannique Argos (JMM du 21-1-2011; p. 14), et moins de 30 jours après les « descentes » de la DG Concurrence dans les bureaux européens des principaux transporteurs maritimes conteneurisés, le premier d’entre eux, Mærsk Line, semble vouloir allumer un contre-feu en proposant une révolution culturelle dans les relations avec les clients. Cela a commencé le 7 juin, à Anvers, dans le cadre de Terminal Operations Europe Conference. Elvind Kolding, p.d.g. de Mærsk Line y lance un appel à la « nouvelle normalité » (the new normal).
Respect des délais, premier impératif avant la tarification
Le site internet, http://changing thewaywethinkaboutshipping.comdétaille sur plus de 20 pages la « vision » du premier transporteur mondial de conteneurs. La première page est titrée: « nous devons nous souvenir que le changement est dans notre ADN. »
Le transport maritime présente pour ses clients trois contraintes qu’il convient de réduire: son manque de fiabilité (our unreliability), sa complexité et son impact environnemental.
« Dans notre secteur, nous livrons un conteneur sur deux en temps et en heure. Pouvez-vous désigner l’un de vos fournisseurs qui livre à l’heure une fois sur deux et qui puisse toujours compter sur votre fidélité de client? » demande Elvind Kolding. Selon les études réalisées par Mærsk Line, un nombre « significatif » de clients (customers et non pas shippers) serait prêt à confier plus de volume à un transporteur qui améliorerait de façon « significative » la fiabilité de ses livraisons. Beaucoup de ces clients disent même être prêts à payer un supplément pour être livrés en temps et en heure. « Livrer à l’heure ses clients ne devrait pas faire partie du domaine du souhaitable mais être une obligation professionnelle élémentaire », estime la compagnie danoise.
« Depuis très longtemps, le moteur de notre secteur a été la tarification. Bien sûr, les clients sont attentifs aux prix mais ils sont encore plus concernés par le coût total du transport et non pas par le prix d’une simple boîte. Ils peuvent accepter des hausses de prix mais pas une fausse promesse de livraison. » Et Mærsk de développer les inconvénients que génèrent pour le client des livraisons fantaisistes.
« Le shipping est un secteur d’activité complexe », affirme Mærsk. « L’établissement des horaires, les opérations de réseau, le transport intermodal, la disponibilité des équipements, le passage en douane, les lois maritimes anciennes, le labyrinthe documentaire, les tremblements de terre, la piraterie, les guerres, les fluctuations du prix du pétrole, les primes d’assurance, les frais de transit de canal, etc. Tout cela rend le transport maritime complexe mais les clients ont-ils l’obligation de tout savoir? […] Le modèle économique est fondé sur une seule idée: nous devons aider nos clients dans leur activité courante. Nous rendons le commerce international possible mais notre valeur aux yeux de nos clients réside dans notre aptitude à les aider à optimiser leurs procédures. » L’idéal, pour Mærsk, serait de permettre à ses clients de réserver un espace (booking) puis de payer par carte bancaire; tout le reste serait laissé aux bons soins du transporteur. Cinq domaines d’amélioration sont cependant identifiés: obtention rapide du prix ou de l’horaire; information immédiate en matière de disponibilité d’espaces à bord et confirmation par retour de l’acceptation du booking; obtention facile de la documentation, si possible avec des documents préremplis; information sur la situation des conteneurs tout au long de leur périple; notification immédiate en cas de retards (en somme, toutes les promesses des compagnies dans les années 2000 et notamment de Mærsk avec sa blue box).
Mærsk Line note que les conteneurs de trois clients sur dix ne sont pas « bons à embarquer » lorsque le navire est en charge. En étant irréprochable dans ses prestations, la compagnie danoise pense alors avoir le droit d’exiger que ses clients présentent les conteneurs qu’ils ont « bookés » auprès du transporteur.
Même si à l’unité transportée, le transport maritime est de très loin le mode le moins polluant, Mærsk invite ses collègues à en faire plus, beaucoup plus afin de répondre aux attentes des clients de ses clients, les consommateurs finaux. Cependant, le premier transporteur mondial de conteneurs ne détaille pas les pistes à suivre.
Citant entre autres Albert Einstein, la compagnie danoise invite toutes les parties qui se sentent concernées à exprimer leur point de vue sur le site internet dédié. C’est une question de survie, car, ceux qui ne pourront ou ne sauront pas s’adapter, disparaîtront.
Les chargeurs européens partagent la vision de Mærsk Line et attendent des changements rapides
Le 8 juin, les chargeurs européens (ESC) ont exprimé leur soutien aux constatations du p.d.g. Danois: la fiabilité « n’est pas suffisante »; le transport conteneurisé est « trop difficile » et trop compliqué pour ses clients; l’implication dans le développement durable des transports maritimes manque de « transparence » et devrait suivre le principe selon lequel « ce qui peut être mesuré, peut être fait.» Le manifeste sur la nouvelle façon de faire du transport rédigé par Mærsk « confirme bien » l’avis des chargeurs européens selon lequel le secteur du transport maritime de ligne régulière doit trouver un nouveau modèle de relation avec ses clients.
Le Conseil des chargeurs européens rappelle que le président de la section transport maritime des ESC, Jean-Louis Cambon, a souligné récemment, lors d’un colloque tenu à Londres, que « la ligne régulière a besoin d’un changement radical dans sa manière de penser. Il lui faut comprendre que la concurrence revêt plusieurs dimensions et que le prix n’est pas l’unique préoccupation de la clientèle. Elle attache plus de valeur à trouver des solutions à ses problèmes. L’innovation, les technologies vertes ou les services personnalisés sont autant d’éléments à prendre en compte. Les transporteurs doivent comprendre qu’un client satisfait est de loin plus utile pour assurer un bon remplissage des navires que la souplesse tarifaire. »
L’écho positif que le p.d.g. de Mærsk Line semble faire aux propos de Jean-Louis Cambon réjouit la secrétaire générale des ESC, Nicolette van der Jagt. Elle souligne cependant le lourd héritage auquel doit faire face Elvind Kolding. Le slow steaming a largement contribué à la dégradation du respect des horaires. Imposée sans concertation aux clients, cette pratique a allongé les délais de transport, perturbé les chaînes d’approvisionnement, entraîné des manques d’équipements et donc rendu plus difficile le travail des chargeurs et des réceptionnaires. « Il n’est donc pas surprenant que les chargeurs prennent avec un certain cynisme les intentions du transporteur lorsqu’il affirme vouloir améliorer le service rendu à ses clients et améliorer sa fiabilité. Qu’est-ce qui empêche Mærsk de faire ce qu’il propose? Nous sommes bien sûr favorables à tout ce qui tend à résoudre les problèmes fondamentaux du secteur. Nous espérons que Mærsk montrera l’exemple sur la voie du changement vers la satisfaction des besoins à long terme de leurs clients. Mais nous attendons des changements rapides. »